FANTASIA
41
— Allons, bon ! voilà encore ma satanée montre qui ne va pas !
— Dis-lui tu vas la mener chez le médecin. Ça y fera peur.
Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, dit un axiome
célèbre. (Certains abonnés grincheux deM. Hervé di-
sent : « Il n’y a rien de nouveau dans le Soleil. »)
L'histoire a déjà été dansée. Et d’une drôle de ma-
nière.
J’ai sous les yeux un journal datant du premier
Empire. Et à la liste des spectacles je trouve cette
mention étonnante :
LA SAINT-BARTHÉLEMY, ballet.
Et nous qui nous étonnions des cinq ou six pauvres
cadavres qui se mêlent aux entrechats de Messalinal
Le ballet de la Saint-Barthélemy 1 Voyez-vous cela
d’ici? Ce doit être délicieux de gaieté. La valse des
agonies... Le quadrille des assassinats...
L’humanité a tout de même de singulières façons de
s’amuser.
Un moment, ce lurent les morceaux de piano qui
eurent des prétentions historiques. On fabriquait des
sonates expressives sur tous les règnes.
Ces bizarres productions étaient accompagnées d’une
notice explicative qui suivait les trémolos et les ar-
pégés entre les lignes.
l’ai vu, de mes yeux vu, ce qui s’appelle vu, une
élucubration de ce genre qui s’intitulait : le Règne de
bonis XIV, et qui se jouait ad libitum à deux ou quatre
mains.
Les mentions indicatrices, quoique écrites en prose,
valaient de longs poèmes.
A un certain passage, par exemple, se trouvait ce
commentaire :
« Louis XIV trahit l’amour de La Vallière. Phrase
Plaintive exprimant la douleur de l'abandonnée. »
Mais le sublime du sublime, c’étaient ces mots gra-
vés au-dessus d’un accord plaqué :
« Ici Louis XIV signe la révocation de l’édit de
Nantes. »
Ce qui n’est pas moins folâtre que les évocations ci-
dessus, ce sont les formules philosophiques auxquelles
recourt un purgatif en ce moment à la mode, pour se
lancer à coups de réclame.
Toutes les citations connues y passeront. Tous les
lieux communs (sans plaisanterie) de la prose et de la
poésie sont tour à tour employés par ce descendant de
M. Purgon.
Au beau milieu des faits-divers vous lisez :
— Tous les hommes sont égaux... Elle est profondé-
ment vraie, cette pensée du philosophe. Mais c’est
surtout devant les embarras gastriques que cette éga-
lité est incontestable. Or, voulez-vous y substituer
l’égalité devant la santé? Purgez-vous avec...
Le lendemain, autre antienne :
— A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Le
poète a eu raison. Et cependant les délicieuses pilules
Trois-Étoiles lui donnent tort ; car, par elles, c’est sans
péril que la constipation est vaincue.
Ainsi tour à tour Pascal, Lamennais, Hugo, Lamar-
i tine, Platon, Juvénal, l’Evangile. Thucydide, Horace,
I Dante, etc., sont invoqués et évoqués par ce pharma-
! cien subtil.
Quelle leçon d’humilité il donne là, sans le vouloir
peut-être, aux favoris de la gloire 1
Leurs chefs-d'œuvre servant d’enseigne à une bouti-
que de drogueries! O néant des choses humaines !
Comme j’achevais cette causerie, une nouvelle baro-
que m’arrive.
Le parquet serait décidé à poursuivre le dernier
livre de M. Maizeroy : Deux amies.
Outrage aux mœurs, bien entendu.
C’est à n’y plus rien comprendre du tout. Est-ce que
la mère Thémis n’enverra pas un de ces jours ses ba-
lances chez l’étameur? Elles sont horriblement faussées
; et rouillées.
Comment voulez-vous que les consciences s’y reeon-
! naissent?
On laisse passer avec tous les honneurs de l'impunité
une foule de livres abominables et bassement vils. Puis,
1 tout d’un coup, on en happe un qui se trouve être écrit
avec talent, et d’ordre élégant.
Ceci n’est qu’on côté de l’inconséquence moralisatrice.
On trouve que la morale est outragée par les mœurs
de deux amies. Et ce que font ces deux amies est con-
sidéré comme absolument licite par la loi.
C’est donc saugrenu, ce faux puritanisme qui cherche
querelle à l’écrivain pour une reproduction, quand l’o-
riginal est toléré.
Sans compter que l’on complique la maladresse en in-
tervenant toujours trop tard, comme les carabiniers
d’Oflènbach. C’est quand un volume a épuisé quarante
éditions qu’on se met en mouvement dans la maison
qui est au coin du quai.
Il est vrai que, comme résultat, on obtient neuf fois
i sur dix un acquittement qui refait vendre vingt édi-
tions de plus.
ÜN BOULEVAHD1ER.
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— Allons, bon ! voilà encore ma satanée montre qui ne va pas !
— Dis-lui tu vas la mener chez le médecin. Ça y fera peur.
Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, dit un axiome
célèbre. (Certains abonnés grincheux deM. Hervé di-
sent : « Il n’y a rien de nouveau dans le Soleil. »)
L'histoire a déjà été dansée. Et d’une drôle de ma-
nière.
J’ai sous les yeux un journal datant du premier
Empire. Et à la liste des spectacles je trouve cette
mention étonnante :
LA SAINT-BARTHÉLEMY, ballet.
Et nous qui nous étonnions des cinq ou six pauvres
cadavres qui se mêlent aux entrechats de Messalinal
Le ballet de la Saint-Barthélemy 1 Voyez-vous cela
d’ici? Ce doit être délicieux de gaieté. La valse des
agonies... Le quadrille des assassinats...
L’humanité a tout de même de singulières façons de
s’amuser.
Un moment, ce lurent les morceaux de piano qui
eurent des prétentions historiques. On fabriquait des
sonates expressives sur tous les règnes.
Ces bizarres productions étaient accompagnées d’une
notice explicative qui suivait les trémolos et les ar-
pégés entre les lignes.
l’ai vu, de mes yeux vu, ce qui s’appelle vu, une
élucubration de ce genre qui s’intitulait : le Règne de
bonis XIV, et qui se jouait ad libitum à deux ou quatre
mains.
Les mentions indicatrices, quoique écrites en prose,
valaient de longs poèmes.
A un certain passage, par exemple, se trouvait ce
commentaire :
« Louis XIV trahit l’amour de La Vallière. Phrase
Plaintive exprimant la douleur de l'abandonnée. »
Mais le sublime du sublime, c’étaient ces mots gra-
vés au-dessus d’un accord plaqué :
« Ici Louis XIV signe la révocation de l’édit de
Nantes. »
Ce qui n’est pas moins folâtre que les évocations ci-
dessus, ce sont les formules philosophiques auxquelles
recourt un purgatif en ce moment à la mode, pour se
lancer à coups de réclame.
Toutes les citations connues y passeront. Tous les
lieux communs (sans plaisanterie) de la prose et de la
poésie sont tour à tour employés par ce descendant de
M. Purgon.
Au beau milieu des faits-divers vous lisez :
— Tous les hommes sont égaux... Elle est profondé-
ment vraie, cette pensée du philosophe. Mais c’est
surtout devant les embarras gastriques que cette éga-
lité est incontestable. Or, voulez-vous y substituer
l’égalité devant la santé? Purgez-vous avec...
Le lendemain, autre antienne :
— A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Le
poète a eu raison. Et cependant les délicieuses pilules
Trois-Étoiles lui donnent tort ; car, par elles, c’est sans
péril que la constipation est vaincue.
Ainsi tour à tour Pascal, Lamennais, Hugo, Lamar-
i tine, Platon, Juvénal, l’Evangile. Thucydide, Horace,
I Dante, etc., sont invoqués et évoqués par ce pharma-
! cien subtil.
Quelle leçon d’humilité il donne là, sans le vouloir
peut-être, aux favoris de la gloire 1
Leurs chefs-d'œuvre servant d’enseigne à une bouti-
que de drogueries! O néant des choses humaines !
Comme j’achevais cette causerie, une nouvelle baro-
que m’arrive.
Le parquet serait décidé à poursuivre le dernier
livre de M. Maizeroy : Deux amies.
Outrage aux mœurs, bien entendu.
C’est à n’y plus rien comprendre du tout. Est-ce que
la mère Thémis n’enverra pas un de ces jours ses ba-
lances chez l’étameur? Elles sont horriblement faussées
; et rouillées.
Comment voulez-vous que les consciences s’y reeon-
! naissent?
On laisse passer avec tous les honneurs de l'impunité
une foule de livres abominables et bassement vils. Puis,
1 tout d’un coup, on en happe un qui se trouve être écrit
avec talent, et d’ordre élégant.
Ceci n’est qu’on côté de l’inconséquence moralisatrice.
On trouve que la morale est outragée par les mœurs
de deux amies. Et ce que font ces deux amies est con-
sidéré comme absolument licite par la loi.
C’est donc saugrenu, ce faux puritanisme qui cherche
querelle à l’écrivain pour une reproduction, quand l’o-
riginal est toléré.
Sans compter que l’on complique la maladresse en in-
tervenant toujours trop tard, comme les carabiniers
d’Oflènbach. C’est quand un volume a épuisé quarante
éditions qu’on se met en mouvement dans la maison
qui est au coin du quai.
Il est vrai que, comme résultat, on obtient neuf fois
i sur dix un acquittement qui refait vendre vingt édi-
tions de plus.
ÜN BOULEVAHD1ER.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Fantasia
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
Le Charivari
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
R 1609 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1885
Entstehungsdatum (normiert)
1880 - 1890
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
Public Domain Mark 1.0
Creditline
Le charivari, 54.1885, Février, S. 227
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg