CINQUANTE-NEUVIÈME ANNÉE
Prix du Numéro : 25 centimes
MERCREDI 22 JANVIER 1890
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois... 18 fr.
Six mois. 36 —
Un an. 72 —
les abonnements partent des i” et es de chaque mois
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef
BUREAUX
DIÎ LA RÉDACTION ET DE L’ADMINISTRATION
Rue de la Victoire, 20
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 20 fr.
Six mois. 40.—
Un an. 80 —
L’abonnement d’un an donne droit à la prime gratuite
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, fermier de la publicité
92, Rue Richelieu
LE CHARIVARI
bulletin politique
A chaque nouvelle législature, on se remet à parler
de remanier tous les impôts.
C’est précisément ce ions-là qui fait qu’on finit par
ne rien remanier. Qui trop embrasse...
Il est bon de se tenir en garde contre ce travers, et
de n'avoir pas les yeux plus grands que le ventre.
Mais ce n’est pas une raison pour perpétuer indéfini-
ment des statu quo absurdes.
On assure que le gouvernement a particulièrement
le désir très ferme de rééquilibrer et de transformer
*'impôt foncier.
Il a raison, car il y a là des insanités invraisem-
blables.
Sur un point, notamment, une réforme s’impose,
et nous appuyons vigoureusement la réclamation de
la Justice, qui demande une simplification indispen-
sable.
Il s’agit de l’impôt sur les portes et fenêtres,
On ne se doute pas des chinoiseries auxquelles la
répartition actuelle de cet impôt donne lieu.
Or, il suffirait de profiter du travail de la nouvelle
évaluation des propriétés bâties pour fondre en une
seule contribution l’impôt foncier et ledit impôt des
portes et fenêtres.
Ce n’est pas un dégrèvement que l’on propose pour
le moment, c’est,nous le répétons,une simplification.
Comme la Justice, nous estimons qu’il est fort
aisé d’arriver à une contribution unique.
Avec elle, nous nous demandons pourquoi perce-
voir en deux fois, sur deux rôles, la taxe qui va
frapper l’immeuble?
Pourquoi, après avoir élabli une cote foncière,
va-t-on encore une fois recenser les ouvertures et
les compter à part sur une feuille d’imposition ?
N’a-t-il pas été tenu compte de ces impositions
dans l’établissement de la valeur ? Etait-il possible à
la commission de classement, dont nous parlions
tout à l'heure, d’évaluer la maison en faisant ab-
straction des ouvertures? Existerait-il, par hasard,
des maisons sans portes et sans fenêtres ?
Pourquoi donc compliquer inutilement le travail
de l’administration et établir deux rôles quand un
seul suffit ?
Cette maison vaut : tant.
Son impôt sera de : tant.
Rien n’est plus simple.
Or, ce travail d’évaluation pour chaque maison
vient d’être terminé — sur toute l’étendue du terri-
toire — par l’administration des contributions di-
ctes.
Il est donc possible, dès l’année prochaine, et en
°e qui concerne les propriétés bâties, de transfor-
mer en un impôt de quotité unique les deux contri-
buons, foncière et des portes et fenêtres.
Justice, à l’appui de sa thèse, cite de prodi-
^ieqses niaiseries engendrées par la loi actuelle, loi
pieuse déjà par son principe, qui taxe l’air, et stu-
PMe dans ses applications.
La loi exempte, par exemple, les ouvertures des
« manufactures », mais elle a omis d’accorder la
même faveur aux ouvertures des ateliers. Le fisc et
les contribuables se disputent donc, â perte de vue,
sur ce qu’il faut entendre exactement par « manufac-
tures » et par « ateliers». Et l’on arrive à ce résultat
étrange, c’est que dans un établissement compre-
nant une fabrique de drap, les ouvertures du tissage
sont exemptes, tandis que celles du foulon et de la
teinturerie sont imposées. Qu’est-il résulté de cette
façon d’interpréter la loi? La plupart des propriétai-
res se sont efforcés —^ au grand détriment de 1 hy-
giène — de donner le moins d’air possible à leurs
ateliers.
Est-ce assez joli?
Il y a plus cocasse encore.
« Pensez-vous, questionne la Justice, qu’une ou-
verture éclairant un cabinet d’aisances soit impo-
sable? » ,
Ne riez pas 1 Le conseil d’Etat a délibéré par deux
fois sur cette grave question, et il a décidé :
Par l’arrêt 1557, que cette ouverture est imposa-
ble si le cabinet fait partie de l’habitation ;
Et par l’arrêt 2514, que cette ouverture ne doit pas
être taxée si le cabinet est séparé de l’habitation par
une cour.
Après celle-là il faut tirer l’échelle, n’est-ce pas?
Un impôt qui engendre de pareilles inepties est
lui-même bon... à mettre au cabinet, comme le son-
net de Molière.
C’est ce que fera, nous l’espérons, le gouverne-
ment, d’accord avec le Parlement.
Pierre Véron.
A LA PETITE SEMAINE
LVII
Je me suis offert hier, en raffinée d’émotions que
je suis, un spectacle qui me paraît être le nec plus
ultra de la mélancolie pratique.
P xr un de ces temps gris et lugubres qui nous en-
gourdissent cet hiver, je m’en suis allée flâner à tra-
vers les ruines et restes de l’Exposition.
Je vous assure que c’est sinistre... et savoureux.
Un brouillard vague traînait à hauteur des mai-
sons d’alentour. Sur la Seine morne, éclatait de
temps en temps le hurlement de la sirène d’un re-
morqueur, navrant comme une plainte humaine.
Les passants, le nez baissé, se hâtaient en
échangeant des commentaires sombres sur lin-
fluenza.
Tout avait l’air d’être en deuil.
Et je commençai ma pérégrination en la mineur
par l’esplanade des Invalides.
Vous vous la rappelez, cette esplanade, telle que
vous la vîtes sous le ruisselant soleil de juillet.
Vous vous la rappelez avec son tohu-bohu carac-
téristique, ses pousse-pousse traînés par de petits
bonshommes jaunes, ses danseuses chocolat aux
contorsions lascives, ses vociférants Annamites, ses
impassibles Sénégalais, ses bazars bariolés et grouil-
lants, son embarcadère fiévreux...
O métamorphose! G’èst présentement l’abomina-
tion delà désolation.
Partout des jonchées de plâtras, des carcasses de
bâtiments à demi éventrés, des détritus épars, des
solitudes éplorées.
Il subsiste encore quelque chose des cabanes où
les petites Javanaises tortillaient du torse. Dislo-
qué, crasseux, cela ressemble à des nids à vermine...
Pouah !
Et dire que la badauderie parisienne s’est bouscu-
lée là-dedans pendant des mois!
Les pagodes entamées par la pluie ressemblent à
de vieux débris de pâtisserie que l’averse a délayés
sur le tas d’ordures.
Par terre, les bazars où se débitaient si conscien-
cieusement des orientalismes fabriqués à Puteaux.
Ceux-là, il n’y a pas à les regretter, oh! non.
c/î\>
Le pavillon du ministère de la guerre, — qui pa-
raissait si imposant jadis avec sa vaste façade, ses
créneaux menaçants, ses canons d’une symétrie bel-
liqueuse, — le pavillon du ministère delà guerre est
troué par les pioches, et l’on voit que c’élait pour
rire, ces déploiements pompeux.
Ce qui m’a fait, hélas! songer à l’organisation de
noire défense en 1870. Tout en façade et rien der-
rière !
A l’autre bout, se morfond le panorama du Tout-
Paris. Une bien vilaine chose, bien anli artistique et
dont le marteau devrait vraiment nous débarrasser.
Philosophiquement, en même temps que moi, cir-
cule un vieil invalo tout ébréché, qui boche de temps
en temps ia tête et se trémousse sur sa jambe de
bois, en homme qui pense :
— Je connais ça, moi, les envers du triomphe et
de la gloire !
OfC
C’était le premier acte, plus profondément trisle
que n’importe quel mélodrame, je vous l’assure.
Ainsi passent les joies de ce monde I
Il est impossible de ne pas se sentir le cœur
serré, en contemplant ce lendemain de fête en
deuil.
Il est impossible aussi de ne pas se faire cette
réflexion :
— La badauderie a été bien bête tout de même de
s’emballer pour si peu.
Car, maintenant qu’on les revoit dépouillées de
prestige, ces baraques, on est stupéfait du rieu que
c’était en effet, et l’on se demande ce qui a pu faire
accourir les foules...
On se le demande encore plus quand on se trans-
porte ensuite au Champ de Mars.
Vous savez aussi bien que moi qu’au Champ de
Mars, c’est le contenant qui était tout, qu’on n’y a
pas montré une seule nouveauté neuve, que ce fut
une Exposition de redites.
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LE CHARIVARI
bulletin politique
A chaque nouvelle législature, on se remet à parler
de remanier tous les impôts.
C’est précisément ce ions-là qui fait qu’on finit par
ne rien remanier. Qui trop embrasse...
Il est bon de se tenir en garde contre ce travers, et
de n'avoir pas les yeux plus grands que le ventre.
Mais ce n’est pas une raison pour perpétuer indéfini-
ment des statu quo absurdes.
On assure que le gouvernement a particulièrement
le désir très ferme de rééquilibrer et de transformer
*'impôt foncier.
Il a raison, car il y a là des insanités invraisem-
blables.
Sur un point, notamment, une réforme s’impose,
et nous appuyons vigoureusement la réclamation de
la Justice, qui demande une simplification indispen-
sable.
Il s’agit de l’impôt sur les portes et fenêtres,
On ne se doute pas des chinoiseries auxquelles la
répartition actuelle de cet impôt donne lieu.
Or, il suffirait de profiter du travail de la nouvelle
évaluation des propriétés bâties pour fondre en une
seule contribution l’impôt foncier et ledit impôt des
portes et fenêtres.
Ce n’est pas un dégrèvement que l’on propose pour
le moment, c’est,nous le répétons,une simplification.
Comme la Justice, nous estimons qu’il est fort
aisé d’arriver à une contribution unique.
Avec elle, nous nous demandons pourquoi perce-
voir en deux fois, sur deux rôles, la taxe qui va
frapper l’immeuble?
Pourquoi, après avoir élabli une cote foncière,
va-t-on encore une fois recenser les ouvertures et
les compter à part sur une feuille d’imposition ?
N’a-t-il pas été tenu compte de ces impositions
dans l’établissement de la valeur ? Etait-il possible à
la commission de classement, dont nous parlions
tout à l'heure, d’évaluer la maison en faisant ab-
straction des ouvertures? Existerait-il, par hasard,
des maisons sans portes et sans fenêtres ?
Pourquoi donc compliquer inutilement le travail
de l’administration et établir deux rôles quand un
seul suffit ?
Cette maison vaut : tant.
Son impôt sera de : tant.
Rien n’est plus simple.
Or, ce travail d’évaluation pour chaque maison
vient d’être terminé — sur toute l’étendue du terri-
toire — par l’administration des contributions di-
ctes.
Il est donc possible, dès l’année prochaine, et en
°e qui concerne les propriétés bâties, de transfor-
mer en un impôt de quotité unique les deux contri-
buons, foncière et des portes et fenêtres.
Justice, à l’appui de sa thèse, cite de prodi-
^ieqses niaiseries engendrées par la loi actuelle, loi
pieuse déjà par son principe, qui taxe l’air, et stu-
PMe dans ses applications.
La loi exempte, par exemple, les ouvertures des
« manufactures », mais elle a omis d’accorder la
même faveur aux ouvertures des ateliers. Le fisc et
les contribuables se disputent donc, â perte de vue,
sur ce qu’il faut entendre exactement par « manufac-
tures » et par « ateliers». Et l’on arrive à ce résultat
étrange, c’est que dans un établissement compre-
nant une fabrique de drap, les ouvertures du tissage
sont exemptes, tandis que celles du foulon et de la
teinturerie sont imposées. Qu’est-il résulté de cette
façon d’interpréter la loi? La plupart des propriétai-
res se sont efforcés —^ au grand détriment de 1 hy-
giène — de donner le moins d’air possible à leurs
ateliers.
Est-ce assez joli?
Il y a plus cocasse encore.
« Pensez-vous, questionne la Justice, qu’une ou-
verture éclairant un cabinet d’aisances soit impo-
sable? » ,
Ne riez pas 1 Le conseil d’Etat a délibéré par deux
fois sur cette grave question, et il a décidé :
Par l’arrêt 1557, que cette ouverture est imposa-
ble si le cabinet fait partie de l’habitation ;
Et par l’arrêt 2514, que cette ouverture ne doit pas
être taxée si le cabinet est séparé de l’habitation par
une cour.
Après celle-là il faut tirer l’échelle, n’est-ce pas?
Un impôt qui engendre de pareilles inepties est
lui-même bon... à mettre au cabinet, comme le son-
net de Molière.
C’est ce que fera, nous l’espérons, le gouverne-
ment, d’accord avec le Parlement.
Pierre Véron.
A LA PETITE SEMAINE
LVII
Je me suis offert hier, en raffinée d’émotions que
je suis, un spectacle qui me paraît être le nec plus
ultra de la mélancolie pratique.
P xr un de ces temps gris et lugubres qui nous en-
gourdissent cet hiver, je m’en suis allée flâner à tra-
vers les ruines et restes de l’Exposition.
Je vous assure que c’est sinistre... et savoureux.
Un brouillard vague traînait à hauteur des mai-
sons d’alentour. Sur la Seine morne, éclatait de
temps en temps le hurlement de la sirène d’un re-
morqueur, navrant comme une plainte humaine.
Les passants, le nez baissé, se hâtaient en
échangeant des commentaires sombres sur lin-
fluenza.
Tout avait l’air d’être en deuil.
Et je commençai ma pérégrination en la mineur
par l’esplanade des Invalides.
Vous vous la rappelez, cette esplanade, telle que
vous la vîtes sous le ruisselant soleil de juillet.
Vous vous la rappelez avec son tohu-bohu carac-
téristique, ses pousse-pousse traînés par de petits
bonshommes jaunes, ses danseuses chocolat aux
contorsions lascives, ses vociférants Annamites, ses
impassibles Sénégalais, ses bazars bariolés et grouil-
lants, son embarcadère fiévreux...
O métamorphose! G’èst présentement l’abomina-
tion delà désolation.
Partout des jonchées de plâtras, des carcasses de
bâtiments à demi éventrés, des détritus épars, des
solitudes éplorées.
Il subsiste encore quelque chose des cabanes où
les petites Javanaises tortillaient du torse. Dislo-
qué, crasseux, cela ressemble à des nids à vermine...
Pouah !
Et dire que la badauderie parisienne s’est bouscu-
lée là-dedans pendant des mois!
Les pagodes entamées par la pluie ressemblent à
de vieux débris de pâtisserie que l’averse a délayés
sur le tas d’ordures.
Par terre, les bazars où se débitaient si conscien-
cieusement des orientalismes fabriqués à Puteaux.
Ceux-là, il n’y a pas à les regretter, oh! non.
c/î\>
Le pavillon du ministère de la guerre, — qui pa-
raissait si imposant jadis avec sa vaste façade, ses
créneaux menaçants, ses canons d’une symétrie bel-
liqueuse, — le pavillon du ministère delà guerre est
troué par les pioches, et l’on voit que c’élait pour
rire, ces déploiements pompeux.
Ce qui m’a fait, hélas! songer à l’organisation de
noire défense en 1870. Tout en façade et rien der-
rière !
A l’autre bout, se morfond le panorama du Tout-
Paris. Une bien vilaine chose, bien anli artistique et
dont le marteau devrait vraiment nous débarrasser.
Philosophiquement, en même temps que moi, cir-
cule un vieil invalo tout ébréché, qui boche de temps
en temps ia tête et se trémousse sur sa jambe de
bois, en homme qui pense :
— Je connais ça, moi, les envers du triomphe et
de la gloire !
OfC
C’était le premier acte, plus profondément trisle
que n’importe quel mélodrame, je vous l’assure.
Ainsi passent les joies de ce monde I
Il est impossible de ne pas se sentir le cœur
serré, en contemplant ce lendemain de fête en
deuil.
Il est impossible aussi de ne pas se faire cette
réflexion :
— La badauderie a été bien bête tout de même de
s’emballer pour si peu.
Car, maintenant qu’on les revoit dépouillées de
prestige, ces baraques, on est stupéfait du rieu que
c’était en effet, et l’on se demande ce qui a pu faire
accourir les foules...
On se le demande encore plus quand on se trans-
porte ensuite au Champ de Mars.
Vous savez aussi bien que moi qu’au Champ de
Mars, c’est le contenant qui était tout, qu’on n’y a
pas montré une seule nouveauté neuve, que ce fut
une Exposition de redites.