Le charivari (59.1890)

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Mais, sans remonter si haut, regardez un peu le qua-
drille, j’entends le quadrille dans sa primitivité naïve,
avec les chaînes des dames et les balancés. Est-il possible
d’imaginer quelque chose qui symbolise plus fidèle-
ment l’ère du bourgeoisisme que ces internions d’élé-
gances doublées de maladresse, que ces avant-deux où
le parvenu étale complaisamment ses bottes et ses grâ-
ces neuves?

Le quadrille fut à la danse ce que la romance est à la
musique : de la fantaisie terre à terre, do l’aspiration
banale, de la prudhommie ambitieuse.

Par là-dessus un beau matin est arrivé le réalisme
qui s’est retroussé les manches à la Chicard, et se plan-
tant le poing sur la hanche, a de sa voix enrouée crié
au dernier poste du culte de la trénisse :

— As-tu fini, pauvre trésor!

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Encore une synthèse, s’il vous plaît, que le cancan.

Le cancan, c’est l’emblème de la vie à outrance que
nous sommes condamnés à vivre désormais de plus en
plus;

C’est l’originalité tourmentée des poètes matérialistes
qui laudelairisent avec rimes, mais sans raison, et, par
amour de l’originalité, marchent sur les mains, sous
prétexte que tout le monde marche ordinairement sur
les pieds ;

C’est le pinceau exaspéré de certains maîtres peintres
qui dégingandent l’art, sous prétexte que son tempé-
rament épuisé a besoin d’exercices gymnastiques ;

C’est l’attrait du scandale sous une de ses formes qui
n’exclut pas les autres, bien au contraire;

C’est la morale nouvelle en action ; c'est tout enfin.

Il y aurait de bien curieuses équations à poser à ce
sujet.

Comme celle-ci par exemple :

Brididi : Yestris : : Louis Yeuillot : Fénelon.

David dansait devant l’arche ; certains journaux reli-
gieux y cancanent.

Ainsi toutes choses se tiennent; ainsi l’on pourrait
formuler une cent-uniôme édition d’un proverbe trop
connu et décréter :

— Dis-moi comment tu danses, je te dirai qui tu es.
v

Yoilà pourquoi, — j’y reviens, - voilà pourquoi les
entrechats, quelque peu solennels et compassés des
ballets sérieux, ne peuvent guère plus passionner le
public masculin.

A la bonne heure, les bonds épileptiques des gitanas
qui ont fait florès pendant l’Exposition! A la bonne
heure !

Une comparaison fera, je crois, mieux comprendre
ma pensée.

L’Opéra déjà nommé a éprouvé, un jour, le besoin de

changer son diapason. Ce qu’il a fait alors pour le chant,
le goût de la foule (est-ce bien goût qu’il faudrait dire?)
l’a fait, à son tour, pour la danse.

Los enlacements des lascives willis produisent l’effet
d’un verre de sirop d’orgeat dans l’estomac d’un buveur
d’absinthe, sur nos contemporains.

On veut bien admettre encore ces divertissements à
l’ctat d’intermèdes; mais comme corps de spectacle,cela
deviendra, si je ne me trompe, de plus en plus diffi-
cile.

C’est comme qui dirait un dîner exclusivement com-
posé de crèmes à la vanille, de crèmes à la pistache, de
crèmes au café, de crèmes au chocolat.

Et toujours des crèmes!

Jugez un peu quelle sensation, après un usage infini-
ment trop prolongé des sauces piquantes.

«

Avis aux chorégraphes!

On aura beau protester, on aura beau chercher à le
nier, l’évidence est là implacable et obstinée.

Le public ressemble à ce consommateur auquel le
garçon énumère complaisamment toutes les succulen-
ces d’une carte assortie :

— Monsieur, nous avons du turbot, du saumon, de la
barbue, du bar, du faisan, du...

— Très bien, interrompt le monsieur... donnez-moi
un hareng-saur !

Jean Ralph.