L’ART DECORATIF
RENfi MENARD
(Photographie Crevaux)
et galvaude le style admirable du portrait
en pied. Et pourtant il y a un tel peintre
de vraie race en M. ßoldini qu’on le devine
encore et qu’on s’en irrite davantage. Mais
quelle vulgarite pretentieuse, et oii prend-il
ses modele's, que sont les « comtesses » qu’il
peint? Sont-elles ainsi, les fait-il telles? Les
caricature-t-il, ou le poussent-elles a se ca-
ricaturer lui-meme? Je ne sais; mais s’il
n’avait jamais peint que de telles toiles,
nous n’aurions pas ä nous occuper de lui
presentement. II faut se rappeler certaines
etudes vraiment admirables, des fleurs, des
nus, des portraits masculins, pour se faire
de M. Boldini une idee authentique devant
l’idee fächeuse que donne ceci.
M. Thaulow, pour des raisons diffe-
rentes, conduit aux meines pensees. Sa pro-
digieuse rouerie de palette lui permettrait
de peindre trois mille paysages. Tous sont
excellents. Pourquoi faut-il que nul ne
parle ä l’äme, et que tous evoquent l’idee
de la photographie en couleurs ? C’est la
meine perfection mecanique dans la repro-
duction de l’eau, du ciel et du terrain, dans
l’adroite mise en place : c’est bien, tres bien,
et cela ne compte pas. C’est artistique tou-
jours, ce n’est jamais artiste. C’est du
Thaulow : tous les Thaulow sont bons, et
interchangeables. Et il y en a tellement
qu’on se demande comment l’auteur s’y re-
connait.
C’est encore une pensee analogue qui
vient a l’esprit devant les envois de M. Caro-
Delvaille. Mais avec quelle nuance d’inquiete
Sympathie ! On s’apergoit qu’il ne savait pas
tout tout de suite, qu’il cherche, qu’il a le
precieux don de se tromper, comme on doit
l’avoir normalement ä son age : et ce faux
peintre-prodige a le temps de devenir un vrai
bon peintre, ce qui est bien preferable. Pour
l’instant, il n’a plus les qualites qui plai-
saient et il n’a pas encore les autres. J’es-
pere que la joie de se voir delivre des pre-
mieres l’encouragera ä attendre d’avoir
acquis les secondes. Que n’oublie-t-il tout
ce qu’il a su avant de l’avoir appris 1 Alors
il apprendra ce qu’il ignore, et comme il
est doue et tres travailleur, il parviendra :
cela vaudra mieux que d’etre arrive. Per-
sonne ne nous a mieux montre ce que va-
lent exactement les qualites qui empörtem
le succes; a ce seul titre M. Caro-Delvaille
aurait droit ä compter dans l’histoire de la
peinture recente, mais il merite d’y compter
pour de meilleures raisons.
204
LA PEINTURE AUX SALONS
Terre Antique (Le Temple).
M. Lucien Simon semblait faillir, lui
aussi; sa fach .use tendance a la manicre
inutilement noire compromettait ses nobles
et fortes qualites. Le voici qui se ressaisit
admirablement. Son Jour d’ete est d’une
clarte, d’une delicatesse qui ravissent. Il y
a lä certains gris de Manet, et la meme
franchise large, des const ructions obtenues
par un seul contournement du pinceau riche
de matiere moelleuse, des touches superbes,
une verve saisissante. C’est beau parce que
c’est tres simple et plein de .vraie Science.
Certaines rudesses superflues, certains tons
brouilles et un peu sales ne compromettcnt
pas pourtant cet art si pleinement pictural,
qui resulte honnetement du seul jeu des
valeurs et qui recele, sous son realisme, un
don de tendre intimite. Les solides etudes
feminines de Cottet, pour etre encombrees
de cette noirceur deplaisante trop chere au
groupe des «Nubiens», perdent de la saveur
propre a ce jeune maitre. Nul, depuis Ma-
net, n’a su faire du noir un element deco-
ratif restant transparent et leger. Le noir
ne donne pas de style, ce sont les coloristes
qui lui en donnent. Il semble que M Dau-
chez l’ait bien compris. Il s’evade de plus
en plus des opacites, des ombres bitumeuses.
— (Decoration pour l’Ecole des Hautes-Etudes, a la Sorbonne")
(Soci6te Nationale)
Il gagne a cet abandon : son beau dessin
lui reste, et son coloris, jadis äpre et scc,
devient presque sonore. Ce peintre deviendra
l’un de nos premiers paysagistes ; il a tout
pour cela : la mise en cadre, l’aeration, le
style des plans... et le Sentiment des ter-
roirs soumis a sa contemplation pensive, le
sentiment qui manque a la plupart de ses
confreres actuels. II y a dans sa plus petite
etude tout ce qu’il n’y aura jamais dans
toute l’oeuvre, tellement plus habile, d’un
Thaulow,
Ce sentiment est aussi, au plus delicieux
degre, chez M. Emile Claus. Voilä l’exemple
meme de ce que peut donner la technique
impressionniste unie du dessin et surtout ä
l’amour de la physionomie d’un site. Il
suffit ä ce radieux luministe de regarder
autoiir de lui, dans sa jolie maison de
Flandre, pour creer une serie de merveilles.
Lyrique du grand soleil, Claus reste un
maitre lorsqu’il peint, comme presentement,
les voiles d’argent des brumes de septembre
sur les rideaux de peupliers. Son oeuvre est
le vaste poeme de la Campagne, eile est
toute parfumee d’un charme agreste, et ses
tonalites ont la fraicheur elle-meme des her-
bages luxuriants qui enrichissent son pays.
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RENfi MENARD
(Photographie Crevaux)
et galvaude le style admirable du portrait
en pied. Et pourtant il y a un tel peintre
de vraie race en M. ßoldini qu’on le devine
encore et qu’on s’en irrite davantage. Mais
quelle vulgarite pretentieuse, et oii prend-il
ses modele's, que sont les « comtesses » qu’il
peint? Sont-elles ainsi, les fait-il telles? Les
caricature-t-il, ou le poussent-elles a se ca-
ricaturer lui-meme? Je ne sais; mais s’il
n’avait jamais peint que de telles toiles,
nous n’aurions pas ä nous occuper de lui
presentement. II faut se rappeler certaines
etudes vraiment admirables, des fleurs, des
nus, des portraits masculins, pour se faire
de M. Boldini une idee authentique devant
l’idee fächeuse que donne ceci.
M. Thaulow, pour des raisons diffe-
rentes, conduit aux meines pensees. Sa pro-
digieuse rouerie de palette lui permettrait
de peindre trois mille paysages. Tous sont
excellents. Pourquoi faut-il que nul ne
parle ä l’äme, et que tous evoquent l’idee
de la photographie en couleurs ? C’est la
meine perfection mecanique dans la repro-
duction de l’eau, du ciel et du terrain, dans
l’adroite mise en place : c’est bien, tres bien,
et cela ne compte pas. C’est artistique tou-
jours, ce n’est jamais artiste. C’est du
Thaulow : tous les Thaulow sont bons, et
interchangeables. Et il y en a tellement
qu’on se demande comment l’auteur s’y re-
connait.
C’est encore une pensee analogue qui
vient a l’esprit devant les envois de M. Caro-
Delvaille. Mais avec quelle nuance d’inquiete
Sympathie ! On s’apergoit qu’il ne savait pas
tout tout de suite, qu’il cherche, qu’il a le
precieux don de se tromper, comme on doit
l’avoir normalement ä son age : et ce faux
peintre-prodige a le temps de devenir un vrai
bon peintre, ce qui est bien preferable. Pour
l’instant, il n’a plus les qualites qui plai-
saient et il n’a pas encore les autres. J’es-
pere que la joie de se voir delivre des pre-
mieres l’encouragera ä attendre d’avoir
acquis les secondes. Que n’oublie-t-il tout
ce qu’il a su avant de l’avoir appris 1 Alors
il apprendra ce qu’il ignore, et comme il
est doue et tres travailleur, il parviendra :
cela vaudra mieux que d’etre arrive. Per-
sonne ne nous a mieux montre ce que va-
lent exactement les qualites qui empörtem
le succes; a ce seul titre M. Caro-Delvaille
aurait droit ä compter dans l’histoire de la
peinture recente, mais il merite d’y compter
pour de meilleures raisons.
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LA PEINTURE AUX SALONS
Terre Antique (Le Temple).
M. Lucien Simon semblait faillir, lui
aussi; sa fach .use tendance a la manicre
inutilement noire compromettait ses nobles
et fortes qualites. Le voici qui se ressaisit
admirablement. Son Jour d’ete est d’une
clarte, d’une delicatesse qui ravissent. Il y
a lä certains gris de Manet, et la meme
franchise large, des const ructions obtenues
par un seul contournement du pinceau riche
de matiere moelleuse, des touches superbes,
une verve saisissante. C’est beau parce que
c’est tres simple et plein de .vraie Science.
Certaines rudesses superflues, certains tons
brouilles et un peu sales ne compromettcnt
pas pourtant cet art si pleinement pictural,
qui resulte honnetement du seul jeu des
valeurs et qui recele, sous son realisme, un
don de tendre intimite. Les solides etudes
feminines de Cottet, pour etre encombrees
de cette noirceur deplaisante trop chere au
groupe des «Nubiens», perdent de la saveur
propre a ce jeune maitre. Nul, depuis Ma-
net, n’a su faire du noir un element deco-
ratif restant transparent et leger. Le noir
ne donne pas de style, ce sont les coloristes
qui lui en donnent. Il semble que M Dau-
chez l’ait bien compris. Il s’evade de plus
en plus des opacites, des ombres bitumeuses.
— (Decoration pour l’Ecole des Hautes-Etudes, a la Sorbonne")
(Soci6te Nationale)
Il gagne a cet abandon : son beau dessin
lui reste, et son coloris, jadis äpre et scc,
devient presque sonore. Ce peintre deviendra
l’un de nos premiers paysagistes ; il a tout
pour cela : la mise en cadre, l’aeration, le
style des plans... et le Sentiment des ter-
roirs soumis a sa contemplation pensive, le
sentiment qui manque a la plupart de ses
confreres actuels. II y a dans sa plus petite
etude tout ce qu’il n’y aura jamais dans
toute l’oeuvre, tellement plus habile, d’un
Thaulow,
Ce sentiment est aussi, au plus delicieux
degre, chez M. Emile Claus. Voilä l’exemple
meme de ce que peut donner la technique
impressionniste unie du dessin et surtout ä
l’amour de la physionomie d’un site. Il
suffit ä ce radieux luministe de regarder
autoiir de lui, dans sa jolie maison de
Flandre, pour creer une serie de merveilles.
Lyrique du grand soleil, Claus reste un
maitre lorsqu’il peint, comme presentement,
les voiles d’argent des brumes de septembre
sur les rideaux de peupliers. Son oeuvre est
le vaste poeme de la Campagne, eile est
toute parfumee d’un charme agreste, et ses
tonalites ont la fraicheur elle-meme des her-
bages luxuriants qui enrichissent son pays.
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