CINQUANTE-NEUVIÈME ANNÉE
Prix du Numéro : 25 centimes
MARDI 21 JANVIER 1890
ABONNEMENTS
PARIS
'Trois mois. 18 fr.
Six mois. 36 —
Un an. 72 —
Les abonnements partent des <" et 46 de chaque mois
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
l»li; Il RE VÉKON
Rédacteur eu Chef
BUREAUX
DR LA RÉDACTION ET DE L’ADMINISTRATION
Rue de la Victoire, 20
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 20 fr.
Six mois. 40 —
Un an. 80 —
L'abonnement d’un an donne droit à la prime gratuite
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
Plliltlili VliBON
R é d a cIe u r eu Chef
ANNONCES
ADOLPHE EW1G, fermier de la publicité
92, Rue Richelieu
LE CHARIVARI
bulletin politique
Le boulangisme est décidément dans la période de
dislocation, presque d'annihilation.
Quand il veut s’affirmer par une délibération com-
mune, les dissidences éclatent avec tant de violence
qu’on est forcé de se séparer sans conclure.
A propos de l’élection de Lorient, par exemple, il
s’est révélé au moins trois espèces de boulangisme.
C’est beaucoup pour un parti qui ne compte qu’une
poignée de membres à la Chambre.
On essaie cependant de dissimuler encore un
émiettement qui ne sera bientôt plus possible à ca-
cher.
On va, en conséquence, célébrer par un banquet
l’anniversaire du 27 janvier, jour où M. Boulanger
fut élu député de Paris l’année dernière.
Cette commémoration nous paraît peu adroite.
En rappelant, en effet, sur quels sommets M. Bou-
langer était hissé il y a un an, on ne fait que démon-
trer plus cruellement la profondeur de sa chute.
C’est un besoin, de temps à autre. Il faut que cer-
taines gens confectionnent et répandent des listes
ministérielles.
On s’est livré encore, ces jours-ci, à cette récréa-
tion, et savez-vous qui l’ou est allé chercher pour eu
faire le président du conseil?
Ce pauvre M. Méline, tombé du fauteuil si piteu-
sement au quai d’Orsay.
Ceux qui ont inventé ce canard ont fait là une fé-
roce application- du vers :
Il est des morts qu’il taut qu’on tue.
Un aimable comble !
On se rappelle la lettre saugrenue — il n’y a pas
d’autre mot — adressée à M. Carnot par l’arche-
vêque de Toulouse, pour lui demander tout sim-
plement de violer la Constitution en s’opposant à
l’application d’une loi votée par les Chambres.
Ce fut un haussement d’épaules général, et chacun
s’esclaffa en voyant un prélat ignorant à ce point des
choses où il voulait mettre le nez.
Eh bien, un autre prélat s’est trouvé pour crier
bravo à, cette ignorance, pour la qualifier même
d’admirable dans une lettre dithyrambique et comi-
que à la fois.
Ce prélat, c’est M. Trégaro, évêque de Séez, dé-
clarant à son collègue qu’il a fait entendre un noble
langage.
On devrait bien envoyer un exemplaire de la Cons-
titution à chaque évêque, pour leur épargner de pa-
reilles bévues.
Pierre Véron.
A M. ***
Conservateur des sources de Lourdes.
A quoi donc pensez-vous, monsieur, et faut-il que
ce soit un profane qui vous rappelle les intérêts
sacrés du commerce pieux et des eaux miracu-
leuses ?
Comment! Une épidémie vient de s’abattre sur la
France. Une épidémie qui a violemment accaparé
l’attention en même temps qu’elle exerçait de cruels
ravages.
Et Lourdes n’a pas pensé à l’exploiter!
Pas un seul petit miracle, à propos d’influenza!
Que dis-je ? La railleuse maladie a envahi les sémi-
naires, qu’on a été obligé de licencier. Elle a fait
tousser, cracher les plus hauts dignitaires de l’E-
glise.
Et votre Vierge est restée inactive !
Et vos piscines sont restées délaissées !
Vous n’avez pas même songé à expédier la guéri-
son en vos bouteilles cachetées !
Savez-vous ce qu’on dit, monsieur? On dit, en
raillant, que vous n'avez pas osé vous attaquer au
mal, parce que votre inutilité aurait été trop piteu-
sement constatée. On dit que vous avez eu peur de
multiplier les fiascos de façon à couler irrémédiable-
ment votre entreprise lucrative. D’où votre absten-
tion.
On dit qu’à Lourdes vous opérez devant des
témoins dont la superstition a fait d’avance des com-
plices.
Tandis qu’en risquant des essais dans toute la
France, vous auriez été confondu, vous et votre
liquide impuissant.
Je vous préviens, monsieur, que si vous voulez
réagir contre cette opinion accréditée, il n’est que
temps.
On demande des miracles à domicile. Mais voulez-
vous parier que vous n’en ferez pas ?
J’ai bien l'honneur de vous saluer.
JEAN BOURGEOIS.
TOUS PATENTÉS
On parle d’appliquer une patente sérieuse aux
journalistes, aux romanciers, en un mot à tous les
gens de lettres en général.
C’est un groupe de commerçants de bonne volonté
qui a pris l’ini!iative de la chose; et voici sur quel
solide raisonnement s’appuient ces notables pour là-
cher une nouvelle patente :
« Nous, disent-ils, nous vendons du vin, je sup-
pose; nous le fabriquons même, — comme le jour-
naliste fabrique son article. Il y a encore ceci de plus
en notre faveur, c’est que le journaliste, pour fabri-
quer sou article, a quelquefois une idée, tandis que
nous n’avons pas de raisin. »
Et quelques personnes, enthousiasmées par ce rai-
sonnement, ont immédiatement fait chorus en
s’écriant : « La littérature, c’est du commerce. »
D'où nécessité d’une patente.
Me permettra-t-on, toutefois, une légère observa-
tion?
Quand le notable a fabriqué son vin, il le met en
vente. Lorsque le « fabricant de livres » a écrit son
roman, il ne vend point son autographe au public ;
il !e porte chez un imprimeur, qui, aprèsavoir acheté
du papier, — chez un monsieur qui paie patente, —
noircit ledit papier avec de l’encre grasse, -- opéra-
tion pour laquelle il paie également patente.
Et lorsque le livre est imprimé, on l’envoie chez
un négociant - toujours patenté — qui se charge de
le vendre.
Eh bien, dans ce livre, mis en vente, il ne reste
rien du travail de l’auteur... que sa pensée, qui
n’est point dans le commerce, il me semble.
Papier, image, caractère, vente en gros et en dé-
tail, tout cela paie patente.
Que veut-on de plus ?
Maintenant patentez les gens de lettres, si ça peut
vous faire plaisir, je n’y vois pas d’autre inconvé-
nient.
Il y a même des écrivains qui s’en frottent les
mains d’avance.
Songez donc ! Une patenle, c’est gentil ; ça vous
pose, ça vous donne une consécra'ion officielle. —
Je paie, donc je suis.
En outre, c’est presque uu titre. On peut le mettre
sur les cartes de visite; ça ferait très bien :
X. ..
fantaisiste patenté du « Hanneton sympathique »
Y. ..
PATENTÉ POUR SES ARTICLES EN TOUS GENRES
Fait la province et l’exportation
Z. ..
FABRICANT PATENTÉ D’ARTICLES DE FOND
Pour les cours étrangères
Seulement, il faut être juste.
Si on fait payer patente à la plume, je demande
que l’éloquence parlementaire paie aussi sa quote-
part.
Rien de plus simple, du reste.
Toutes les fois qu’un orateur monterait à la tri-
bune, on lui collerait dans le dos un compteur dans
le genre de ceux des fiacres, et on le laisserait péro-
rer à l’heure et au kilomètre.
A la fin de la session, on ferait le calcul de ce que
devrait l’honorable pour sa patente de bavard.
Aussi, au moment psychologique de la réélection,
les députés muets se trouveraient fort empêchés.
— Ne réélisez pas Machin 1 s’écrierait le candidat
adverse. Il n’a payé que deux francs quatre-vingt-
quinze de patente... Moi, je m’engage à en payer
pour mille francs !
Ce dernier aurait évidemment des chances.
Jules Demolliens.
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bulletin politique
Le boulangisme est décidément dans la période de
dislocation, presque d'annihilation.
Quand il veut s’affirmer par une délibération com-
mune, les dissidences éclatent avec tant de violence
qu’on est forcé de se séparer sans conclure.
A propos de l’élection de Lorient, par exemple, il
s’est révélé au moins trois espèces de boulangisme.
C’est beaucoup pour un parti qui ne compte qu’une
poignée de membres à la Chambre.
On essaie cependant de dissimuler encore un
émiettement qui ne sera bientôt plus possible à ca-
cher.
On va, en conséquence, célébrer par un banquet
l’anniversaire du 27 janvier, jour où M. Boulanger
fut élu député de Paris l’année dernière.
Cette commémoration nous paraît peu adroite.
En rappelant, en effet, sur quels sommets M. Bou-
langer était hissé il y a un an, on ne fait que démon-
trer plus cruellement la profondeur de sa chute.
C’est un besoin, de temps à autre. Il faut que cer-
taines gens confectionnent et répandent des listes
ministérielles.
On s’est livré encore, ces jours-ci, à cette récréa-
tion, et savez-vous qui l’ou est allé chercher pour eu
faire le président du conseil?
Ce pauvre M. Méline, tombé du fauteuil si piteu-
sement au quai d’Orsay.
Ceux qui ont inventé ce canard ont fait là une fé-
roce application- du vers :
Il est des morts qu’il taut qu’on tue.
Un aimable comble !
On se rappelle la lettre saugrenue — il n’y a pas
d’autre mot — adressée à M. Carnot par l’arche-
vêque de Toulouse, pour lui demander tout sim-
plement de violer la Constitution en s’opposant à
l’application d’une loi votée par les Chambres.
Ce fut un haussement d’épaules général, et chacun
s’esclaffa en voyant un prélat ignorant à ce point des
choses où il voulait mettre le nez.
Eh bien, un autre prélat s’est trouvé pour crier
bravo à, cette ignorance, pour la qualifier même
d’admirable dans une lettre dithyrambique et comi-
que à la fois.
Ce prélat, c’est M. Trégaro, évêque de Séez, dé-
clarant à son collègue qu’il a fait entendre un noble
langage.
On devrait bien envoyer un exemplaire de la Cons-
titution à chaque évêque, pour leur épargner de pa-
reilles bévues.
Pierre Véron.
A M. ***
Conservateur des sources de Lourdes.
A quoi donc pensez-vous, monsieur, et faut-il que
ce soit un profane qui vous rappelle les intérêts
sacrés du commerce pieux et des eaux miracu-
leuses ?
Comment! Une épidémie vient de s’abattre sur la
France. Une épidémie qui a violemment accaparé
l’attention en même temps qu’elle exerçait de cruels
ravages.
Et Lourdes n’a pas pensé à l’exploiter!
Pas un seul petit miracle, à propos d’influenza!
Que dis-je ? La railleuse maladie a envahi les sémi-
naires, qu’on a été obligé de licencier. Elle a fait
tousser, cracher les plus hauts dignitaires de l’E-
glise.
Et votre Vierge est restée inactive !
Et vos piscines sont restées délaissées !
Vous n’avez pas même songé à expédier la guéri-
son en vos bouteilles cachetées !
Savez-vous ce qu’on dit, monsieur? On dit, en
raillant, que vous n'avez pas osé vous attaquer au
mal, parce que votre inutilité aurait été trop piteu-
sement constatée. On dit que vous avez eu peur de
multiplier les fiascos de façon à couler irrémédiable-
ment votre entreprise lucrative. D’où votre absten-
tion.
On dit qu’à Lourdes vous opérez devant des
témoins dont la superstition a fait d’avance des com-
plices.
Tandis qu’en risquant des essais dans toute la
France, vous auriez été confondu, vous et votre
liquide impuissant.
Je vous préviens, monsieur, que si vous voulez
réagir contre cette opinion accréditée, il n’est que
temps.
On demande des miracles à domicile. Mais voulez-
vous parier que vous n’en ferez pas ?
J’ai bien l'honneur de vous saluer.
JEAN BOURGEOIS.
TOUS PATENTÉS
On parle d’appliquer une patente sérieuse aux
journalistes, aux romanciers, en un mot à tous les
gens de lettres en général.
C’est un groupe de commerçants de bonne volonté
qui a pris l’ini!iative de la chose; et voici sur quel
solide raisonnement s’appuient ces notables pour là-
cher une nouvelle patente :
« Nous, disent-ils, nous vendons du vin, je sup-
pose; nous le fabriquons même, — comme le jour-
naliste fabrique son article. Il y a encore ceci de plus
en notre faveur, c’est que le journaliste, pour fabri-
quer sou article, a quelquefois une idée, tandis que
nous n’avons pas de raisin. »
Et quelques personnes, enthousiasmées par ce rai-
sonnement, ont immédiatement fait chorus en
s’écriant : « La littérature, c’est du commerce. »
D'où nécessité d’une patente.
Me permettra-t-on, toutefois, une légère observa-
tion?
Quand le notable a fabriqué son vin, il le met en
vente. Lorsque le « fabricant de livres » a écrit son
roman, il ne vend point son autographe au public ;
il !e porte chez un imprimeur, qui, aprèsavoir acheté
du papier, — chez un monsieur qui paie patente, —
noircit ledit papier avec de l’encre grasse, -- opéra-
tion pour laquelle il paie également patente.
Et lorsque le livre est imprimé, on l’envoie chez
un négociant - toujours patenté — qui se charge de
le vendre.
Eh bien, dans ce livre, mis en vente, il ne reste
rien du travail de l’auteur... que sa pensée, qui
n’est point dans le commerce, il me semble.
Papier, image, caractère, vente en gros et en dé-
tail, tout cela paie patente.
Que veut-on de plus ?
Maintenant patentez les gens de lettres, si ça peut
vous faire plaisir, je n’y vois pas d’autre inconvé-
nient.
Il y a même des écrivains qui s’en frottent les
mains d’avance.
Songez donc ! Une patenle, c’est gentil ; ça vous
pose, ça vous donne une consécra'ion officielle. —
Je paie, donc je suis.
En outre, c’est presque uu titre. On peut le mettre
sur les cartes de visite; ça ferait très bien :
X. ..
fantaisiste patenté du « Hanneton sympathique »
Y. ..
PATENTÉ POUR SES ARTICLES EN TOUS GENRES
Fait la province et l’exportation
Z. ..
FABRICANT PATENTÉ D’ARTICLES DE FOND
Pour les cours étrangères
Seulement, il faut être juste.
Si on fait payer patente à la plume, je demande
que l’éloquence parlementaire paie aussi sa quote-
part.
Rien de plus simple, du reste.
Toutes les fois qu’un orateur monterait à la tri-
bune, on lui collerait dans le dos un compteur dans
le genre de ceux des fiacres, et on le laisserait péro-
rer à l’heure et au kilomètre.
A la fin de la session, on ferait le calcul de ce que
devrait l’honorable pour sa patente de bavard.
Aussi, au moment psychologique de la réélection,
les députés muets se trouveraient fort empêchés.
— Ne réélisez pas Machin 1 s’écrierait le candidat
adverse. Il n’a payé que deux francs quatre-vingt-
quinze de patente... Moi, je m’engage à en payer
pour mille francs !
Ce dernier aurait évidemment des chances.
Jules Demolliens.