L’ART DÉCORATIF
249
juger par quelques fragments isolés. Sa caractéristique est justement dans l’abon-
dance des monuments dont il a parsemé chaque province, et dont il faut aller sur
place reconnaître le nombre et l’intérêt. La pensée de Çâkya-mouni a suscité là-bas
une profusion de systèmes qui se combattent ou se complètent, croissent avec une
extrême rapidité pour périr étouffés par d’autres, rappelant l’exubérance de la végé-
tation tropicale. Ce sont les mouvements d’une pensée puissante, mais désordonnée,
qui s’élance, se lasse vite, retombe sur elle-même et rebondit dans un effort encore
incomplet. Multiple, généreux, parfois contradictoire, toujours renaissant, ingénieux,
inépuisable, l’art hindou représente exactement cette débauche de l’imagination
religieuse.
*
* *
Ne cherchons pas à suivre le développement historique du Bouddhisme à travers
l’Asie. Dans l’état de nos connaissances actuelles, trop de lacunes nous en empêchent.
« Du Bouddhisme, disait quelque part l’éminent orientaliste, M. Barth, nous n’avons
même pas l’histoire au sens le plus modeste du mot. » Aussi bien, l’étude comparée
des diverses formes d’art est-elle celle qui nous importe surtout.
Cet art bouddhique, après l’avoir vu s’élaborer dans l’Inde sous une inlluence
grecque, nous en suivrons la trace à travers le Turkestan, grâce aux explorations des
missions russes, des missions allemandes Grünwedel et von Lecoq, de la mission
anglaise Aurel Stein, de la mission française PaulPelliot. Le voici qui atteint la Chine
du Nord. Les enseignements rapportés par M. Chavannes de sa Mission dans la
Chine Septentrionale, nous permettent de l’étudier dans ses manifestations caractéris-
tiques de Yun-kang (Ve siècle de notre ère) et de Long-men (VIIIe siècle). Les sculplures
exposées au musée Cernuschi, particulièrement abondantes dans la série chinoise,
nous présentent enfin d’utiles précisions.
La première constatation est que le Bouddhisme et l’art issu de lui, se heurtaient,
en Chine, à une civilisation déjà vieille de plusieurs dizaines de siècles, parfaitement
organisée, et que l’on peut considérer comme ayant atteint une réelle perfection, aussi
bien dans les institutions sociales que dans les domaines de la pensée et des arts. Le
génie chinois n’est point, d’autre part, de ceux qui s’opposent violemment aux acqui-
sitions étrangères; il a trop conscience de son originalité, de sa robuste faculté d’assi-
milation, pour se fermer à des formes nouvelles, capables d’enrichir sa sensibilité. Vis-
à-vis du Bouddhisme, il sut montrer que son intelligente tolérance s’appliquait aussi
bien aux choses de la beauté qu’à celles de la religion.
L’examen des stèles bouddhiques chinoises, dont le plus grand nombre se placent
entre les VIe et VIIIe siècles, est particulièrement instructif à cet égard. C’est
lui qui permettra, sans doute, d’évaluer l’importance de l’apport venu de l’Inde, dans
l’art héréditaire de la Chine.
Déjà, en comparant les sculptures proprement chinoises, antérieures à l’introduc-
tion du Bouddhisme et datant de l’époque Han (IIe siècle avant J.-C., IIe siècle après
J.-C.), avec certaines des stèles bouddhiques exposées au musée Cernuschi, M. Victor
Goloubew a pu montrer, récemment, dans une de ses conférences de l’École des
Langues orientales, comment la sculpture des Han, qui ne connaissait ou ne voulait
249
juger par quelques fragments isolés. Sa caractéristique est justement dans l’abon-
dance des monuments dont il a parsemé chaque province, et dont il faut aller sur
place reconnaître le nombre et l’intérêt. La pensée de Çâkya-mouni a suscité là-bas
une profusion de systèmes qui se combattent ou se complètent, croissent avec une
extrême rapidité pour périr étouffés par d’autres, rappelant l’exubérance de la végé-
tation tropicale. Ce sont les mouvements d’une pensée puissante, mais désordonnée,
qui s’élance, se lasse vite, retombe sur elle-même et rebondit dans un effort encore
incomplet. Multiple, généreux, parfois contradictoire, toujours renaissant, ingénieux,
inépuisable, l’art hindou représente exactement cette débauche de l’imagination
religieuse.
*
* *
Ne cherchons pas à suivre le développement historique du Bouddhisme à travers
l’Asie. Dans l’état de nos connaissances actuelles, trop de lacunes nous en empêchent.
« Du Bouddhisme, disait quelque part l’éminent orientaliste, M. Barth, nous n’avons
même pas l’histoire au sens le plus modeste du mot. » Aussi bien, l’étude comparée
des diverses formes d’art est-elle celle qui nous importe surtout.
Cet art bouddhique, après l’avoir vu s’élaborer dans l’Inde sous une inlluence
grecque, nous en suivrons la trace à travers le Turkestan, grâce aux explorations des
missions russes, des missions allemandes Grünwedel et von Lecoq, de la mission
anglaise Aurel Stein, de la mission française PaulPelliot. Le voici qui atteint la Chine
du Nord. Les enseignements rapportés par M. Chavannes de sa Mission dans la
Chine Septentrionale, nous permettent de l’étudier dans ses manifestations caractéris-
tiques de Yun-kang (Ve siècle de notre ère) et de Long-men (VIIIe siècle). Les sculplures
exposées au musée Cernuschi, particulièrement abondantes dans la série chinoise,
nous présentent enfin d’utiles précisions.
La première constatation est que le Bouddhisme et l’art issu de lui, se heurtaient,
en Chine, à une civilisation déjà vieille de plusieurs dizaines de siècles, parfaitement
organisée, et que l’on peut considérer comme ayant atteint une réelle perfection, aussi
bien dans les institutions sociales que dans les domaines de la pensée et des arts. Le
génie chinois n’est point, d’autre part, de ceux qui s’opposent violemment aux acqui-
sitions étrangères; il a trop conscience de son originalité, de sa robuste faculté d’assi-
milation, pour se fermer à des formes nouvelles, capables d’enrichir sa sensibilité. Vis-
à-vis du Bouddhisme, il sut montrer que son intelligente tolérance s’appliquait aussi
bien aux choses de la beauté qu’à celles de la religion.
L’examen des stèles bouddhiques chinoises, dont le plus grand nombre se placent
entre les VIe et VIIIe siècles, est particulièrement instructif à cet égard. C’est
lui qui permettra, sans doute, d’évaluer l’importance de l’apport venu de l’Inde, dans
l’art héréditaire de la Chine.
Déjà, en comparant les sculptures proprement chinoises, antérieures à l’introduc-
tion du Bouddhisme et datant de l’époque Han (IIe siècle avant J.-C., IIe siècle après
J.-C.), avec certaines des stèles bouddhiques exposées au musée Cernuschi, M. Victor
Goloubew a pu montrer, récemment, dans une de ses conférences de l’École des
Langues orientales, comment la sculpture des Han, qui ne connaissait ou ne voulait