CINQUANTE-TROISIEME ANNEE,
uw Numéro ; 95 centimes
MARDI l'f JANVIER 188*
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 20 fr.
Six mois. 40 —
Un an. 80 —
L’abonnement d un an donne droit à la prime gratïi
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef.
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, FERMIER DE LA PUBLICITÉ
Rue Joquelet, 11
CHARIVARI
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 fr.
Six mois. 36 —
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Les abonnements parlent des i" et 16 de chaque mois
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Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef.
BUREAUX
DE LA RÉDACTION ET DE L’ADMINISTRATION
Rue de la Victoire, 20
LE
Les ateliers du Charivari étant fermés le Jour de
Van, le journal ne paraîtra pas demain mercredi.
BULLETIN POLITIQUE
L’année a fini assez gaiement au Conseil muni-
cipal, grâce à M. Jobbé-Duval, qui nous paraît
apporter dans la politique toute sa fantaisie d’ar-
tiste.
Vous vous rappelez la longue lutte soutenue, au
temps de M. Thiers, pour ramener à Paris le gou-
vernement et les Chambres.
M. Jobbé-Duval prend la question à rebrousse-
poil. Il entend maintenant mettre les Chambres et
le gouvernement à la porte.
La théorie n’est-elle pas nouvelle ? Avais-je tor*'
de la proclamer fantaisiste ?
Périsse Paris capitale, pourvu qu’on ait Paris
commune. Voilà le système de M. Jobbé-Duval.
— On nous refuse, dit-il, les droits et les libertés
qu’on accorde à un simple village.
Pourquoi ?
Sous prétexte que, Paris étant habité par les
pouvoirs publics, il faut sauvegarder leur sécurité
par des procédés spéciaux.
Eh bien ! que les pouvoirs publics s’en aillent !
Cet excellent M. Jobbé-Duval est convaincu, j’en
suis certain, qu’il vient d’avoir là une inspiration
hors ligne.
Malheureusement il n’a pas pensé à tout.
Ce n’est pas seulement le séjour des pouvoirs pu-
blics qui fait de Paris une ville exceptionnelle. Pa-
ris a des écoles, Paris a des musées, Paris a deâ
établissements de tout genre qui sont en réalité la
propriété de la France entière. Il faudrait aussi les
emmener et les porter ailleurs.
Mais alors, — et voilà où la logique de M. Jobbé-
Duval a trébuché, — mais alors c’est cet ailleursAk
qui deviendra un autre Paris, où un autre conseil
municipal, avec un autre Jobbé-Duval, ne tarderait
pas à faire entendre ses doléances. D’où la néces-
sité d’une nouvellé émigration.
Et ainsi de suite.
Voyez-vous d’ici cette hégire perpétuelle ! Ce se-
rait tout à fait vaudevillesque.
A moins qu’un Jobbé-Duval plus déterminé en-
core ne propose un projet de loi ainsi conçu :
« Considérant que la présence des pouvoirs pu-
blics est toujours une gêne pour les libertés d’une
commune :
» Article premier. Désormais les pouvoirs pu-
blics n’auront plus de résidence fixe.
» Art. 2. Ils habiteront dans ces voitures de sal-
timbanques dites baladeuses.
» Art. 3. Ils ne pourront stationner qu’à une dis-
tance d’environ deux kilomètres de tout lieu habité.
» Art. 4. Leur séjour ne pourra se prolonger sur le
même emplacement pendant plus de vingt-quatre
heures.
» Art. 5. La gendarmerie est chargée de veiller à
l’exécution de la présente loi et d’arrêter, au besoin,
sénateurs, députés, ministres ou président de la Ré-
publique dont la baladeuse aurait refusé de circuler
à la première sommation. »
A la bonne heure ! voilà qui serait encore puis
jobbé-duvaliste.
Convenez que vous ne vous attendiez pas à celle-
là.
La plaisanterie arrive d’ailleurs à propos. On n’est
pas gai, à la fin de l’année, avec un ciel sombre
comme celui qui nous écrase de sa calotte de plomb,
avec le souci des étrenues, avec un tas de choses
moroses et spleenogènes.
Ainsi l’aura sans doute pensé M. Jobbé-Duval. Il
se sera dit que sa petite proposition égayerait sin-
gulièrement le paysage. C’est gentil de sa part. Il
convient de lui en savoir gré.
On ne saura jamais le dernier mot de l’intrigue
jéromo-victoriste.
Le jeune prétendant forcé a écrit de nouveau à
papa.
Il est de plus eu plus filial.
Mais ses partisans sont de plus en plus acharnés
contre ledit papa, qu’on traite comme un bandit.
C’est un autre intermède comique, qui lait con-
currence à M. Jobbé-Duval lui-même.
Allons ! l’année n’a pas fini trop lugubrement.
Les diamants de la couronne vont être vendus.
Cette fois, pa3 de recours. La commission du
Sénat, en effet, se rallie à la proposition votée par
la Chambre.
Nous allons entendre la reprise en chœur des la-
mentations connues.
Il n’y a pas à s’en émouvoir.
La France n’est pas assez riche pour se payer la
gloire de garder ces diamants sans emploi.
Les couronnes lui ont, hélas ! coûté assez cher !
En voilà une qui va rapporter.
Ça nous changera.
(
Pierre Véron.
FERDINAND DE LESSEPS
Lui partout ! Toujours son nom sur l’affiche, lors-
qu’il s’agit d’une grande œuvre — ou d’une bonne
œuvre.
Ce n’est pas une statuette que mérite un tel mo-
dèle. C’est une statue.
Elle viendra.
En attendant, mon très humble ciseau veut avoir
l’honneur de reproduire cette figure faite pour la
postérité.
La prodigieuse puissance de cette nature excep-
tionnellement douée vient de l’alliance rare de deux
qualités qui, avec le tempérament français, s’ex-
cluent presque toujours.
M. de Lesseps est à la lois l’activité et la patience.
D’ordinaire les actifs tournent aux brouillons, chez
nous.
Ils deviennent des agités et ne savent pai rester
des réfléchis.
Lui, au contraire, en se dépensant tout entier sait
attendre les résultats aussi longtemps qu’il le faut.
C’est un semeur perpétuel qui n’a pas la préten-
tion d’être un moissonneur instantané. Il laisse
germer les idées et mûrir les projets.
11 a la ténacité douce, confiante, qui accomplit
des prodiges.
Il ne frappe pas à tour de bras sur le clou. Il
enfonce lentement, sûrement, sans arrêts, la vis qui
doit pénétrer quand même.
Pas trace de névrose dans sfin ardeur mesurée.
Elle dévore, — mais elle digère.
Oh ! ne pas être déséquilibré par les nerfs ! Quelle
force au milieu de la trépidation générale 1
Yoyez-le.
Son aspect même le révèle tel qu’il est.
La démarche est ferme et placide en même temps.
Un pas qui ne s’efforce pas de courir, mais qui ne
sc lasse pas de marcher.
Jamais d’emballements suivis de défaillances.
L’égalité soutenue de la volonté persévérante.
C’est bien l’homme.
La physionomie a la bonhomie qui sourit et con-
quiert. Elle a aussi la décision qui persuade.
L’œil noir a conservé tout le rayonnement de la
jeunesse. Les traits ont tout l’accent de la virilité.
Le nez se busqué légèrement.
Le menton s’accuse bien.
La mâchoire s’attache solidement et dit celui qui
ne lâche pas prise.
Les cheveux, drus et coupés court, indiquent
aussi que la sève court toujours dans ce corps, qui
défie toutes les luttes.
Ecoutez maintenant.
La parole est d’accord avec le reste du signale-
ment.
Pas de pétulance inutile. Pas d’éclats factices.
Elle cause, elle ne déclame pas.
Elle éclaire toute discussion non pas avec les se-
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Les ateliers du Charivari étant fermés le Jour de
Van, le journal ne paraîtra pas demain mercredi.
BULLETIN POLITIQUE
L’année a fini assez gaiement au Conseil muni-
cipal, grâce à M. Jobbé-Duval, qui nous paraît
apporter dans la politique toute sa fantaisie d’ar-
tiste.
Vous vous rappelez la longue lutte soutenue, au
temps de M. Thiers, pour ramener à Paris le gou-
vernement et les Chambres.
M. Jobbé-Duval prend la question à rebrousse-
poil. Il entend maintenant mettre les Chambres et
le gouvernement à la porte.
La théorie n’est-elle pas nouvelle ? Avais-je tor*'
de la proclamer fantaisiste ?
Périsse Paris capitale, pourvu qu’on ait Paris
commune. Voilà le système de M. Jobbé-Duval.
— On nous refuse, dit-il, les droits et les libertés
qu’on accorde à un simple village.
Pourquoi ?
Sous prétexte que, Paris étant habité par les
pouvoirs publics, il faut sauvegarder leur sécurité
par des procédés spéciaux.
Eh bien ! que les pouvoirs publics s’en aillent !
Cet excellent M. Jobbé-Duval est convaincu, j’en
suis certain, qu’il vient d’avoir là une inspiration
hors ligne.
Malheureusement il n’a pas pensé à tout.
Ce n’est pas seulement le séjour des pouvoirs pu-
blics qui fait de Paris une ville exceptionnelle. Pa-
ris a des écoles, Paris a des musées, Paris a deâ
établissements de tout genre qui sont en réalité la
propriété de la France entière. Il faudrait aussi les
emmener et les porter ailleurs.
Mais alors, — et voilà où la logique de M. Jobbé-
Duval a trébuché, — mais alors c’est cet ailleursAk
qui deviendra un autre Paris, où un autre conseil
municipal, avec un autre Jobbé-Duval, ne tarderait
pas à faire entendre ses doléances. D’où la néces-
sité d’une nouvellé émigration.
Et ainsi de suite.
Voyez-vous d’ici cette hégire perpétuelle ! Ce se-
rait tout à fait vaudevillesque.
A moins qu’un Jobbé-Duval plus déterminé en-
core ne propose un projet de loi ainsi conçu :
« Considérant que la présence des pouvoirs pu-
blics est toujours une gêne pour les libertés d’une
commune :
» Article premier. Désormais les pouvoirs pu-
blics n’auront plus de résidence fixe.
» Art. 2. Ils habiteront dans ces voitures de sal-
timbanques dites baladeuses.
» Art. 3. Ils ne pourront stationner qu’à une dis-
tance d’environ deux kilomètres de tout lieu habité.
» Art. 4. Leur séjour ne pourra se prolonger sur le
même emplacement pendant plus de vingt-quatre
heures.
» Art. 5. La gendarmerie est chargée de veiller à
l’exécution de la présente loi et d’arrêter, au besoin,
sénateurs, députés, ministres ou président de la Ré-
publique dont la baladeuse aurait refusé de circuler
à la première sommation. »
A la bonne heure ! voilà qui serait encore puis
jobbé-duvaliste.
Convenez que vous ne vous attendiez pas à celle-
là.
La plaisanterie arrive d’ailleurs à propos. On n’est
pas gai, à la fin de l’année, avec un ciel sombre
comme celui qui nous écrase de sa calotte de plomb,
avec le souci des étrenues, avec un tas de choses
moroses et spleenogènes.
Ainsi l’aura sans doute pensé M. Jobbé-Duval. Il
se sera dit que sa petite proposition égayerait sin-
gulièrement le paysage. C’est gentil de sa part. Il
convient de lui en savoir gré.
On ne saura jamais le dernier mot de l’intrigue
jéromo-victoriste.
Le jeune prétendant forcé a écrit de nouveau à
papa.
Il est de plus eu plus filial.
Mais ses partisans sont de plus en plus acharnés
contre ledit papa, qu’on traite comme un bandit.
C’est un autre intermède comique, qui lait con-
currence à M. Jobbé-Duval lui-même.
Allons ! l’année n’a pas fini trop lugubrement.
Les diamants de la couronne vont être vendus.
Cette fois, pa3 de recours. La commission du
Sénat, en effet, se rallie à la proposition votée par
la Chambre.
Nous allons entendre la reprise en chœur des la-
mentations connues.
Il n’y a pas à s’en émouvoir.
La France n’est pas assez riche pour se payer la
gloire de garder ces diamants sans emploi.
Les couronnes lui ont, hélas ! coûté assez cher !
En voilà une qui va rapporter.
Ça nous changera.
(
Pierre Véron.
FERDINAND DE LESSEPS
Lui partout ! Toujours son nom sur l’affiche, lors-
qu’il s’agit d’une grande œuvre — ou d’une bonne
œuvre.
Ce n’est pas une statuette que mérite un tel mo-
dèle. C’est une statue.
Elle viendra.
En attendant, mon très humble ciseau veut avoir
l’honneur de reproduire cette figure faite pour la
postérité.
La prodigieuse puissance de cette nature excep-
tionnellement douée vient de l’alliance rare de deux
qualités qui, avec le tempérament français, s’ex-
cluent presque toujours.
M. de Lesseps est à la lois l’activité et la patience.
D’ordinaire les actifs tournent aux brouillons, chez
nous.
Ils deviennent des agités et ne savent pai rester
des réfléchis.
Lui, au contraire, en se dépensant tout entier sait
attendre les résultats aussi longtemps qu’il le faut.
C’est un semeur perpétuel qui n’a pas la préten-
tion d’être un moissonneur instantané. Il laisse
germer les idées et mûrir les projets.
11 a la ténacité douce, confiante, qui accomplit
des prodiges.
Il ne frappe pas à tour de bras sur le clou. Il
enfonce lentement, sûrement, sans arrêts, la vis qui
doit pénétrer quand même.
Pas trace de névrose dans sfin ardeur mesurée.
Elle dévore, — mais elle digère.
Oh ! ne pas être déséquilibré par les nerfs ! Quelle
force au milieu de la trépidation générale 1
Yoyez-le.
Son aspect même le révèle tel qu’il est.
La démarche est ferme et placide en même temps.
Un pas qui ne s’efforce pas de courir, mais qui ne
sc lasse pas de marcher.
Jamais d’emballements suivis de défaillances.
L’égalité soutenue de la volonté persévérante.
C’est bien l’homme.
La physionomie a la bonhomie qui sourit et con-
quiert. Elle a aussi la décision qui persuade.
L’œil noir a conservé tout le rayonnement de la
jeunesse. Les traits ont tout l’accent de la virilité.
Le nez se busqué légèrement.
Le menton s’accuse bien.
La mâchoire s’attache solidement et dit celui qui
ne lâche pas prise.
Les cheveux, drus et coupés court, indiquent
aussi que la sève court toujours dans ce corps, qui
défie toutes les luttes.
Ecoutez maintenant.
La parole est d’accord avec le reste du signale-
ment.
Pas de pétulance inutile. Pas d’éclats factices.
Elle cause, elle ne déclame pas.
Elle éclaire toute discussion non pas avec les se-