Revue égyptologique (8.1898)

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Eugène Revillout.

avait soif. J'ai donné des vêtements au nu, une barque à celui qui n'en avait pas. J'ai donné
les divines offrandes aux dieux, du pain et de l'eau aux mânes. Ces choses m'ont sauvé.
Vous m'avez sauvé à cause de cela (ô dieux!) parce que, pour vous, aucune accusation
n'a été faite contre moi devant les grands (juges); car ma bouche est pure par les choses
que j'ai dites : mon cœur est pur; mon devant est pur; mon arrière est pur. Il n'y a pas
de membre en moi qui ait fait l'iniquité. Tu m'as fait venir (ô Osiris), tu m'as fait approcher
étant toi même pacifié. Ils me saluent (les dieux) quand ils me voient — parce que j'ai
entendu la grande parole (le grand arrêt) qu'a donnée Osiris pour établir cela (pour
établir mon innocence).»

Cette version est, somme toute, bien comprise et je n'ai pas à citer ici, comme à mon
cours, les petites variantes de sens des anciens textes hiéroglyphiques ou hiératiques. Elles
importent peu, excepté pour un seul passage, celui que j'ai souligné et qui est relatif à l'arrêt
rendu sur le défunt par le juge suprême après consultation des autres juges, comme dans les
procès ordinaires.

Ici la Vulgate porte : «Il dit : ,11 est venu (bis) en paix, celui qui le voit, parce que
Osiris (ou l'Osiris) a entendu cette grande parole qu'a dite l'âne avec le chat dans le temple
de Ptah pour témoigner de lui, en le voyant par devant et par derrière. »

Le rituel de Nebqat porte : «Dit à lui celui qui vient en paix : ,Je suis venu pour
le voir', parce que j'ai entendu cette parole de Set1 avec le chat dans le temple de la grande
rencontre pour témoigner devant lui (devant le mort) à lui (à Osiris) de sa pureté.»2

Il n'y a pas de doute pour moi que Set, soit sous la forme de l'animal carnassier
typhonien, à oreilles droites, soit sous la forme de cet âne qui le remplace à la basse époque,
ne désigne ici le diable égyptien. Dans les rituels de basse époque l'âne est souvent représenté
frappé du glaive à cause de cela, et Hérodote nous dit que, de son temps, par horreur de
l'esprit du mal, on immolait chaque année un âne rouge (âne rouge que nous retrouvons
jusque dans notre dicton actuel : «méchant comme un âne rouge»). L'esprit du mal, tranchons
le mot, le diable, représenté par son symbole, l'animal typhonien ou l'âne,3 jouait dans le jugement
de l'âme exactement le même rôle que l'avocat du diable dans les procès actuels de canoni-
sation en cour de Rome. On sait, en effet, que dans ces procès il y a toujours un avocat du
diable chargé de chercher noise au futur saint et de recueillir contre lui tous les prétextes
possibles pour empêcher la cause d'aboutir. Le promoteur de la béatification est au contraire
chargé de défendre le saint et d'user de tout son pouvoir pour son apothéose, si je puis
me servir ici d'une expression païenne qui servait en Egypte à rendre le mot ar neter
diviniser, divinisation, employé par les rituels pour la béatification du mort. Le diable Set ou
l'âne joue, je le répète, exactement devant Osiris le rôle que l'avocat du diable joue devant
le pape, tandis que le chat, en sa qualité de symbole solaire, a bien soin d'opposer le bien
au mal.

1 Le mot aau, qui signifie d'ordinaire «âne», est ici déterminé non point par l'âne, mais par l'animal
carnassier typhonien.

2 Tur = "nts « être pur » mot que le chapitre 125 emploie plusieurs fois comme synonyme de ab et
sur lequel nous reviendrons.

3 Dans les livres gnostiques et magiques grecs, démotiques ou gréco-démotiques — Set, portant au-
dessus de lui ce nom souvent écrit en grec, est représenté sous la figure d'un homme à tête d'âne. C'est