CINQUANTE-NEUVIÈME ANNÉE
JEUDI 23 JANVIER 1890
Prix dis Numéro : 25 centimes
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 l'r.
Six mois. 36 —
Un an. 72 —
Les abonnements parlent des et te de chaque mois
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
1» J EURE VIS II ON
U 6 «1 il c t e il v en Ci li e f
BUREAUX
DE La RÉDACTION ET DE I.’ADMINISTnATION
Rue de la Victoire, 20
LE
BULLETIN POLITIQUE
Que voulez-vous? On s’ennuie terriblement au Va-
tican !
Jadis, pour se distraire, Léon XIII faisait de mau-
vais vers latins. Il a changé de récréation et fait
maintenant de la prose latine qui ne vaut pas davan-
tage.
En revanche, il remplace la qualité par la quantité.
Quel coup de robinet que la dernière encyclique
dont nous avons enfin le texte 1
Pas une idée neuve dans cet interminable fatras.
Le pape tient la férule à la façon d’un magister,
amalgamant les conseils oiseux et les réprimandes
impuissantes.
Nous ne vous infligerons aucune citation emprun-
tée à ce document qui suinte le plus cruel ennui.
L’encyclique ne fait que répéter ce que vingt au-
tres ont psalmodié avant elle.
Si la formule n’avait pas été appliquée déjà, il la
faudrait invenler pour ce document.
C’est bien, en effet, Prudhomme sur le Sinaï.
Le branle-bas boulangiste de l’autre jour est natu-
rellement suivi d’une accalmie.
On se rappelle involontairement les vers d’Hugo :
Vicomte de Faucault, lorsque vous empoignâtes
L’éloquent Manuel de vos mains auvergnates...
L’histoire a ses recommencements inévitables. Les
violences des uns appellent les violences des autres.
Il est certain que la Chambre aurait mieux fait de
ne pas valider M. Joffrin, contre tous les principes
de l’arithmétique légale; mais il est non moins cer-
tain qu’elle est tenue défaire respecter son voie, et
môme de le faire respecter d’autant plus qu’elle le
sent suspect.
Les boulangistes, par conséquent, étaient sûrs
d'être menés rudement. C’est probablement ce qu’ils
voulaient pour se donner l’auréole du martyre.
Puis, je crois qu’il y a eu là-dessous une autre
arrière-pensée, qu’on a voulu tenter une expérience
sur l’attitude de la droite et savoir si le boulangisme
pourrait compter sur elle pour les boucans futurs et
les coalitions rêvées.
L’expérience, à ce point de vue, n’est pas très
concluante. La droite a tâtonné, bien qu’elle ait fait
entendre un certain nombre de vociférations suffi-
samment assourdissantes. Mais l’ensemble complet
n’y était pas. Il y a évidemment des royalistes qui
ne sont pas disposés à tirer les marrons du feu.
Le malheur, c’est que tout cela n’est pas pour
rehausser le prestige du parlementarisme.
Ces tumultes augmentent, au contraire, le décri
dont il est frappé. Sous ce rapport seulement, le
boulangisme a atteint en partie son but.
Mais qu’il ne s’abuse pas. Présentement, si l’on
Arrivait à tuer le parlementarisme, ee n’est plus le
boulangisme qui en hériterait.
Pierre Véron.
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 20 fr.
Six mois. 40 —
Un an. 80 —
L’abonnement d’un an donne droit à la prime gratuite
DI RECTION
Poil tiqué, Littéraire et Artistique
NE RUE VIS II ON
Réducteur eu Chef
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, fermier de la publicité
92, Rue Richelieu
CHARIVARI
CHEZ SES ÉLECTIIIÜS
Donc, c’est chose à peu près décidée : les femmes
commerçantes auront le droit d’élire les juges con-
sulaires, — comme les hommes.
Pour ma part, je n’y vois pas d’inconvénient.
Une grave feuille fait cependant des objections :
« Il est monstrueux, dit-elle, de laisser voter des
gens qui ne sont pas éligibles; c’est absolument
contraire aux règles primordiales qui gouvernent le
suffrage universel. »
Pardon ! Est-ce en vertu de cette règle primordiale
que le majeur de vingt et un ans, qui n’a pas le droit
d’être député, peut envoyer un monsieur au Palais-
Bourbon, et que le délégué qui n’a pas quarante
ans fabrique des sénateurs?
Pas Irès solide, l’objection.
Et puis, cette innovation amènera sans doute des
électeurs aux urnes.
Les hommes ne votaient jamais ; peut-être qu’avec
les femmes, ça ira mieux.
Par exemple, les tournées électorales des candi-
dats ne seront pas toutes roses, ainsi que des gens à
l’humeur folichonne se plaisent à le croire.
Tenez, voici le brave Chapuzot (de la maison Cha-
puzot-Boulinard, peaux de lapin décaties) qui brigue
uu siège au tribunal de commerce.
Il a dressé la liste de ses électeurs, — tout le Boltin-,
— mais comme il sait que les hommes s'abstiennent,
il se rabat sur les femmes.
Il entre chez Mme Beaulinois (fleurs et plumes),
une veuve inflammable.
Aux premiers mots de Chapuzot, Mme Beautinois
l’interrompt :
— Ma voix !... Vous venez me demander ma voix !
s’écrie-t-elle; je ne la donnerai qu’avec ma main !
Et Chapuzot est marié, l’infortuné !
Tout déconfit., il se rend chez Mme Chapou (con-
fection), une femme qui a juré de ne pas convoler.
— Eh bien, Mme Chapon, comment vont les
affaires? demande-t-il d’un air bonhomme.
— Couci couci.
— C’est-à-dire très bien.
— Pas trop mal, je n’ai pas à me plaindre... Si ce
n’était ma fille Prosèrpine...
— Ah!
— Oui. Pauvre enfant! elle a une jambe...
— Comme lout le monde...
— Non, pas comme fout le monde, malheureuse-
ment... Enfin, ça m’empêchedela caser... Chapuzot,
si vous mariez ma fille, je vous donne ma voix !
Le candidat, un peu inquiet, continue ses visites.
Il a noté sur sa liste Mlle Paquita, gantière pa-
tentée, passage Trois-Etoiles.
Il entre dans la minuscule boutique, très sombre,
les gants pendus à la devanture tamisant le jour
déjà insuffisant du passage.
— Je ne la connais pas, cetle demoiselle, se dit le
vertueux Chapuzot; je vais lui acheter quelque
chose.
— Vous désirez, monsieur? demande la gantière.
— Des gants.
Mlle Paquita fouille dans un carton et en tire au
hasard des gants d’enfant.
— Ceci fera l’affaire, dit-elle.
— Mademoiselle, balbutie Chapuzot ému, je suis
venu aussi pour un autre motif...
— Parbleu !... Si monsieur veut entrer...
Et, se méprenant, elle indique du doigt l’arrière-
boutique.
— Nous sommes aussi bien ici...
A ce moment, Mlle Paquita aperçoit les bretelles
que Chapuzot tient à la main.
— Ah ! je comprends, dit-elle avec aigreur, mon-
sieur vient de chez cette chipie d’en face, ma concur-
rente...
— Votre concurrente !
— •Ça-ne m’étonne pas si vous avez la conversa-
tion aussi décousue.
Chapuzot commence à perdre la tête.
Il empoigne la paire de gants qui se trouve de-
vant lui et jette 3 fr. 7o sur le comptoir, pendantque
Mlle Paquita lui crie, furieuse :
— Et vous avez le toupet d’emporter les gants !...
En voilà un animal qui vient dégarnir ma bou-
tique !
Chapuzot s’enfuit épouvanté.
Jules Demolliens
THÉÂTRES
VAUDEVILLE : La Comtesse Romani.
Toujours désagréable de regarder en arrière. Nous
nous dispenserons donc d’évoquer des souvenirs qui
datent déjà de plusieurs années, hélas !
L’intérêt de la soirée était, d’ailleurs, moins dans
la pièce que dans la personnalité de sa principale
interprète.
On se rappelait plus ou moins le succès obtenu ja-
dis au Gymnase par la Comtesse Romani, fruit d’une
collaboration inattendue entre M. Gustave Fould et
M. Alexandre Dumas. D’où le pseudonyme à deux
fins de Gustave de Jalin, qui figure encore sur l’af-
fiche.
On se rappelait aussi que,primitivement, la Com-
tesse Romani s’intitulait : Le Mari d'une Etoile.
Mais je le répète, les points d’interrogation échan-
gés à l’arrivée par les spectateurs visaient bien plu-
tôt Mme Jane Hading que la pièce.
Le public parisien avait regretté très sincèrement
le trop long silence imposé par les circonstances à
une des rares artistes chez qui se fût révélé, dans
ces derniers temps, un tempérament de comédienne.
Aussi accueillit-il avec une sincère satisfaction la
nouvelle de sa rentrée.
Nous ne sommes pas riches, savez-vous, en étoi-
les ; par conséquent, nous devons être désireux
d'utiliser tous les talents disponibles.
Mme Jane Iiading aurait pu se contenter d'être
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LE
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Que voulez-vous? On s’ennuie terriblement au Va-
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Jadis, pour se distraire, Léon XIII faisait de mau-
vais vers latins. Il a changé de récréation et fait
maintenant de la prose latine qui ne vaut pas davan-
tage.
En revanche, il remplace la qualité par la quantité.
Quel coup de robinet que la dernière encyclique
dont nous avons enfin le texte 1
Pas une idée neuve dans cet interminable fatras.
Le pape tient la férule à la façon d’un magister,
amalgamant les conseils oiseux et les réprimandes
impuissantes.
Nous ne vous infligerons aucune citation emprun-
tée à ce document qui suinte le plus cruel ennui.
L’encyclique ne fait que répéter ce que vingt au-
tres ont psalmodié avant elle.
Si la formule n’avait pas été appliquée déjà, il la
faudrait invenler pour ce document.
C’est bien, en effet, Prudhomme sur le Sinaï.
Le branle-bas boulangiste de l’autre jour est natu-
rellement suivi d’une accalmie.
On se rappelle involontairement les vers d’Hugo :
Vicomte de Faucault, lorsque vous empoignâtes
L’éloquent Manuel de vos mains auvergnates...
L’histoire a ses recommencements inévitables. Les
violences des uns appellent les violences des autres.
Il est certain que la Chambre aurait mieux fait de
ne pas valider M. Joffrin, contre tous les principes
de l’arithmétique légale; mais il est non moins cer-
tain qu’elle est tenue défaire respecter son voie, et
môme de le faire respecter d’autant plus qu’elle le
sent suspect.
Les boulangistes, par conséquent, étaient sûrs
d'être menés rudement. C’est probablement ce qu’ils
voulaient pour se donner l’auréole du martyre.
Puis, je crois qu’il y a eu là-dessous une autre
arrière-pensée, qu’on a voulu tenter une expérience
sur l’attitude de la droite et savoir si le boulangisme
pourrait compter sur elle pour les boucans futurs et
les coalitions rêvées.
L’expérience, à ce point de vue, n’est pas très
concluante. La droite a tâtonné, bien qu’elle ait fait
entendre un certain nombre de vociférations suffi-
samment assourdissantes. Mais l’ensemble complet
n’y était pas. Il y a évidemment des royalistes qui
ne sont pas disposés à tirer les marrons du feu.
Le malheur, c’est que tout cela n’est pas pour
rehausser le prestige du parlementarisme.
Ces tumultes augmentent, au contraire, le décri
dont il est frappé. Sous ce rapport seulement, le
boulangisme a atteint en partie son but.
Mais qu’il ne s’abuse pas. Présentement, si l’on
Arrivait à tuer le parlementarisme, ee n’est plus le
boulangisme qui en hériterait.
Pierre Véron.
ABONNEMENTS
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Trois mois. 20 fr.
Six mois. 40 —
Un an. 80 —
L’abonnement d’un an donne droit à la prime gratuite
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CHEZ SES ÉLECTIIIÜS
Donc, c’est chose à peu près décidée : les femmes
commerçantes auront le droit d’élire les juges con-
sulaires, — comme les hommes.
Pour ma part, je n’y vois pas d’inconvénient.
Une grave feuille fait cependant des objections :
« Il est monstrueux, dit-elle, de laisser voter des
gens qui ne sont pas éligibles; c’est absolument
contraire aux règles primordiales qui gouvernent le
suffrage universel. »
Pardon ! Est-ce en vertu de cette règle primordiale
que le majeur de vingt et un ans, qui n’a pas le droit
d’être député, peut envoyer un monsieur au Palais-
Bourbon, et que le délégué qui n’a pas quarante
ans fabrique des sénateurs?
Pas Irès solide, l’objection.
Et puis, cette innovation amènera sans doute des
électeurs aux urnes.
Les hommes ne votaient jamais ; peut-être qu’avec
les femmes, ça ira mieux.
Par exemple, les tournées électorales des candi-
dats ne seront pas toutes roses, ainsi que des gens à
l’humeur folichonne se plaisent à le croire.
Tenez, voici le brave Chapuzot (de la maison Cha-
puzot-Boulinard, peaux de lapin décaties) qui brigue
uu siège au tribunal de commerce.
Il a dressé la liste de ses électeurs, — tout le Boltin-,
— mais comme il sait que les hommes s'abstiennent,
il se rabat sur les femmes.
Il entre chez Mme Beaulinois (fleurs et plumes),
une veuve inflammable.
Aux premiers mots de Chapuzot, Mme Beautinois
l’interrompt :
— Ma voix !... Vous venez me demander ma voix !
s’écrie-t-elle; je ne la donnerai qu’avec ma main !
Et Chapuzot est marié, l’infortuné !
Tout déconfit., il se rend chez Mme Chapou (con-
fection), une femme qui a juré de ne pas convoler.
— Eh bien, Mme Chapon, comment vont les
affaires? demande-t-il d’un air bonhomme.
— Couci couci.
— C’est-à-dire très bien.
— Pas trop mal, je n’ai pas à me plaindre... Si ce
n’était ma fille Prosèrpine...
— Ah!
— Oui. Pauvre enfant! elle a une jambe...
— Comme lout le monde...
— Non, pas comme fout le monde, malheureuse-
ment... Enfin, ça m’empêchedela caser... Chapuzot,
si vous mariez ma fille, je vous donne ma voix !
Le candidat, un peu inquiet, continue ses visites.
Il a noté sur sa liste Mlle Paquita, gantière pa-
tentée, passage Trois-Etoiles.
Il entre dans la minuscule boutique, très sombre,
les gants pendus à la devanture tamisant le jour
déjà insuffisant du passage.
— Je ne la connais pas, cetle demoiselle, se dit le
vertueux Chapuzot; je vais lui acheter quelque
chose.
— Vous désirez, monsieur? demande la gantière.
— Des gants.
Mlle Paquita fouille dans un carton et en tire au
hasard des gants d’enfant.
— Ceci fera l’affaire, dit-elle.
— Mademoiselle, balbutie Chapuzot ému, je suis
venu aussi pour un autre motif...
— Parbleu !... Si monsieur veut entrer...
Et, se méprenant, elle indique du doigt l’arrière-
boutique.
— Nous sommes aussi bien ici...
A ce moment, Mlle Paquita aperçoit les bretelles
que Chapuzot tient à la main.
— Ah ! je comprends, dit-elle avec aigreur, mon-
sieur vient de chez cette chipie d’en face, ma concur-
rente...
— Votre concurrente !
— •Ça-ne m’étonne pas si vous avez la conversa-
tion aussi décousue.
Chapuzot commence à perdre la tête.
Il empoigne la paire de gants qui se trouve de-
vant lui et jette 3 fr. 7o sur le comptoir, pendantque
Mlle Paquita lui crie, furieuse :
— Et vous avez le toupet d’emporter les gants !...
En voilà un animal qui vient dégarnir ma bou-
tique !
Chapuzot s’enfuit épouvanté.
Jules Demolliens
THÉÂTRES
VAUDEVILLE : La Comtesse Romani.
Toujours désagréable de regarder en arrière. Nous
nous dispenserons donc d’évoquer des souvenirs qui
datent déjà de plusieurs années, hélas !
L’intérêt de la soirée était, d’ailleurs, moins dans
la pièce que dans la personnalité de sa principale
interprète.
On se rappelait plus ou moins le succès obtenu ja-
dis au Gymnase par la Comtesse Romani, fruit d’une
collaboration inattendue entre M. Gustave Fould et
M. Alexandre Dumas. D’où le pseudonyme à deux
fins de Gustave de Jalin, qui figure encore sur l’af-
fiche.
On se rappelait aussi que,primitivement, la Com-
tesse Romani s’intitulait : Le Mari d'une Etoile.
Mais je le répète, les points d’interrogation échan-
gés à l’arrivée par les spectateurs visaient bien plu-
tôt Mme Jane Hading que la pièce.
Le public parisien avait regretté très sincèrement
le trop long silence imposé par les circonstances à
une des rares artistes chez qui se fût révélé, dans
ces derniers temps, un tempérament de comédienne.
Aussi accueillit-il avec une sincère satisfaction la
nouvelle de sa rentrée.
Nous ne sommes pas riches, savez-vous, en étoi-
les ; par conséquent, nous devons être désireux
d'utiliser tous les talents disponibles.
Mme Jane Iiading aurait pu se contenter d'être