L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne (8,1.1906)

fait depayse dans les bandes bru-
yantes de l’Ecole des Beaux-Arts,
ce reveur que la Bretagne avait
entoure si longtemps de son silence
meditatif. Rue Bonaparte et ä l’ate-
lier Julian, il etait en train d’acque-
rir unt labilete qui le laissait
cependant tourmente et mecontent
parce qu’il n’avait pas encore trouve
sa voie ou plutöt parce qu’il l’avait
perdue.
Un fait brutal allait achever
de desorienter le jeune artiste. Pre-
cedemment repu aux expositions de
la Societe des Artistes Francais, il
avait fait un serieux effort et compose,
en vue du Salon de 1896, un Ave
Maria sur lequel il fondait quel-
ques esperances de succes. Le ta-
bleau fut refuse, avec raison, avoue
aujourd’hui l’auteur qui fut alors
en proie ä la plus cruelle incer-
titude.
Que fallait-il faire pour bien
faire? Sans doute le chemin qu’il
avait pris n’etait pas celui qu’on lui


Petite Ouessantine
(Photographie Louis Lemery)


avait indique, puisqu’au carrefour
ou il arrivait il ne trouvait plus
ses maitres pour l’accueillir. Il
avait du s’egarer ä travers champs,
mais qui le remettrait dans la
bonne route? A son ciel artistique
la nuit seule planait, une nuit
sans etoile polaire et l’inquietude
augmentait dans son coeur.
Il prit la resolution d’aller
conter sa peine et de man der
conseil ä un peintre qu’il ad-
mirait et qu’il avait suivi au
Louvre dans des promenades
evocatrices, Gustave - Moreau. Il
lui porta son Ave Maria, quelques
portraits et une petite etude
d’Ouessantine, datant de sa jeu-
nesse de lyceen. Ce leger bagage
etale, il supplia le maitre de lui
di re en toute sincerite ce qu’il
en pensait, quelque brutale que
püt etre l’opinion.
— Vous allez etre votre propre
juge, dit Moreau. Que preferez-
vous dans tout cela ?
Timidement, Desire-Lucas

Tete de vieille bretonne
(Photographie Braun)

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