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L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne — 8,1.1906

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Mauclair, Camille: J.-J. Henner
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https://doi.org/10.11588/diglit.44813#0024

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L’ART DECORATIF

lumiere, notait la reaction un peu differente
d’un brun sur un rouge. C’etait son plaisir,
il n’aimait que cela au monde. II n’etait
meme pas preoccupe de l’inflexion d’un
mouvement, de la presentation originale
d’un raccourci, de la recherche d’une pose
surprise. II ne voyait avec amour que l’al-
liance des tons.
C’etait le coloriste, et le coloriste comme
on dit le bibliomane; c’etait un homme tout
occupe de quelques harmonies. II assistait
aux tentatives de ses contemporains avec
une profonde indifference et une bonhomie
narquoise, satisfait d’une seule recherche et
n’y touchant jamais assez, insatiable de la
couleur pour la couleur, et trouvant une
poesie dans ses lumieres nacrees comme
Corot dans ses gris. Magistral et monotone
virtuose, il etait un grand artiste parce
qu’il allait au fond de son desir. Rien de
moins academique que sa fagon de dessiner
par les volumes, d’exclure la ligne, de ne
s’attacher qu’au prestige des tons et ä la
richesse de la matiere : conception etroite
si l’on veut, mais conception glorieuse parce
qu’elle etait logique quant au fond, et celle
d’un ouvrier fou de son metier. Annuelle-
ment paraissait au Salon un de ces mor-
ceaux tetus et splendides. On pouvait s’en
irriter, tant ce recommencement contenait
de silencieux dementi aux preoccupations,
aux variations inquietes de l’ideal des autres
peintres. On boudait ä cette eternelle nyrnphe
couchee, ä cette eternelle Madeleine, ä ce
sempiternel effet de chair dans l’ombre, ä
cette immanquable chevelure tres rousse sur
une peau tres blanche. Mais le morceau
imposait le respect quand meme, parce que
de beaux tons avaient chante une fois de

plus, et on sentait bien que Biblis ou les
saintes femmes n’avaient lä aucune impor-
tance, et que Henner avait encore satisfait
ä sa passion de chercher, sur n’importe quel
therne, ce que peut imposer de magique ä
une retine humaine l’accord chromatique de
quelques tons.
Ce peintre qui n’avait que des pensees de
peintre, et qui ne faisait attention ä rien de
ce qui nous tourmente, absolument isole de
l'Institut et de l’art independant, nullement
poncif, classique sans servilite, relie aux
grands maitres, a peut-etre choisi la meil-
leure part en excluant de sa production vo-
lontairement etroite toute tentation d’idees
generales et d’innovations expressives.
L’oeuvre corrosive du temps ne peut rien
sur de telles Oeuvres. Le temps discute, pe-
rime, rejette des idees qui souleverent l’en-
thousiasme. Mais lorsqu’un peintre a fait
dejä la part du temps, lui ofifre le moins de
prise que possible en renongant ä toute
ideologie et se limite par avance ä l’indis-
pensable, il reunit des chances d’immorta-
lite. L’apport de Henner dans son temps
est nul. Plus fort que tous les academiques,
il continuait Correge et Prudhon, et n’in-
novait rien. Mais ses valeurs apparaitront
toujours justes, ses tons toujours puissants.
Il n’a peint que des morceaux de nu et des
chevelures. Mais tant qu’on s’interessera ä
un nu et ä une chevelure — et on s’y inte-
ressera bien apres avoir cesse de comprendre
les idees qui nous passionnent — on jugera
que Henner a peint avec force et beaute la
carnation d’un sein ou le flöt d’ambre d’une
torsade, choses universellement emouvantes
et comprehensibles.
Camille Maüclair.


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