LE CHARIVARI
Ou, plus loin :
— Mesdames, vous voyez la table où, en 1503, Sa
Sainteté Alexandre VI, voulant empoisonner le car-
dinal Corneto, fut empoisonné lui-même avec son
fils naturel, César Borgia...
J’en passe et des meilleurs. Vous m’avouerez
qu’il serait aussi peu cher qu’édifiant de s’instruire
ainsi, au Vatican, sur l’histoire de la papauté.
Mais voilà : il n’y aurait plus personne à la messe
de Saint Pierre, le lendemain!
Marie Prax.
THÉÂTRES
PALAIS-ROYAL : Les Moulinard.
On a dit : Heureux les peuples qui n’ont pas d’his'
toire.
Est-ce aussi une condition de bonheur pour les
pièces?
Dans ce cas, les Moulinard ne rempliraient pas le
programme, car ils ont une histoire.
C’est un imbroglio voyageur.
La première étape fut le Vaudeville. L’imbroglio
portait alors un autre nom et s’appelait la Coquille.
Un jour, à ce qu’on a conté, l’acteur chargé du prin-
cipal personnage — M. Jolly, pour ne pas le nommer
— déclara net que le rôle n’était point à son gré.
Et les auteurs consternés de rentrer dans leur Co-
quille.
Ce ne sont point des novices. M. Ordonneau a
l'expérience des vicissitudes théâtrales. M. Albin
Valabrègue est un pétulant et un débrouillard. Je
manque de détails précis sur le troisième collabora-
teur, M. Kéroul. Ils se remirent vite du choc, et
s’acheminèrent d’un pas allègre vers le théâtre du
Palais-Royal.
Celui-ci, justement, sc trouvait quelque peu dé-
pourvu, car une bise assez aigre était venue et me-
naçait d’emporter prématurément le Cadenas, fan-
taisie pour laquelle le public s’était montré récalci-
trant. Dans ces conditions, l’affaire devait être
bientôt conclue. Elle le fut.
Et les répétitions commencèrent avec ardeur.
Naturellement la distribution, au Palais-Royal,
est tout autre.
Sur le boulevard, on devait avoir, en la personne
de M. Jolly, un Moulinard maigre.-
Rue Montpensier, on a, dans la personne de M.
Dailly, un Moulinard gras. Mais, comme le talent
ne se juge pas au poids,la substitution ne préjugeait
rien.
J’avoue cependant que, durant toute la soirée, je
me demandais, à chaque boutade de Dailîy-le-Plan-
tureux, comment Jolly-l’Aminci aurait présenté la
chose.
C’est qu’il ne saurait y avoir plus de dissemblance
entre deux artistes.
Dailly, c’est l’épanouissement bon enfant. Jolly,
c’est le pince-sans-rire.
Dailly, c’est le tout en dehors. Jolly, c’est Part du
sous-entendu élevé à la hauteur d’un principe.
Evidemment, nous aurions eu un M oui'nard fort
différent.
L’épouse d’icelui, au Vaudeville, eût été l’excel-
lente Mme Daynes-Grassot; encore une svelte.
Au Palais-Royal, c’est Mathilde. Encore une rem-
bourrée.
Décidément, l’antithèse est persistante.
Pour les autres rôles, — qui riment tous en ard,
pourquoi, mon Dieu? — Calvin en Godard, Galipeaux
en Bodard.
On dirait un jeu de métagrammes.
Mais je m’attarde aux bagatelles de la porte.
C’est qu’en vérité je ne sais pas d’opération plus
laborieusement superflue que l’analyse d’une po-
chade.
Ça fait rire ou ça ennuie. Pas de milieu.
Quant à l’emploi des procédés mis en oeuvre pour
obtenir l’un ou l’autre résultat, n’est-ce pas toujours
kif-kif?
Avec une fantaisie désopilante, Théophile Gautier
démontrait jadis qu’il n’y avait que deux formules
pour chatouiller le public.
Encore n’était-il pas bien sûr que la seconde ne
fût pas une contrefaçon de la première.
Cela étant,vous narrer les Moulinard comme Enée
narrait le Siège de Troie à Didon ne vous paraîtrait-
il pas un effort bien inutile ?
Tout au plus est-il admissible que la curiosité
vous titille à l’endroit du changement d’intitulé,
Quelle était — vous demandez vous peut-être —
cette coquille qui a disparu soudain ? Et quels rap-
ports entre elle et la famille Moulinard, bourgeoi-
sante et ahurie ?
Cela, je consens à vous le dire.
Il s’agit simplement d’une faute d’impression qui,
à l'Officiel, nomme Bodard sous-préfet au lieu de
Godard.
O astuce des caractères mobiles!
Là-dessus, Moulinard, ex-fabricant de moutarde,
s’emballe et donne la main de sa fille à ce Bodard,
qu’il croit appelé aux honneurs.
Vous entrevoyez les quiproquos qui en peuvent
résulter ?
Le second acte surtout, où une simple auberge
est prise pour l’hôtel du nouveau sous-préfet, est fé-
cond en heureuses cascades.
Bref, on a tant ri, que le désarmement — rêve de
l’Europe — a été complet.
J’ai déjà nommé les principaux interprètes de
cette nouvelle édition du Panache.
Tous ont bien mérité du théâtre, et contribué à
l’épanouissement des rates.
Pierre Véron.
fl T) "D Tl/n? fl À OüTO Décoration du Nicham pour ses Produits.
UÜ-CjilLiii UAbulb FONTBONNE, à DIJOU
Moutarde GREY-P0UP0N. Méil. d’Or, PaRlS 1889
AMERS KOKA 4IN XS.I3ST A Français-foi Jfiurti
Incomparables, recommandés par tous les Docteurs, à base de la plante divine “COO&QU
Pérou” fabricant Campredon, Marseüle.Gd/mportafai/r de Vins et tous RhumB
CHRONIQUE DU JOUR
C’est après-demain samedi qu’a lieu le premier bal
masqué de l’Opéia. Souhaitons tous que cette petite fête
soit brillante, car elle pourrait rendre un peu d’anima-
tion à Paris, qui en a fort besoin en ce moment. De leur
côté, les directeurs de l’Académie nationale de musi-
que, que l’Exposition avait gâtés, n’encaisseraient pas
avec déplaisir, assure-t-on, quelques bonnes recettes.
Ce serait donc profit pour tout le monde.
Chaque année, on prétend que les bals de l’Opéra ago-
nisent, que c’en est fait d’eux, et l’année suivante ils
renaissent des cendres qu’on a jetées sur leur tombe.
Ce qui les sauve, c’est l'illusion.
Ab ! le journaliste qui a écrit le premier, dans une
chronique, que l’on pouvait trouver au bal de l’Opéra
une duchesse authentique, qui se laissait emmener
souper en cabinet particulier et puis reconduire au no-
ble faubourg, devrait avoir sa part dans les bénéfices
de ces fêtes de la folie, lesquelles ne vivent, depuis
cinquante ans, que sur cet espoir chimérique.
Le clerc de notaire, encore naïf, qui a endossé son
plus bel habit noir pour tenter cette chance, ne voit
guère, en réalité, qu’une centaine de dominos femelles,
laissant deviner sous leurs loups des visages trop con-
nus sur le boulevard, etlutinées par quelques douzaines
de messieurs peu jaloux, qui s’amusent exactement du
même air que l’on paie une dette.
Quant à la duchesse authentique, s’il y en a vrai-
ment une au bal, elle reste hermétiquement enfermée
dans sa loge.
M is qu’importe ! Il a donné son louis, et s’il ne re-
vient pas l’année prochaine, un autre clerc d’une autre
étude le remplacera.
A ce prix rémunérateur d’un louis par cavalier, un
bal de l’Opéra peut rapporter couramment une quaran-
taine de mille francs.
Il y a environ soixante ans, sous la direction du doc-
teur Véron, on était loin de cés chiffres fantastiques, et
pourtant le prix d’entrée au bal de l Opéra n’était fixé
qu’à six francs.
G était on ne peut plus modeste.
Le prix l'ut même abaissé quelquefois jusqu’à cinq
francs. Gomme cette diminution de vingt sous, grâce à
laquelle on espérait attirer en plus grand nombre les
■joyeux viveurs de 1832, est bien caractéristique d’une
époque !
Il est vrai que l’Opéra avait alors à lutter contre de
nombreuses concurrences. Il y avait régulièrement bal ‘
masqué, tous les samedis de carnaval, aux théâtres de
l’Opéra-Comique, du Palais-Royal, des Variétés, etc.
Aujourd’hui, lui seul, et c’est"assez!
Le proverbe qui assure qu'à quelque chose malheur
est bon vient de recevoir une fois de plus sa coufirma-
fion. La fâcheuse influenza nous aura délivrés, au
moins, en 1890, de la carie de visite, cette autre épidé-
mie, qui sévissait régulièrement eu France toutes les
années, pendant un bon mois, do la Noël au 2ü janvier.
Il n’y a eu qu’à entrer dans un bureau de poste pour
faire cette constatation : les boîtes à trois compartiments
destinées à recevoir les petits carrés de bristol sont res-
tées lamentablement vides.
Maintenant, le pli est pris, et il est à croire que la
carte de visite est bien morte et ne ressuscitera plus. Ne
la regrettons pas trop. Sous prétexte d’entretenir les
relations amicales, elle facilitait au contraire les lâcha-
ges. _
Désormais, il faudra payer de sa personne, aller voir
ses parents et ses intimes, ou tout au moins leur écrire
une lettre affectueuse. On reconnaîtra ses vrais amis à
ceux qui ne reculent pas devant ce petit dérangement.
Le musée du Luxembourg, fermé depuis un mois
pour cause de remaniements intérieurs, a rouvert hier
ses portes.
Cette clôture provisoire s’impose de temps à autre,
car il faut bien faire de la place aux tableaux achetés
annuellement par l'Etat au Salon. Le public, et même
un certain nombre de peintres, s’imaginent que les œu-
vres exposées au Luxembourg n’en sortent plus que
pour être dirigées sur le musée du Louvre à la mort de
leur auteur. G’est une erreur : le Luxembourg n’est
qu’un entrepôt, un lieu d’exposition transitoire, et beau-
coup de ses tableaux sont expédiés, après un certain
temps, dans les musées de province.
Les peintres exposés au Luxembourg considèrent na-
turellement ce changement comme une disgrâce ; pour
les consoler un peu, Etienne Arago, le sympathique
conservateur du musée, vient de faire décider dernière-
ment que tous les tableaux ainsi exilés de Paris dans
les départements porteront la mention :
Provenant du musée du Luxembourg.
Ce sera comme une recommandai ion honorifique.
Ce n’est pas sans peine, du reste, que les travaux do
remaniement de notre second grand musée national ont
pu être terminés. L’influenza à. fait là aussi des siennes :
depuis le conservateur Etienne Arago et son aimable et
érudit attaché M. Bénédit, jusqu’au dernier gardien, tout
le personnel a subi ses atteintes.
Il en a été de même au musée du Louvre, où des
salles ont dû être fermées à tour do rôle, sans que le
public s’en aperçût trop.
Nous citons cë fait comme infication pour les méde-
cins en quête du remède à opposer à la maladie régnante.
L’odeur de la peinture n’en préserve décidément pas.
X... est plus distrait que le savant Ampère, qu’on no
vit presque jamais en soirée, parce que, toutes" les fois
qu’il s’apprêtait pour y aller et se déshabillait afin d’en-
dosser l’habit noir, dès qu’il se voyait en chemise, il se
mettait régulièrement au lit.
L’autre jour donc, X... rencontre quelqu’un dont le
père est mort dernièrement. Il a su ce détail, qu’il s’est
empressé d’oublier. Aussi, les premiers compliments
échangés' :
— Et monsieur votre père? commence-t-il.
Mais un froncement de sourcils de son interlocuteur
lui rendant aussitôt la mémoire, il achève, dans son
trouble :
— Et monsieur votre père... est toujours mort?
Paul Courty.
BOURSE-EXPRESS
Et maintenant, c’est à notre tour de liquider !
Toutes ces liquidations qui se suivent, à vingt-quatre
ou quarante-huit heures d’intervalle, sont une chose
terrible; et on se demande où les spéculateurs trouvent
le temps de prendre, les positions qu’ils règlent aux
échéances. Deux liquidations par mois pour trois mar-
chés importants, — cela fait six. A deux jours l’une, en
moyenne : total, douze. Ajoutez quatre dimanches pen-
dant lesquels on ne fait rien, quatre samedis, pendant
lesquels on ne fait pas grand’chose, et environ un jour
de chômage par mois, nous arrivons à un chiffre de
ving-et-un jours sur trente, consacrés uniquement à
régler les affaires qu’on a pu faire pendant les neuf
autres jours du mois.
Et pour peu que, comme en ce moment-ci, les échan-
ges soient médiocrement actifs, vous voyez d’ici avec
quel soin les intermédiaires doivent cultiver la carotlc
pour arriver à se tirer d’affaire !
Castortne.
Le Directeur-Gérant, Pierre Véron.
Paris. — Alcan-Lévy, imprimeur breveté, 24, rue Chauchat.
Ou, plus loin :
— Mesdames, vous voyez la table où, en 1503, Sa
Sainteté Alexandre VI, voulant empoisonner le car-
dinal Corneto, fut empoisonné lui-même avec son
fils naturel, César Borgia...
J’en passe et des meilleurs. Vous m’avouerez
qu’il serait aussi peu cher qu’édifiant de s’instruire
ainsi, au Vatican, sur l’histoire de la papauté.
Mais voilà : il n’y aurait plus personne à la messe
de Saint Pierre, le lendemain!
Marie Prax.
THÉÂTRES
PALAIS-ROYAL : Les Moulinard.
On a dit : Heureux les peuples qui n’ont pas d’his'
toire.
Est-ce aussi une condition de bonheur pour les
pièces?
Dans ce cas, les Moulinard ne rempliraient pas le
programme, car ils ont une histoire.
C’est un imbroglio voyageur.
La première étape fut le Vaudeville. L’imbroglio
portait alors un autre nom et s’appelait la Coquille.
Un jour, à ce qu’on a conté, l’acteur chargé du prin-
cipal personnage — M. Jolly, pour ne pas le nommer
— déclara net que le rôle n’était point à son gré.
Et les auteurs consternés de rentrer dans leur Co-
quille.
Ce ne sont point des novices. M. Ordonneau a
l'expérience des vicissitudes théâtrales. M. Albin
Valabrègue est un pétulant et un débrouillard. Je
manque de détails précis sur le troisième collabora-
teur, M. Kéroul. Ils se remirent vite du choc, et
s’acheminèrent d’un pas allègre vers le théâtre du
Palais-Royal.
Celui-ci, justement, sc trouvait quelque peu dé-
pourvu, car une bise assez aigre était venue et me-
naçait d’emporter prématurément le Cadenas, fan-
taisie pour laquelle le public s’était montré récalci-
trant. Dans ces conditions, l’affaire devait être
bientôt conclue. Elle le fut.
Et les répétitions commencèrent avec ardeur.
Naturellement la distribution, au Palais-Royal,
est tout autre.
Sur le boulevard, on devait avoir, en la personne
de M. Jolly, un Moulinard maigre.-
Rue Montpensier, on a, dans la personne de M.
Dailly, un Moulinard gras. Mais, comme le talent
ne se juge pas au poids,la substitution ne préjugeait
rien.
J’avoue cependant que, durant toute la soirée, je
me demandais, à chaque boutade de Dailîy-le-Plan-
tureux, comment Jolly-l’Aminci aurait présenté la
chose.
C’est qu’il ne saurait y avoir plus de dissemblance
entre deux artistes.
Dailly, c’est l’épanouissement bon enfant. Jolly,
c’est le pince-sans-rire.
Dailly, c’est le tout en dehors. Jolly, c’est Part du
sous-entendu élevé à la hauteur d’un principe.
Evidemment, nous aurions eu un M oui'nard fort
différent.
L’épouse d’icelui, au Vaudeville, eût été l’excel-
lente Mme Daynes-Grassot; encore une svelte.
Au Palais-Royal, c’est Mathilde. Encore une rem-
bourrée.
Décidément, l’antithèse est persistante.
Pour les autres rôles, — qui riment tous en ard,
pourquoi, mon Dieu? — Calvin en Godard, Galipeaux
en Bodard.
On dirait un jeu de métagrammes.
Mais je m’attarde aux bagatelles de la porte.
C’est qu’en vérité je ne sais pas d’opération plus
laborieusement superflue que l’analyse d’une po-
chade.
Ça fait rire ou ça ennuie. Pas de milieu.
Quant à l’emploi des procédés mis en oeuvre pour
obtenir l’un ou l’autre résultat, n’est-ce pas toujours
kif-kif?
Avec une fantaisie désopilante, Théophile Gautier
démontrait jadis qu’il n’y avait que deux formules
pour chatouiller le public.
Encore n’était-il pas bien sûr que la seconde ne
fût pas une contrefaçon de la première.
Cela étant,vous narrer les Moulinard comme Enée
narrait le Siège de Troie à Didon ne vous paraîtrait-
il pas un effort bien inutile ?
Tout au plus est-il admissible que la curiosité
vous titille à l’endroit du changement d’intitulé,
Quelle était — vous demandez vous peut-être —
cette coquille qui a disparu soudain ? Et quels rap-
ports entre elle et la famille Moulinard, bourgeoi-
sante et ahurie ?
Cela, je consens à vous le dire.
Il s’agit simplement d’une faute d’impression qui,
à l'Officiel, nomme Bodard sous-préfet au lieu de
Godard.
O astuce des caractères mobiles!
Là-dessus, Moulinard, ex-fabricant de moutarde,
s’emballe et donne la main de sa fille à ce Bodard,
qu’il croit appelé aux honneurs.
Vous entrevoyez les quiproquos qui en peuvent
résulter ?
Le second acte surtout, où une simple auberge
est prise pour l’hôtel du nouveau sous-préfet, est fé-
cond en heureuses cascades.
Bref, on a tant ri, que le désarmement — rêve de
l’Europe — a été complet.
J’ai déjà nommé les principaux interprètes de
cette nouvelle édition du Panache.
Tous ont bien mérité du théâtre, et contribué à
l’épanouissement des rates.
Pierre Véron.
fl T) "D Tl/n? fl À OüTO Décoration du Nicham pour ses Produits.
UÜ-CjilLiii UAbulb FONTBONNE, à DIJOU
Moutarde GREY-P0UP0N. Méil. d’Or, PaRlS 1889
AMERS KOKA 4IN XS.I3ST A Français-foi Jfiurti
Incomparables, recommandés par tous les Docteurs, à base de la plante divine “COO&QU
Pérou” fabricant Campredon, Marseüle.Gd/mportafai/r de Vins et tous RhumB
CHRONIQUE DU JOUR
C’est après-demain samedi qu’a lieu le premier bal
masqué de l’Opéia. Souhaitons tous que cette petite fête
soit brillante, car elle pourrait rendre un peu d’anima-
tion à Paris, qui en a fort besoin en ce moment. De leur
côté, les directeurs de l’Académie nationale de musi-
que, que l’Exposition avait gâtés, n’encaisseraient pas
avec déplaisir, assure-t-on, quelques bonnes recettes.
Ce serait donc profit pour tout le monde.
Chaque année, on prétend que les bals de l’Opéra ago-
nisent, que c’en est fait d’eux, et l’année suivante ils
renaissent des cendres qu’on a jetées sur leur tombe.
Ce qui les sauve, c’est l'illusion.
Ab ! le journaliste qui a écrit le premier, dans une
chronique, que l’on pouvait trouver au bal de l’Opéra
une duchesse authentique, qui se laissait emmener
souper en cabinet particulier et puis reconduire au no-
ble faubourg, devrait avoir sa part dans les bénéfices
de ces fêtes de la folie, lesquelles ne vivent, depuis
cinquante ans, que sur cet espoir chimérique.
Le clerc de notaire, encore naïf, qui a endossé son
plus bel habit noir pour tenter cette chance, ne voit
guère, en réalité, qu’une centaine de dominos femelles,
laissant deviner sous leurs loups des visages trop con-
nus sur le boulevard, etlutinées par quelques douzaines
de messieurs peu jaloux, qui s’amusent exactement du
même air que l’on paie une dette.
Quant à la duchesse authentique, s’il y en a vrai-
ment une au bal, elle reste hermétiquement enfermée
dans sa loge.
M is qu’importe ! Il a donné son louis, et s’il ne re-
vient pas l’année prochaine, un autre clerc d’une autre
étude le remplacera.
A ce prix rémunérateur d’un louis par cavalier, un
bal de l’Opéra peut rapporter couramment une quaran-
taine de mille francs.
Il y a environ soixante ans, sous la direction du doc-
teur Véron, on était loin de cés chiffres fantastiques, et
pourtant le prix d’entrée au bal de l Opéra n’était fixé
qu’à six francs.
G était on ne peut plus modeste.
Le prix l'ut même abaissé quelquefois jusqu’à cinq
francs. Gomme cette diminution de vingt sous, grâce à
laquelle on espérait attirer en plus grand nombre les
■joyeux viveurs de 1832, est bien caractéristique d’une
époque !
Il est vrai que l’Opéra avait alors à lutter contre de
nombreuses concurrences. Il y avait régulièrement bal ‘
masqué, tous les samedis de carnaval, aux théâtres de
l’Opéra-Comique, du Palais-Royal, des Variétés, etc.
Aujourd’hui, lui seul, et c’est"assez!
Le proverbe qui assure qu'à quelque chose malheur
est bon vient de recevoir une fois de plus sa coufirma-
fion. La fâcheuse influenza nous aura délivrés, au
moins, en 1890, de la carie de visite, cette autre épidé-
mie, qui sévissait régulièrement eu France toutes les
années, pendant un bon mois, do la Noël au 2ü janvier.
Il n’y a eu qu’à entrer dans un bureau de poste pour
faire cette constatation : les boîtes à trois compartiments
destinées à recevoir les petits carrés de bristol sont res-
tées lamentablement vides.
Maintenant, le pli est pris, et il est à croire que la
carte de visite est bien morte et ne ressuscitera plus. Ne
la regrettons pas trop. Sous prétexte d’entretenir les
relations amicales, elle facilitait au contraire les lâcha-
ges. _
Désormais, il faudra payer de sa personne, aller voir
ses parents et ses intimes, ou tout au moins leur écrire
une lettre affectueuse. On reconnaîtra ses vrais amis à
ceux qui ne reculent pas devant ce petit dérangement.
Le musée du Luxembourg, fermé depuis un mois
pour cause de remaniements intérieurs, a rouvert hier
ses portes.
Cette clôture provisoire s’impose de temps à autre,
car il faut bien faire de la place aux tableaux achetés
annuellement par l'Etat au Salon. Le public, et même
un certain nombre de peintres, s’imaginent que les œu-
vres exposées au Luxembourg n’en sortent plus que
pour être dirigées sur le musée du Louvre à la mort de
leur auteur. G’est une erreur : le Luxembourg n’est
qu’un entrepôt, un lieu d’exposition transitoire, et beau-
coup de ses tableaux sont expédiés, après un certain
temps, dans les musées de province.
Les peintres exposés au Luxembourg considèrent na-
turellement ce changement comme une disgrâce ; pour
les consoler un peu, Etienne Arago, le sympathique
conservateur du musée, vient de faire décider dernière-
ment que tous les tableaux ainsi exilés de Paris dans
les départements porteront la mention :
Provenant du musée du Luxembourg.
Ce sera comme une recommandai ion honorifique.
Ce n’est pas sans peine, du reste, que les travaux do
remaniement de notre second grand musée national ont
pu être terminés. L’influenza à. fait là aussi des siennes :
depuis le conservateur Etienne Arago et son aimable et
érudit attaché M. Bénédit, jusqu’au dernier gardien, tout
le personnel a subi ses atteintes.
Il en a été de même au musée du Louvre, où des
salles ont dû être fermées à tour do rôle, sans que le
public s’en aperçût trop.
Nous citons cë fait comme infication pour les méde-
cins en quête du remède à opposer à la maladie régnante.
L’odeur de la peinture n’en préserve décidément pas.
X... est plus distrait que le savant Ampère, qu’on no
vit presque jamais en soirée, parce que, toutes" les fois
qu’il s’apprêtait pour y aller et se déshabillait afin d’en-
dosser l’habit noir, dès qu’il se voyait en chemise, il se
mettait régulièrement au lit.
L’autre jour donc, X... rencontre quelqu’un dont le
père est mort dernièrement. Il a su ce détail, qu’il s’est
empressé d’oublier. Aussi, les premiers compliments
échangés' :
— Et monsieur votre père? commence-t-il.
Mais un froncement de sourcils de son interlocuteur
lui rendant aussitôt la mémoire, il achève, dans son
trouble :
— Et monsieur votre père... est toujours mort?
Paul Courty.
BOURSE-EXPRESS
Et maintenant, c’est à notre tour de liquider !
Toutes ces liquidations qui se suivent, à vingt-quatre
ou quarante-huit heures d’intervalle, sont une chose
terrible; et on se demande où les spéculateurs trouvent
le temps de prendre, les positions qu’ils règlent aux
échéances. Deux liquidations par mois pour trois mar-
chés importants, — cela fait six. A deux jours l’une, en
moyenne : total, douze. Ajoutez quatre dimanches pen-
dant lesquels on ne fait rien, quatre samedis, pendant
lesquels on ne fait pas grand’chose, et environ un jour
de chômage par mois, nous arrivons à un chiffre de
ving-et-un jours sur trente, consacrés uniquement à
régler les affaires qu’on a pu faire pendant les neuf
autres jours du mois.
Et pour peu que, comme en ce moment-ci, les échan-
ges soient médiocrement actifs, vous voyez d’ici avec
quel soin les intermédiaires doivent cultiver la carotlc
pour arriver à se tirer d’affaire !
Castortne.
Le Directeur-Gérant, Pierre Véron.
Paris. — Alcan-Lévy, imprimeur breveté, 24, rue Chauchat.