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MÉLANGES D'ARCHÉOLOGIE.
Les livres sont écrits sur parchemin, avec la plume ou le roseau taillé, de cette écriture
hispano-romaine si belle et si nette que supplanta, vers la tin duxi* siècle, l'écriture fran-
çaise (alias introduite en Espagne par les moines de Cluny, qui franchement au-
raient bien pu se dispenser de cette réforme aussi inutile que malencontreuse*. Il existe
en Espagne au temps des Wisigoths, comme sous 1ère impériale, des A'àrarM en grand
nombre et de condition diverse. Les uns, qu'on peut assimiler à nos imprimeurs-libraires,
sont de vrais commerçants qui vendent au public lettré les ouvrages anciens ou nouveaux
sortis de leur officine, et qui les lui vendent fort cher, comme le prouve la loi de Réces-
wintbe que j'ai citée ailleurs et qui fixe au prix de vente du un yTM.zwmw
très-élevé que l'on ne pourra dépasser sans payer une forte amende L Ces toujours
à l'affût des ouvrages sortis de la plume des écrivains en renom, s'empressent de les repro-
duire par eux-mêmes ou par les copistes à leurs gages, en toute hâte, sans souci de la cor-
rection et de l'intégrité du texte. Parfois même, ils n'attendent pas que leurs livres aient
reçu la dernière main. Ils s'en procurent, Dieu sait par quels moyens, des copies fautives,
incomplètes, défigurées; les multiplient et en inondent le marché, avant que le destinataire
de l'ouvrage ait reçu l'exemplaire promis et impatiemment attendu**. Aussi les amateurs
éclairés avaient-ils grand soin de soumettre à la révision de censeurs d'une science — ajou-
tons et d'une patience — éprouvée, les volumes acquis de ces trabcants avant de leur assi-
gner dans leur bibliothèque la place d'honneur qu'ils devaient y occuper*.
D'autres A'àrtürM n'ont directement rien à démêler avec le public. Exclusivement attachés
au service de simples particuliers, ou de corporations, c'est à leurs maîtres quels qu'ils
soient que revient le fruit de leur travail. Les princes et les seigneurs dont nous connais-
sons déjà les goûts littéraires, ceux-là surtout qui s'accordent le luxe d'une bibliothèque, y
ajoutent probablement celui d'un où des copistes à leurs ordres travaillent sans
relâche à grossir le nombre de volumes que possèdent les patrons. Mais sur ce point le
silence des documents contemporains nous condamne à des conjectures plus ou moins
plausibles. En revanche, nous sommes certain qu'Isidore a des qui, renfermés dans
le.$cn))?o?'ûu?? du palais épiscopal de Séville**, transcrivent les œuvres du saint Docteur ou
d'autres écrivains célèbres. Saint Braulion et saint Julien de Tolède, s'ils n'ont pas sous
leur toit un atelier calligraphique au complet, ont du moins à leur disposition des secrétaires
qui, au premier signal, viennent écrire sous leur dictée la vie d'un saint personnage, ou
le plan et les divisions principales d'un traité qu'ils se proposent de composer plus tard,
aux heures de loisir**. Chaque monastère de quelque importance, et l'on sait qu'au vn° siècle
complit sous ses yeux? Voilà ce qu'il n'est pus toujours
facite de deviner, et ce qui restreint singulièrement l'usage
que je pourrais faire ici de cette source abondante d'infor-
mations.
). Et môme nuisible; car évidemment bon nombre des
anciens et précieux manuscrits de l'Espagne gothique, deve-
nus àpeu prèsindëchiffrâbles pourlesnouvelles générations,
se trouvèrent de ce chef voués à l'oubli et à l'abandon,
préludes d'une destruction complète.
2. V. plus haut, p. 230, not. 3.
3. Cf. 8. Braul. Æpisf. 3 supr. cit. (p. 237, not. 8).
4. H s'agit, je crois, d'un manuscrit de cette provenance
dans le passage suivant d'une lettre de saint Brauüon à
Réccswinthe : K Quotiens de emendatione ejus (eocHcis) des-
peraverim, quotiensque... cessaverim, et rursus... adopus
interdimissum redierim in ejus versuum additamenta vel
litterarum abolimenta, Gloriæ vestræ patebit. Nam tantis
obrutus est negligentiis scribarum, ut vix reperiatur senten-
tia quæ emendari non debeat; ac sic compendiosius fuerat
denuo scribi, quam possit scriptus emendari. " Braul.
Æpist. 38. J'ai dit t< je crois r par égard pour le personnel
du scriptoriam royal, qu'il me déplairait de le supposer ca-
pable de tant d'étourderie ou de négligence.
3. Voir parmi les inscriptions de la bibliothèque Isido-
rienne, le ï%Mhts Scriptorii. (Æsp. sagr., IX, 379.)
6. K Notitia ilia diu perdita, subito inventa est non quæ-
sita... ut... tam crebræ petitioni vestræ parerem. Quocirca
dictavi ut potui, et piano apertoque sermone... libellum de
ejusdem sancti vita brevem conscripsi, ut possit in missæ
ejus celebritate quantocius legi. " Braul. Præ/'. ÉpistoZar. in
MÉLANGES D'ARCHÉOLOGIE.
Les livres sont écrits sur parchemin, avec la plume ou le roseau taillé, de cette écriture
hispano-romaine si belle et si nette que supplanta, vers la tin duxi* siècle, l'écriture fran-
çaise (alias introduite en Espagne par les moines de Cluny, qui franchement au-
raient bien pu se dispenser de cette réforme aussi inutile que malencontreuse*. Il existe
en Espagne au temps des Wisigoths, comme sous 1ère impériale, des A'àrarM en grand
nombre et de condition diverse. Les uns, qu'on peut assimiler à nos imprimeurs-libraires,
sont de vrais commerçants qui vendent au public lettré les ouvrages anciens ou nouveaux
sortis de leur officine, et qui les lui vendent fort cher, comme le prouve la loi de Réces-
wintbe que j'ai citée ailleurs et qui fixe au prix de vente du un yTM.zwmw
très-élevé que l'on ne pourra dépasser sans payer une forte amende L Ces toujours
à l'affût des ouvrages sortis de la plume des écrivains en renom, s'empressent de les repro-
duire par eux-mêmes ou par les copistes à leurs gages, en toute hâte, sans souci de la cor-
rection et de l'intégrité du texte. Parfois même, ils n'attendent pas que leurs livres aient
reçu la dernière main. Ils s'en procurent, Dieu sait par quels moyens, des copies fautives,
incomplètes, défigurées; les multiplient et en inondent le marché, avant que le destinataire
de l'ouvrage ait reçu l'exemplaire promis et impatiemment attendu**. Aussi les amateurs
éclairés avaient-ils grand soin de soumettre à la révision de censeurs d'une science — ajou-
tons et d'une patience — éprouvée, les volumes acquis de ces trabcants avant de leur assi-
gner dans leur bibliothèque la place d'honneur qu'ils devaient y occuper*.
D'autres A'àrtürM n'ont directement rien à démêler avec le public. Exclusivement attachés
au service de simples particuliers, ou de corporations, c'est à leurs maîtres quels qu'ils
soient que revient le fruit de leur travail. Les princes et les seigneurs dont nous connais-
sons déjà les goûts littéraires, ceux-là surtout qui s'accordent le luxe d'une bibliothèque, y
ajoutent probablement celui d'un où des copistes à leurs ordres travaillent sans
relâche à grossir le nombre de volumes que possèdent les patrons. Mais sur ce point le
silence des documents contemporains nous condamne à des conjectures plus ou moins
plausibles. En revanche, nous sommes certain qu'Isidore a des qui, renfermés dans
le.$cn))?o?'ûu?? du palais épiscopal de Séville**, transcrivent les œuvres du saint Docteur ou
d'autres écrivains célèbres. Saint Braulion et saint Julien de Tolède, s'ils n'ont pas sous
leur toit un atelier calligraphique au complet, ont du moins à leur disposition des secrétaires
qui, au premier signal, viennent écrire sous leur dictée la vie d'un saint personnage, ou
le plan et les divisions principales d'un traité qu'ils se proposent de composer plus tard,
aux heures de loisir**. Chaque monastère de quelque importance, et l'on sait qu'au vn° siècle
complit sous ses yeux? Voilà ce qu'il n'est pus toujours
facite de deviner, et ce qui restreint singulièrement l'usage
que je pourrais faire ici de cette source abondante d'infor-
mations.
). Et môme nuisible; car évidemment bon nombre des
anciens et précieux manuscrits de l'Espagne gothique, deve-
nus àpeu prèsindëchiffrâbles pourlesnouvelles générations,
se trouvèrent de ce chef voués à l'oubli et à l'abandon,
préludes d'une destruction complète.
2. V. plus haut, p. 230, not. 3.
3. Cf. 8. Braul. Æpisf. 3 supr. cit. (p. 237, not. 8).
4. H s'agit, je crois, d'un manuscrit de cette provenance
dans le passage suivant d'une lettre de saint Brauüon à
Réccswinthe : K Quotiens de emendatione ejus (eocHcis) des-
peraverim, quotiensque... cessaverim, et rursus... adopus
interdimissum redierim in ejus versuum additamenta vel
litterarum abolimenta, Gloriæ vestræ patebit. Nam tantis
obrutus est negligentiis scribarum, ut vix reperiatur senten-
tia quæ emendari non debeat; ac sic compendiosius fuerat
denuo scribi, quam possit scriptus emendari. " Braul.
Æpist. 38. J'ai dit t< je crois r par égard pour le personnel
du scriptoriam royal, qu'il me déplairait de le supposer ca-
pable de tant d'étourderie ou de négligence.
3. Voir parmi les inscriptions de la bibliothèque Isido-
rienne, le ï%Mhts Scriptorii. (Æsp. sagr., IX, 379.)
6. K Notitia ilia diu perdita, subito inventa est non quæ-
sita... ut... tam crebræ petitioni vestræ parerem. Quocirca
dictavi ut potui, et piano apertoque sermone... libellum de
ejusdem sancti vita brevem conscripsi, ut possit in missæ
ejus celebritate quantocius legi. " Braul. Præ/'. ÉpistoZar. in