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EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
LES PEINTRES DU CENTENAIRE
178g -— I88g 1
(suite)
V
FRAGONARD y l8o6. - HUBERT ROBERT y l8o8
Les hasards du trépas réunissent aujourd’hui, sous notre plume, les noms de deux artistes
nés à peu près à la même date, unis par les liens d’une étroite amitié, et dont l’Exposition du
Champ de Mars nous montre diverses œuvres empruntées à des collections particulières ou à des
Musées provinciaux.
Le premier, Fragonard, y est représenté, en effet, par son portrait, qui appartient à
Mme Charras ; par des Marionnettes prêtées par M. S. Goldschmidt ; par le Pacha, distrait de
la galerie de M. le docteur Charcot. Ce sont trois pièces intéressantes. Elles ne suffisent pas,
— pas plus du reste que le maigre butin du Louvre1 2, — à nous faire apprécier ce maître si
heureusement doué, si fécond et si facond en même temps, qui semble avoir résumé à lui seul
Part si français du xvme siècle, élégant et gracieux avec Watteau, libertin avec Boucher, mora-
liste avec Greuze, patriote en dernier, quand l’ère du plaisir et de l’espièglerie fut fermée pour
faire place à celle de la rénovation sociale et militaire dont l’année 178g devait marquer l’avène-
ment3.
C’est que les multiples compositions sorties de son pinceau avaient été chaudement disputées.
On se les était arrachées et, par une contradiction piquante, la prude Angleterre s’était signalée
dans la recherche des galantes aventures que l’élève de Chardin et de Boucher avait peintes
d'une brosse allègre mais pleine de sous-entendus. Vingt-cinq mille livres de rentes avaient été
le résultat de cette vogue dont l'irascible amant de la non moins irascible Guimard avait joui
pendant près de deux lustres. Malgré tout, Fragonard mourait pauvre, ruiné par la Révolution,
ruiné surtout par l’engouement qui escortait la nouvelle école dont David était le chef, exaltait
les Horaces, les Sabines, et retournait contre le mur les bergères élégantes, à la gorge tendre,
qui avaient longtemps passionné un monde sur sa fin.
Hubert Robert, que le pape avait surnommé Robert-le-Diable, qui se promenait comme un
1. Voir l’Art, i5° année, tome Ier, pages 145, 168, 281 et 266.
2. Il est déplorable, par exemple, que le Louvre ne conquière pas les Frago de Grasse.
3. L’Art a publié une série de reproductions de dessins de Fragonard et de gravures d’après ses œuvres. On les trouvera, 20 année,
tome I'r, pages 271 et 273; 3“ année, tome II, page 15g ; 5e année, tome IV, page 66; 9" année, tome I0'', pages 55 et 287, et 15° année,
tome I", pages 3o et 3i.
EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
LES PEINTRES DU CENTENAIRE
178g -— I88g 1
(suite)
V
FRAGONARD y l8o6. - HUBERT ROBERT y l8o8
Les hasards du trépas réunissent aujourd’hui, sous notre plume, les noms de deux artistes
nés à peu près à la même date, unis par les liens d’une étroite amitié, et dont l’Exposition du
Champ de Mars nous montre diverses œuvres empruntées à des collections particulières ou à des
Musées provinciaux.
Le premier, Fragonard, y est représenté, en effet, par son portrait, qui appartient à
Mme Charras ; par des Marionnettes prêtées par M. S. Goldschmidt ; par le Pacha, distrait de
la galerie de M. le docteur Charcot. Ce sont trois pièces intéressantes. Elles ne suffisent pas,
— pas plus du reste que le maigre butin du Louvre1 2, — à nous faire apprécier ce maître si
heureusement doué, si fécond et si facond en même temps, qui semble avoir résumé à lui seul
Part si français du xvme siècle, élégant et gracieux avec Watteau, libertin avec Boucher, mora-
liste avec Greuze, patriote en dernier, quand l’ère du plaisir et de l’espièglerie fut fermée pour
faire place à celle de la rénovation sociale et militaire dont l’année 178g devait marquer l’avène-
ment3.
C’est que les multiples compositions sorties de son pinceau avaient été chaudement disputées.
On se les était arrachées et, par une contradiction piquante, la prude Angleterre s’était signalée
dans la recherche des galantes aventures que l’élève de Chardin et de Boucher avait peintes
d'une brosse allègre mais pleine de sous-entendus. Vingt-cinq mille livres de rentes avaient été
le résultat de cette vogue dont l'irascible amant de la non moins irascible Guimard avait joui
pendant près de deux lustres. Malgré tout, Fragonard mourait pauvre, ruiné par la Révolution,
ruiné surtout par l’engouement qui escortait la nouvelle école dont David était le chef, exaltait
les Horaces, les Sabines, et retournait contre le mur les bergères élégantes, à la gorge tendre,
qui avaient longtemps passionné un monde sur sa fin.
Hubert Robert, que le pape avait surnommé Robert-le-Diable, qui se promenait comme un
1. Voir l’Art, i5° année, tome Ier, pages 145, 168, 281 et 266.
2. Il est déplorable, par exemple, que le Louvre ne conquière pas les Frago de Grasse.
3. L’Art a publié une série de reproductions de dessins de Fragonard et de gravures d’après ses œuvres. On les trouvera, 20 année,
tome I'r, pages 271 et 273; 3“ année, tome II, page 15g ; 5e année, tome IV, page 66; 9" année, tome I0'', pages 55 et 287, et 15° année,
tome I", pages 3o et 3i.