CINQUANTE-NEUVIÈME ANNÉE
Prix du Numéro : 25 centimes
SAMEDI 11 JANVIER 1890
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 IV.
Six mois. 36 —
Un an. 72 —
Les abonnements varient des ror et ui de chaque mois
DIRECTION
Politique. Littéraire et Artistique
1M1.ISI! li V K II ON
U ê «I il c t e il r en C li c C
BUREAUX
DB £.A H LS DA CT! ON BT DE I.’ADMINIS l'HATION
Rue de la Victoire, 20
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DÉPARTEMENTS
Trois mois. 20 fr.
Six mois. 10 —
Un an. 80 —
L’abonnement d’un an donne droit à la prime gratuite
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ADOLPHE EWIG, fermier de la publicité
92, Rue Richelieu
LE CHARIVARI
Les souscripteurs dont l’abonnement expire
le 15 Janvier sont priés de le renouveler
immédiatement, s’ils ne veulent pas éprouver
d’interruption dans l’envoi du journal.
BULLETIN POLITIQUE
On ne se douterait guère qu’il doive y avoir de-
main des élections législatives, par suite d’invalida-
tions, dans cinq circonscriptions du département de
la Seine, en même temps qu’à Lorient. Le public ne
paraît pas plus s’en soucier qu’un poisson d’une
pomme.
Nous sommes loin de l’agitation.qu’avaient soule-
vée les élections générales.
Au milieu du silence qui s’est fait presque partout
autour du général Boulanger, une voix vient pour-
tant de s’élever, à la dernière heure, pour demander
à ses partisans de formuler... un programme !
« Le boulangisme, dit le journal conservateur dont
la voix se fait entendre, est une pièce qui ne sera
jamais reprise telle quelle... En conséquence, autant
le silence était jadis nécessaire, autant les explica-
tions peuvent paraître utiles aujourd’hui. Autant un
programme eût été gênant autrefois, autant il de-
vient indispensable aujourd’hui. »
O naïveté! Mais si le boulangisme pouvait avoir
un programme, il cesserait par ce seul fait d’être le
boulangisme!
N'importe! Aux yeux d’une masse de conserva-
teurs, se réclamer du général ne suffit plus. Un can-
didat ne peut montrer patte blanche que sous forme
d’explications nettes.
« Les boulangistes, dans leur propre intérêt, dé-
clare la voix déjà signalée, feront bien de se créer
un programme précis,complet,détaillé (rien que ça?)
et dans lequel le générai Boulanger ne tienne qu’une
place imperceptible... »
Le temps, à la veille du scrutin, manquera évi-
demment aux boulangistes pour déférer à ce vœu
dépouillé d’artitice. Mais les électeurs se chargeront
de faire aux candidats du parti la place impercep-
tible dont le général lui-même a dû se contenter
jusqu’ici.
Pierre Véron.
ÉCHEC AUX INTERPELLATEURS!
ün sait que, dès la rentrée des Chambres, une pro-
position réglant le droit d’interpellation doit être
présentée par l’honorable M. Raynal. Une heureuse
indiscrétion nous permet de donner dès aujourd’hui
à nos lecteurs le texte de ce projet de loi :
Article premier. — Tout sénateur ou député qui
déposera une demande d’interpellation devra four-
nir en même temps un certificat, signé de trois méde-
cins spécialistes, constatant qu’il jouit de la pléni-
tude de ses facultés mentales.
Art. 2. — Chaque demande d’interpellation, tant
à la Chambre qu’au Sénat, doit être apostillée
d’avance par cent membres au moins, pour être prise
en considération.
Art. 3. — Chaque membre de l’une ou de l’autre
Chambre n’a droit qu’à une interpellation par an. Tl
ne peut ni reporter son droit sur l’exercice suivant,
ni le céder à un collègue.
Art. 4 — Dans chacune des Chambres, une com-
mission composée de trente membres, désignés par
le sort pour le cours d’une année, examine avec le
plus grand soin les interpellations et les divise en
deux catégories :
Les interpellations sérieuses,
Et... les autres.
Les premières sont discutéès au jour réservé à cet
usage spécial, et qui pourrait être le vendredi, con-
sidéré généralement comme un jour maussade et
fâcheux à tous les points de vue.
La discussion des autres est renvoyée en bloc au
ltr avril de chaque année, jour qui, de temps immé-
morial et chez tous les peuples de la terre, a toujours
élé consacré aux mauvaises farces.
Art. 5. — La discussion d’une interpellation ad-
mise par la commission compétente ne pourra, en
aucun cas, durer plus d’une heure, — sur indication
d’horloge pneumatique ou de sablier.
Soit :
Trente minutes pour le développement de l’inter-
pellation par son auteur, et trente minutes pour la
réplique du gouvernement.
Aucun autre membre de la Chambre ne peut in-
tervenir dans le débat.
Art. 6. — Tout membre du Parlement ayant pro-
posé et développé une interpellation qui, au vote,
n’aura pas réuni au moins cent voix, subira une re-
tenue d’un mois d’in iemnité.
En cas de récidive, il sera déchu de son mandat et
déclaré inéligible.
A la bonne heure !
Voilà un projet de loi qui, s’il est adopté, pourra
opposer enfin une digue à ce ilux, à cette marée
montante d’interpellations à propos de tout et à pro-
pos de rien, sur la mort de Louis XVI, ou sur les
moyens de prévenir les dommages causés par la
lune rousse à l’agriculture, ou autres fantaisies.
Paul Courty.
COCASSERIES
« Les ceusse de la haute », comme dirait Gugusse,
ont, à Vienne, une bien drôle de façon d'exprimer la
vive affliction que leur cause la mort d’un prince
chéri.
Ainsi, les feuilles de cette ville annoncent, fout
tranquillement, que la grande société de la capitale
austro-hongroise se prépare à célébrer, par des fêtes
somptueuses, la fin de la période de deuil qui a suivi
la mort de l’archiduc Rodolphe.
Oui, lecteurs, à cette occasion, on va « nopcer ».
Noces et festins!
Hein! comment trouvez-vous l’occasion?
Quel empêcheur de danser en rond que l'archiduc
Rodolphe! Pourtant, on l’a pleuré, — de tel jour à
tel autre ; il y avait un délai et on a observé le délai.
Mais après, bonsoir!
Et Ton ne se gêne guère ; car, pour célébrer la fin
de ce deuil officiel, les grands seigneurs n’ont pas
hésité à organiser au cirque une grrrande répresen-
lation dans laquelle « les rôles les plus infimes se-
ront tenus par des membres de l’aristocratie » 1...
C’est une bien belle chose, n’est-ce pas, que la
sincérité dans la douleur et le dévouement?...
#
* #
Du dévouement? Certains en exigent beaucoup de
leurs serviteurs qui ne seraient point dignes de leur
décrotter les bottes.
Parfaitement ! Il est des domestiques ou des
gens de basse condition, ainsi que dirait cerlaine
duchesse politico-mondaine, qui ont beaucoup plus
de lettres que ceux qu’ils nettoient!
Ainsi, l’autre jour, je me suis inséré dans le fiacre
d’un automédon qui, tout en découvrant son cheval
et en secouant sa pipe, me récita Y AH poétique de
Boileau, — une partie du moins. Cela, d’ailleurs, lui
a valu d’être privé de pourboire, car j’aurais rougi,
posilivement, d’humilier un homme aussi considé-
rable.
Mais ce n’est point là que j’en voulais venir. C’est
à la petite annonce que voici :
a Vf demande uce femme do chambre
ii de bon caractère, parlant un peu
l’anglais, bonne couturière, repasseuse,
coiffeuse, connaissant très bien scivice
de table et sachant emballer.
Et sachant emballer!
Quoi encore? Plus rien !
Pardon ! U y a encore l’imprévu 1
Ainsi, une femme de chambre devra savoir repas-
ser, faire concurrence aux grands tailleurs, aux
grands coiffeurs, parler l’anglais, rendre des points à
Brébant et... emballer 1
Pas exigeantes du tout, nos petites maîtresses
d’aujourd’hui!
* a
Oh! oui, certes, exigeantes, et beaucoup plus que
messieurs les plaideurs.
Nous nous plaignons volontiers, en France, et
avec raison, des lenteurs parfois désespérantes de
la justice. Fichtre ! c’est autre chose en Hongrie,
où vient de se terminer un différend qui n’a pas
duré moins de... quatre cent soixante-dix ans !...
Plusieurs générations de gens enjuponnés et to-
qués,ornés d’hermine,se sont engraissées à l’aide de
ce tout petit procès.
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d’interruption dans l’envoi du journal.
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On ne se douterait guère qu’il doive y avoir de-
main des élections législatives, par suite d’invalida-
tions, dans cinq circonscriptions du département de
la Seine, en même temps qu’à Lorient. Le public ne
paraît pas plus s’en soucier qu’un poisson d’une
pomme.
Nous sommes loin de l’agitation.qu’avaient soule-
vée les élections générales.
Au milieu du silence qui s’est fait presque partout
autour du général Boulanger, une voix vient pour-
tant de s’élever, à la dernière heure, pour demander
à ses partisans de formuler... un programme !
« Le boulangisme, dit le journal conservateur dont
la voix se fait entendre, est une pièce qui ne sera
jamais reprise telle quelle... En conséquence, autant
le silence était jadis nécessaire, autant les explica-
tions peuvent paraître utiles aujourd’hui. Autant un
programme eût été gênant autrefois, autant il de-
vient indispensable aujourd’hui. »
O naïveté! Mais si le boulangisme pouvait avoir
un programme, il cesserait par ce seul fait d’être le
boulangisme!
N'importe! Aux yeux d’une masse de conserva-
teurs, se réclamer du général ne suffit plus. Un can-
didat ne peut montrer patte blanche que sous forme
d’explications nettes.
« Les boulangistes, dans leur propre intérêt, dé-
clare la voix déjà signalée, feront bien de se créer
un programme précis,complet,détaillé (rien que ça?)
et dans lequel le générai Boulanger ne tienne qu’une
place imperceptible... »
Le temps, à la veille du scrutin, manquera évi-
demment aux boulangistes pour déférer à ce vœu
dépouillé d’artitice. Mais les électeurs se chargeront
de faire aux candidats du parti la place impercep-
tible dont le général lui-même a dû se contenter
jusqu’ici.
Pierre Véron.
ÉCHEC AUX INTERPELLATEURS!
ün sait que, dès la rentrée des Chambres, une pro-
position réglant le droit d’interpellation doit être
présentée par l’honorable M. Raynal. Une heureuse
indiscrétion nous permet de donner dès aujourd’hui
à nos lecteurs le texte de ce projet de loi :
Article premier. — Tout sénateur ou député qui
déposera une demande d’interpellation devra four-
nir en même temps un certificat, signé de trois méde-
cins spécialistes, constatant qu’il jouit de la pléni-
tude de ses facultés mentales.
Art. 2. — Chaque demande d’interpellation, tant
à la Chambre qu’au Sénat, doit être apostillée
d’avance par cent membres au moins, pour être prise
en considération.
Art. 3. — Chaque membre de l’une ou de l’autre
Chambre n’a droit qu’à une interpellation par an. Tl
ne peut ni reporter son droit sur l’exercice suivant,
ni le céder à un collègue.
Art. 4 — Dans chacune des Chambres, une com-
mission composée de trente membres, désignés par
le sort pour le cours d’une année, examine avec le
plus grand soin les interpellations et les divise en
deux catégories :
Les interpellations sérieuses,
Et... les autres.
Les premières sont discutéès au jour réservé à cet
usage spécial, et qui pourrait être le vendredi, con-
sidéré généralement comme un jour maussade et
fâcheux à tous les points de vue.
La discussion des autres est renvoyée en bloc au
ltr avril de chaque année, jour qui, de temps immé-
morial et chez tous les peuples de la terre, a toujours
élé consacré aux mauvaises farces.
Art. 5. — La discussion d’une interpellation ad-
mise par la commission compétente ne pourra, en
aucun cas, durer plus d’une heure, — sur indication
d’horloge pneumatique ou de sablier.
Soit :
Trente minutes pour le développement de l’inter-
pellation par son auteur, et trente minutes pour la
réplique du gouvernement.
Aucun autre membre de la Chambre ne peut in-
tervenir dans le débat.
Art. 6. — Tout membre du Parlement ayant pro-
posé et développé une interpellation qui, au vote,
n’aura pas réuni au moins cent voix, subira une re-
tenue d’un mois d’in iemnité.
En cas de récidive, il sera déchu de son mandat et
déclaré inéligible.
A la bonne heure !
Voilà un projet de loi qui, s’il est adopté, pourra
opposer enfin une digue à ce ilux, à cette marée
montante d’interpellations à propos de tout et à pro-
pos de rien, sur la mort de Louis XVI, ou sur les
moyens de prévenir les dommages causés par la
lune rousse à l’agriculture, ou autres fantaisies.
Paul Courty.
COCASSERIES
« Les ceusse de la haute », comme dirait Gugusse,
ont, à Vienne, une bien drôle de façon d'exprimer la
vive affliction que leur cause la mort d’un prince
chéri.
Ainsi, les feuilles de cette ville annoncent, fout
tranquillement, que la grande société de la capitale
austro-hongroise se prépare à célébrer, par des fêtes
somptueuses, la fin de la période de deuil qui a suivi
la mort de l’archiduc Rodolphe.
Oui, lecteurs, à cette occasion, on va « nopcer ».
Noces et festins!
Hein! comment trouvez-vous l’occasion?
Quel empêcheur de danser en rond que l'archiduc
Rodolphe! Pourtant, on l’a pleuré, — de tel jour à
tel autre ; il y avait un délai et on a observé le délai.
Mais après, bonsoir!
Et Ton ne se gêne guère ; car, pour célébrer la fin
de ce deuil officiel, les grands seigneurs n’ont pas
hésité à organiser au cirque une grrrande répresen-
lation dans laquelle « les rôles les plus infimes se-
ront tenus par des membres de l’aristocratie » 1...
C’est une bien belle chose, n’est-ce pas, que la
sincérité dans la douleur et le dévouement?...
#
* #
Du dévouement? Certains en exigent beaucoup de
leurs serviteurs qui ne seraient point dignes de leur
décrotter les bottes.
Parfaitement ! Il est des domestiques ou des
gens de basse condition, ainsi que dirait cerlaine
duchesse politico-mondaine, qui ont beaucoup plus
de lettres que ceux qu’ils nettoient!
Ainsi, l’autre jour, je me suis inséré dans le fiacre
d’un automédon qui, tout en découvrant son cheval
et en secouant sa pipe, me récita Y AH poétique de
Boileau, — une partie du moins. Cela, d’ailleurs, lui
a valu d’être privé de pourboire, car j’aurais rougi,
posilivement, d’humilier un homme aussi considé-
rable.
Mais ce n’est point là que j’en voulais venir. C’est
à la petite annonce que voici :
a Vf demande uce femme do chambre
ii de bon caractère, parlant un peu
l’anglais, bonne couturière, repasseuse,
coiffeuse, connaissant très bien scivice
de table et sachant emballer.
Et sachant emballer!
Quoi encore? Plus rien !
Pardon ! U y a encore l’imprévu 1
Ainsi, une femme de chambre devra savoir repas-
ser, faire concurrence aux grands tailleurs, aux
grands coiffeurs, parler l’anglais, rendre des points à
Brébant et... emballer 1
Pas exigeantes du tout, nos petites maîtresses
d’aujourd’hui!
* a
Oh! oui, certes, exigeantes, et beaucoup plus que
messieurs les plaideurs.
Nous nous plaignons volontiers, en France, et
avec raison, des lenteurs parfois désespérantes de
la justice. Fichtre ! c’est autre chose en Hongrie,
où vient de se terminer un différend qui n’a pas
duré moins de... quatre cent soixante-dix ans !...
Plusieurs générations de gens enjuponnés et to-
qués,ornés d’hermine,se sont engraissées à l’aide de
ce tout petit procès.