ACTUALITÉS
7
— Oui, ma petite, toutes les voitures vont avoir un compteur.
— Dis donc, chéri, c’est-il pour conter ce qu’on y fera?
que je me grisais après le spectacle et parfois même
avant! On a dit que je faisais des dettes et que j’avais
des maîtresses. J’ai rarement répondu à ces attaques.
J’ai lu aussi que j’étais un mauvais camarade, un ja-
loux... Gomme si je pouvais être jaloux de quelqu’un,
moi!... Je traitais, paraît-il, les directeurs et les auteurs
en esclaves!... Les auteurs, parlons-en!... Ce ne sont
pas eux qui me donnent des conseils, c’est moi qui leur
indique le chemin du succès. Et cependant ils ne m’ai-
ment guère, ces messieurs dont j’ai fait la fortune... En
tout cas, tout cela ne regarde pas les journaux : le co-
médien leur appa’ tient, mais l’homme est indépendant !
Ils peuvent imprimer que j’ai été mauvais... je m’en f...
— on ne les croira pas!
Puis, changeant subitement de ton et d’allure, il me
dit brusquement en prenant cet air grand seigneur qui
lui était familier :
— Au fait, que me voulez-vous?...
% *
J’avoue que je restai un moment embarrassé, ne sa-
chant que répondre. Cependant je me risquai et je fis
connaître le but de ma visite.
Frédérick partit d’un large éclat de rire un peu forcé
et s’écria :
— Ma biographie? Ah! je pourrais, comme mon ca-
marade Laferriôre, vous raconter que je suis noble, que
je ne parais pas mon âge, que les femmes du monde se
disputent mes faveurs!... Mais je n’en ferai rien. Je n’ai
à vous dire que ceci : sans aucun conseil je me suis
fait tel que je suis... Vous lirez mes biographies déjà
parues, qui vous diront que j’ai débuté aux Funambu-
les, mimant dans les pantomimes; d’autres vous assu-
reront que j’ai commencé par être figurant à la Porte-
Saint-Martin... Croyez-en ce que vous voudrez! La
vérité, c’est que j’ai toujours eu le feu sacré, que j’ai
fait des efforts inouïs pour arriver au summum de mon
art, que je n’ai jamais eu de professeur et que je n'au-
rai jamais d’élèves !
Sur quoi, ouvrant la porte de la salle à manger, le
vieux lion poursuivit :
— Vous ajouterez que Frederick-Lemaître n’a pas le
sou !
Puis, me montrant la table mise :
— Et que le plus grand comédien français déjeune
d’un hareng et de deux œufs à la coque, — malgré son
appétit de jeune homme.
*
L’audience était terminée.
Frédérick me le notifia, sans autre cérémonie, en me
disant :
— Maintenant, monsieur, que je vous ai donne tous
les renseignements nécessaires, j’ai bien l’honneur do
vous saluer!
Je fis sa biographie quand même.
A. Lemonnier.
COUPS DE CRAYON
On fait plus de concessions à ses goûts ou à son mé-
tier qu’à l’amour, et la femme reporte à elle-même bien
des sacrifices que nous faisons à la paix de nos habitu-
des.
X
Souvent on traite le solitaire de désabusé.
N’est-il pas, malgré tout, le seul être à qui l’on ima-
gine qu’il puisse rester des illusions ?
X
Avez-vous observé comme les gens que l’on dit pri-
vés d’imagination peuvent imaginer de choses inimagi-
nables?
X
Presque tous les mensonges se peuvent prévenir et
combattre, excepté l’invincible mensonge du silence.
X
La femme est quelquefois — disons : le plus souvent —
fâchée qu’on la suive ; mais elle est toujours heureuse
qu’on la regarde.
Louis Déprkt.
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— Oui, ma petite, toutes les voitures vont avoir un compteur.
— Dis donc, chéri, c’est-il pour conter ce qu’on y fera?
que je me grisais après le spectacle et parfois même
avant! On a dit que je faisais des dettes et que j’avais
des maîtresses. J’ai rarement répondu à ces attaques.
J’ai lu aussi que j’étais un mauvais camarade, un ja-
loux... Gomme si je pouvais être jaloux de quelqu’un,
moi!... Je traitais, paraît-il, les directeurs et les auteurs
en esclaves!... Les auteurs, parlons-en!... Ce ne sont
pas eux qui me donnent des conseils, c’est moi qui leur
indique le chemin du succès. Et cependant ils ne m’ai-
ment guère, ces messieurs dont j’ai fait la fortune... En
tout cas, tout cela ne regarde pas les journaux : le co-
médien leur appa’ tient, mais l’homme est indépendant !
Ils peuvent imprimer que j’ai été mauvais... je m’en f...
— on ne les croira pas!
Puis, changeant subitement de ton et d’allure, il me
dit brusquement en prenant cet air grand seigneur qui
lui était familier :
— Au fait, que me voulez-vous?...
% *
J’avoue que je restai un moment embarrassé, ne sa-
chant que répondre. Cependant je me risquai et je fis
connaître le but de ma visite.
Frédérick partit d’un large éclat de rire un peu forcé
et s’écria :
— Ma biographie? Ah! je pourrais, comme mon ca-
marade Laferriôre, vous raconter que je suis noble, que
je ne parais pas mon âge, que les femmes du monde se
disputent mes faveurs!... Mais je n’en ferai rien. Je n’ai
à vous dire que ceci : sans aucun conseil je me suis
fait tel que je suis... Vous lirez mes biographies déjà
parues, qui vous diront que j’ai débuté aux Funambu-
les, mimant dans les pantomimes; d’autres vous assu-
reront que j’ai commencé par être figurant à la Porte-
Saint-Martin... Croyez-en ce que vous voudrez! La
vérité, c’est que j’ai toujours eu le feu sacré, que j’ai
fait des efforts inouïs pour arriver au summum de mon
art, que je n’ai jamais eu de professeur et que je n'au-
rai jamais d’élèves !
Sur quoi, ouvrant la porte de la salle à manger, le
vieux lion poursuivit :
— Vous ajouterez que Frederick-Lemaître n’a pas le
sou !
Puis, me montrant la table mise :
— Et que le plus grand comédien français déjeune
d’un hareng et de deux œufs à la coque, — malgré son
appétit de jeune homme.
*
L’audience était terminée.
Frédérick me le notifia, sans autre cérémonie, en me
disant :
— Maintenant, monsieur, que je vous ai donne tous
les renseignements nécessaires, j’ai bien l’honneur do
vous saluer!
Je fis sa biographie quand même.
A. Lemonnier.
COUPS DE CRAYON
On fait plus de concessions à ses goûts ou à son mé-
tier qu’à l’amour, et la femme reporte à elle-même bien
des sacrifices que nous faisons à la paix de nos habitu-
des.
X
Souvent on traite le solitaire de désabusé.
N’est-il pas, malgré tout, le seul être à qui l’on ima-
gine qu’il puisse rester des illusions ?
X
Avez-vous observé comme les gens que l’on dit pri-
vés d’imagination peuvent imaginer de choses inimagi-
nables?
X
Presque tous les mensonges se peuvent prévenir et
combattre, excepté l’invincible mensonge du silence.
X
La femme est quelquefois — disons : le plus souvent —
fâchée qu’on la suive ; mais elle est toujours heureuse
qu’on la regarde.
Louis Déprkt.