ACTUALITES
13
— Tu vois, j’ai fait paver ma chambre à neuf.
— Croyez-vous que cela sera solide?
Je suis allé à la Renaissance il y a quelques jours.
M. Retombe venail d’être expulsé, et M. Samuel repre-
nait la place, qu’il occupa pendant trois ans, dans le
fauteuil directorial.
L’ex-premier ministre Monza (régisseur général de
M. Letombe; se promena't mélancoliquement, seul, de-
vant l’entrée des artistes. Le concierge, ce baromètre de
la puissance, passa près de lui sans daigner le sa-
luer...
Nous pénétrons dans le théâtre. Il y a là plusdecent
personnes qui encombrent les couloirs, les escaliers,
les anlichambres : auteurs, artistes, beaucoup de da-
mes. Oh ! je les ai tous reconnus. Ce sont toujours les
mêmes, oiseaux cherchant une branche pour y fixer
leur nid: comédiens nomades guettant un engagement;
jeunes auteurs déjà bien vieux dont les poches sont
gonflées de manuscrits refusés un peu partout.
Ils assaillent tous le garçon de bureau.
— Passez-lui ma carte !
— Il m’attend !
— Il sera content de me voir !
Il y a aussi quelques reporters qui veulent connaître
le programme du nouveau maître. Ceux-là passent de-
vant la foule, très pressés.
— Dites-lui que c’est Z..., du Potin. Il me recevra
tout de suite !
On le reçoit, en effet, et il reste plus d’une demi-heure
avec le directeur.
On murmure :
— Quel est donc ce monsieur qui passe avant son
lour?
Le concierge, avec un sourire ironique :
— C’est un journaliste !
Les propos se croisent. Chacun donne son avis.
— Enün 1 il est parti. Ce n’est pas malheureux !
— C’était un poseur !
— En a-t-il fait, des bévues !
— Il ne savait pas ce qu’il voulait!
— Il a joué tant de mauvaises pièces !
— Et quelle troupe exécrable !
— Ah! parlez-moi de M. Samuel! Celui-là est char-
mant avec tout le monde!
— Et intelligent!
— Bon metteur en scène...
— La Renaissance va renaître! dit un monsieur, qui
place ce mot pour la trentième fois depuis une heure.
ik
Depuis trente ans que je m’occupe de théâtre, j’ai vu
bien des débâcles, et c’est toujours le môme spectacle.
J’ai vu tomber le grand Hoslein, cet autocrate qui,
malgré sa douceur abbatiale, en imposait à tout sou
monde. C’était encore à la Renaissance, en 1873. On
avait bâti cette jolie salle pour lui et d’après ses idées.
Avant l’ouverture de la Renaissance, Ilostein était
pour tous un grand homme qui allait accomplir des
prodiges sur celte petite scène. C’était à qui iui offrirait
de l’argent.
Hostein débuta par la Femme de feu, un drame de
M. Belot. La pièce était intéressante, mais pas à sa place.
L'imprésario essaya de tout avec une égale déveine. Rien
ne lui réussissait. Enfin, sur les conseils de Victor Ko-
ning, il tâta de l’opérette, — un genre qu'il exécrait. Il
eut un succès avec Giro/té-Giro/la, et cet ouvrage fut
cependant le dernier qu’il monta. Iîoning, son adminis-
trateur, lui succéda du jour au lendemain, et dès que
les journaux eurent propagé la nouvelle, les escaliers
furent encombrés par les solliciteurs, qui n'avaient pas
assez de louanges pour celui qui arrivait, ni assez de
dédain pour celui qui disparaissait.
On salue toujours le soleil levant!
Ah! oui, j’en ai vu tomber, des directeurs! Marc
Fournier le généreux, mort en un lit d’hôpital, aban-
donné par tous, excepté par cette bonne Mariquila, qui
le pleure encore; Gaspari, qui, après avoir amassé une
fortune à Bobino, se ruina en quelques mois-aux Menus-
Plaisirs; le fils Dejean, riche propriétaire, allant en-
gloutir son futur héritage au Château-d’Eau; Cogniard,
si heureux jusqu’alors, abandonnant aussi ce théâtre
ingrat après cinq ans d’exploitation; Offenbach enfin,
perdant en deux ans, à la Gaîté, le fruit de dix années
de travail... Et combien d’autres encore!
A. Lemoîsniek.
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— Tu vois, j’ai fait paver ma chambre à neuf.
— Croyez-vous que cela sera solide?
Je suis allé à la Renaissance il y a quelques jours.
M. Retombe venail d’être expulsé, et M. Samuel repre-
nait la place, qu’il occupa pendant trois ans, dans le
fauteuil directorial.
L’ex-premier ministre Monza (régisseur général de
M. Letombe; se promena't mélancoliquement, seul, de-
vant l’entrée des artistes. Le concierge, ce baromètre de
la puissance, passa près de lui sans daigner le sa-
luer...
Nous pénétrons dans le théâtre. Il y a là plusdecent
personnes qui encombrent les couloirs, les escaliers,
les anlichambres : auteurs, artistes, beaucoup de da-
mes. Oh ! je les ai tous reconnus. Ce sont toujours les
mêmes, oiseaux cherchant une branche pour y fixer
leur nid: comédiens nomades guettant un engagement;
jeunes auteurs déjà bien vieux dont les poches sont
gonflées de manuscrits refusés un peu partout.
Ils assaillent tous le garçon de bureau.
— Passez-lui ma carte !
— Il m’attend !
— Il sera content de me voir !
Il y a aussi quelques reporters qui veulent connaître
le programme du nouveau maître. Ceux-là passent de-
vant la foule, très pressés.
— Dites-lui que c’est Z..., du Potin. Il me recevra
tout de suite !
On le reçoit, en effet, et il reste plus d’une demi-heure
avec le directeur.
On murmure :
— Quel est donc ce monsieur qui passe avant son
lour?
Le concierge, avec un sourire ironique :
— C’est un journaliste !
Les propos se croisent. Chacun donne son avis.
— Enün 1 il est parti. Ce n’est pas malheureux !
— C’était un poseur !
— En a-t-il fait, des bévues !
— Il ne savait pas ce qu’il voulait!
— Il a joué tant de mauvaises pièces !
— Et quelle troupe exécrable !
— Ah! parlez-moi de M. Samuel! Celui-là est char-
mant avec tout le monde!
— Et intelligent!
— Bon metteur en scène...
— La Renaissance va renaître! dit un monsieur, qui
place ce mot pour la trentième fois depuis une heure.
ik
Depuis trente ans que je m’occupe de théâtre, j’ai vu
bien des débâcles, et c’est toujours le môme spectacle.
J’ai vu tomber le grand Hoslein, cet autocrate qui,
malgré sa douceur abbatiale, en imposait à tout sou
monde. C’était encore à la Renaissance, en 1873. On
avait bâti cette jolie salle pour lui et d’après ses idées.
Avant l’ouverture de la Renaissance, Ilostein était
pour tous un grand homme qui allait accomplir des
prodiges sur celte petite scène. C’était à qui iui offrirait
de l’argent.
Hostein débuta par la Femme de feu, un drame de
M. Belot. La pièce était intéressante, mais pas à sa place.
L'imprésario essaya de tout avec une égale déveine. Rien
ne lui réussissait. Enfin, sur les conseils de Victor Ko-
ning, il tâta de l’opérette, — un genre qu'il exécrait. Il
eut un succès avec Giro/té-Giro/la, et cet ouvrage fut
cependant le dernier qu’il monta. Iîoning, son adminis-
trateur, lui succéda du jour au lendemain, et dès que
les journaux eurent propagé la nouvelle, les escaliers
furent encombrés par les solliciteurs, qui n'avaient pas
assez de louanges pour celui qui arrivait, ni assez de
dédain pour celui qui disparaissait.
On salue toujours le soleil levant!
Ah! oui, j’en ai vu tomber, des directeurs! Marc
Fournier le généreux, mort en un lit d’hôpital, aban-
donné par tous, excepté par cette bonne Mariquila, qui
le pleure encore; Gaspari, qui, après avoir amassé une
fortune à Bobino, se ruina en quelques mois-aux Menus-
Plaisirs; le fils Dejean, riche propriétaire, allant en-
gloutir son futur héritage au Château-d’Eau; Cogniard,
si heureux jusqu’alors, abandonnant aussi ce théâtre
ingrat après cinq ans d’exploitation; Offenbach enfin,
perdant en deux ans, à la Gaîté, le fruit de dix années
de travail... Et combien d’autres encore!
A. Lemoîsniek.