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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 15.1889 (Teil 1)

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Albert, Maurice: Léon Longepied: 10 aout 1849 - 13 octobre 1888
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https://doi.org/10.11588/diglit.25867#0135

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L’ART.

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supporter la vie? Et si l’amitié née d’une estime réciproque, d’un long commerce et d'une étroite
communauté d’idées est un bienfait de Dieu, combien plus rare et vraiment divine est celle qui,
dès le premier jour, dès la première rencontre, attache par des nœuds indéliables deux âmes
« piquées » l’une et l'autre, comme disait le bon Corneille,

« Par ce je ne sais quoi qu’on ne peut expliquer ! »

C’était là l’espèce d’amitié, si bien décrite par le vieux Montaigne, ce grand sceptique au coeur
tendre, qui m’attachait à Longepied. Moi aussi je pourrais dire : ce Si l’on me presse d’expliquer
pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était
lui, parce que c’était moi. 11 y a au delà de tout mon discours je ne sais quelle force inexpli-
cable et fatale, médiatrice de cette union.
Nous nous cherchions avant que de nous
être vus, et nous nous embrassions par nos
noms. »

Voilà pourquoi je m’autorise à revivre,
la plume à la main, les heures douces pas-
sées là-bas, près du lion de Belfort, dans
l’atelier toujours fleuri1 où, morceaux par
morceaux, cet ami d’élite me raconta sa vie,
que je rends aujourd'hui, comme une sorte
d’autobiographie, à tous ceux dont il fut
aimé.

C’est au printemps de 1880 que nous
nous vîmes la première fois; et tout de suite
nous nous trouvâmes « si pris, si connus,
si obligés entre nous, que rien dès lors ne
nous fut si proche que l’un à l’autre ». Et
tel je le vis ce matin-là, tel je le revois
encore, avec une précision de souvenir sin-
gulièrement douloureuse aujourd’hui. Vêtu

de la guerre transformée en blouse d’atelier,
une capote usée, trouée, rapiécée, lamen-
table, il modelait une tête d'Orphée. On
nous présenta l’un à l’autre, et vite il me
tendit la main, non pas une de ces mains

PÊCHEUR RAMENANT DANS SES FILETS LA TÊTE D’ORPHÉE. ^ 1 r . . . —, ^

„ , , . . , ^ . J TT . ^ seches et froides, qui vous effleurent a peine

Statue de Leon Longepied. — Dessin de Henri Dumont. 1

le bout des doigts, mais une main chaude,
humide, qui serre presque à faire mal, une main plus éloquente que bien des protestations.
Dès la première minute, j’avais là mon Longepied tout entier. J’avais le soldat vaillant, mis
en 1871 à l’ordre du jour de sa compagnie, et le statuaire mis quelques années plus tard à
l’ordre du jour de l’art; j’avais l’ami au cœur tendre qui se donnait à moi, comme je me donnais
à lui, du premier coup, sans examen, sans réflexion; j’avais enfin le poète au grand cœur que
seuls ont jamais inspiré les grandes choses et les grands hommes, ceux-là surtout qui, comme les
Orphée, les André Chénier, les Danton, les Régnault, les Idrac et les héros de 1870, moururent,
ainsi qu’il devait mourir lui-même, bien avant l’heure.

C’est néanmoins une consolation pour tous les amis de Longepied de songer que, si sa vie

fut courte, elle resta du moins bonne et douce jusqu’au bout. Sans doute il eut à lutter contre

bien des peines, à triompher de bien des obstacles, que l’art, et surtout la sculpture, ne ménage
pas à ses élus. Mais que de viatiques et de réconfortants il eut toujours autour de lui ! Ce furent

1. Il adorait les fleurs, et surtout les plantes vertes qu’il soignait avec amour ; j’en voudrais voir sa tombe toute couverte.

de la grande capote de soldat, sa défroque
 
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