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54 CONSIDÉRATIONS SUR LES THÉÂTRES.

bronze placées a cet effet sous les gradins du théâtre, devaient donner une force d'expression
toute-puissante à ces vers, qui, à peine compris par nous, n'en sont pas moins encore ce que
nous possédons de plus éminemment tragique.

La comédie était privée d'une partie de ces moyens auxiliaires : chez elle, les costumes n'avaient
plus rien d'imposant; le masque immobile ne pouvait plus rendre les impressions variées et ra-
pides des personnages; la voix forte et sépulcrale de l'acteur ne correspondait plus au ton plai-
sant de la pièce; le rire rauque et étouffé sous le masque n'appelait point celui du spectateur,
et le charme des décorations n'ajoutait aucun intérêt à la représentation. Mais les habitudes et
la licence des mœurs de ces temps suppléaient à l'absence de ces moyens de séduction.

Comme les spectacles n'avaient lieu qu'à certaines époques, le peuple n'était point blasé sur
cette sorte de plaisir; ce sentiment, émoussé parmi nous, était chez les anciens d'une vivacité
qu'on retrouve encore dans les mêmes climats, et à laquelle la privation donnait un plus grand
degré d'énergie. La liberté de mœurs et de discours qu'affectaient les poètes mettait la comédie à
la portée du peuple. Elle parlait rarement ce langage épuré et finement railleur dont se piquent
les hautes classes de la société; elle ne peignait guère ces mœurs polies, fausses et brillantes, ces
sentiments contenus, ces nuances de caractère qu'on ne pouvait observer chez des peuples où
les familles vivaient isolées et les sexes séparés. Mais Thalie, toujours sûre d'entraîner tant quelle
était inspirée par une gaieté maligne, crayonnait avec feu des tableaux copiés d'après les mœurs
du temps. Elle avait les habitudes, et parlait le langage de tout le monde : aussi était-elle com-
prise de chacun; ce n'était pas seulement pour la bonne compagnie que s'ouvrait le théâtre,
le peuple y courait en foule; il ne perdait aucun des traits du poëte; il écoutait avec avidité,
applaudissait avec transport, riait aux éclats, et lorsque, abusant de la licence de cette époque,
un personnage grotesque et obscène prodiguait dans ses plaisanteries tout ce que le sel attique a
de plus libre et de plus piquant, les spectateurs de toutes conditions, saisis d'un rire inextin-
guible, manifestaient leur joie par de bruyantes acclamations, sans s'inquiéter, ni des invraisem-
blances que pouvait offrir l'action dramatique, ni de l'absence de l'illusion théâtrale.

Tels étaient les théâtres des anciens. Elevés par des peuples qui mêlaient toujours la religion
à leurs fêtes, et la gloire à leurs plaisirs, ils devinrent des monuments sacrés et nationaux : leur
décoration était triomphale, leurs formes d'une simplicité majestueuse. Le mécanisme de la scène
n'offrait aucune ressource à l'illusion, mais la disposition de ces édifices était d'une admirable com-
modité, et parfaitement combinée sous le rapport de l'optique et de l'acoustique ; de toutes les pla-
ces on entendait et l'on voyait également. Rien, chez les nations modernes, ne saurait égaler ni la
richesse des matériaux employés à l'embellissement de ces théâtres, ni la grâce de leurs ornements,
ni la magnificence du coup d'œil qu'ils devaient offrir; et de même que les poètes comiques de
nos jours ne sauraient connaître tous les secrets de leur art, sans méditer les chefs-d'œuvre de
la comédie grecque et latine, nos artistes modernes ne sauraient construire une salle bien com-
binée, sous le double rapport de l'art et des convenances, sans étudier avec soin les ruines des
théâtres antiques.
 
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