CINQUANTE-NEUVIÈME ANNÉE
Prix du Numéro : 25 centimes
VENDREDI 24 JANVIER 1890
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 lï.
Six mois. 36 —
Un an. 12 —
Les abonnements parlent des ior et ie de chaque mois
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE V É BON
Rédacteur en Chef
bureaux
DE LA RÉDACTION ET DE L’ADMINISTRATION
Rue de la Victoire, 20
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 20 fr.
Six mois. 40 —
Un an. 80 —
L’abonnement d'un an donne droit à la prime gratuite
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIE RIVE VÉRON
Rédacteur en Chef
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, fermier de i.a publicité
92, Rue Richelieu
ARIVARI
bulletin politique
M. de Belcastel est mort.
Ce fut une des figures les plus curieuses de l’As-
semblée versaillaise. Un illuminé catholique.
Il doit avoir succombé dans l’angoisse, car il avait
eu le temps de constater, hélas I l’impuissance des
manifestations d’ardente piété dont il avait été le
promoteur.
Quand il dédiait la France au Sacré-Cœur, quand
il faisait rétablir les prières publiques, quand il réus-
sissait à organiser des pèlerinages parlementaires à
destination de Paray-le-Monial, M. de Belcastel de-
vait s’imaginer candidement qu’il assurait ainsi le
triomphe de la sainle cause.
Or, la sainte cause n’a pas triomphé du tout. Le
cher Henri Y est mort en exil, et la France est plus
loin que jamais des restaurations monarchiques.
Oui, il a dû mourir profondément angoissé, ce
pauvre M. de Belcastel.
Car, à son Dieu le veut obstiné, les événements ont
répondu par un Dieu ne le veut pas encore plus éner-
gique.
Noirs avons un nouveau directeur des Postes et té-
légraphes. L’ancien ne doit pas être fâché d'être
parti. On n’est pas fâché qu’il le soit. Tout donc eH
pour le mieux jusque-là.
Mais il va falloir que son remplaçant fasse meil-
leure besogne.
Nous sommes charmé de voir qu'on a renoncé à
la combinaison saugrenue du sous-secrétariat dé-
cerné à un homme politique.
La solution, sur ce point, donne raison à notre
protestation énergique.
II ne reste pas moins, pour M. de Selves, le
nouveau venu, un long et difficile apprentissage à
faire. Il arrive naturellement sans connaître le pre-
mier mot du métier, dans un moment où toute l’ha-
bileté d’un expert serait indispensable pour trancher
des difficultés sans nombre.
La téléphonie notamment est en pleine dislocation.
C’en est fait d’elle — à notre honte — si l’on n’y met
promptement bon ordre.
Or çà, pourquoi — voudriez-vous me le dire ? —
ne prend-ou jamais, en notre belle France, un fonc-
tionnaire apte à sa fonction parmi les employés qui
ont vieilli sous le harnais?
Pourquoi, par exemple, ne donne-t-on pas un
avancement légitime à quelque chef de division
ayant prouvé des capacités exceptionnelles ? Pour-
quoi toujours choisir en dehors du personnel celui
qui, pour le bien diriger, a besoin de le connaître à
fond ?
Hélas I nous savons que nous prêchons dans le
désert. Mais quand on sera las de l’absurdité, peut-
*^re un jour essaiera-t-on tout de même du raison-
nable.
Ces mœurs-là s’expliquaient encore en monar-
chie. En démocratie c’est un contre - sens mons-
trueux. Car le premier principe d’une d^iocratie
sincère est de ne pas faire passer lé favoritisme
avant les droits acquis et de pratiquer exclusive-
ment la promotion des capacités.
Or, il se trouve que c’est la squlé chose que nos
démocrates ne fassent jamais !
Pierre Véron.
LAB.O CHSFOUCÎ ADBS
Voilà que le mouvement anli sémitique se remet
en branle. Il paraît même que certains boulangistes
prennent ce mot d’ordre, dans i'espérance sans doute
de se repopulariser.
Parlons donc de l’anti sémitisme.
Quand ce sont des fanatiques, des énergumènes
de dévotion qui, pour prouver leur esprit évangéli-
que, parlent de rallumer les bûchers, rien ne nous
étonne dans cet illogisme spécial.
On sait que leur devise est : Convertir ou suppri-
mer. C’est ainsi qu’ils traduisent la maxime : « Ai-
mons-nous les uns les autres. »
Et nous laissons, indifférent, ces goupillons se
tremper dans le vitriol bénit.
Mais ce qui nous plonge dans une stupéfaction
voisine de l’ahurissement, c’est de voir des scepti-
ques, des libres-penseurs, des insouciants montrer
Je même acharnement contre la race juive et faire
chorus avec ceux qui crient : « Egorgeons-les 1 Pil-
lons-les ! »
Quelle drôle de mécanique que la cervelle hu-
maine! Quelle détraquée! Comme c’est rare, le sens
commun !
Voilà des gens qui prétendent être affranchis de
tous les préjugés, voilà des gens qui repoussent tous
les dogmes, et qui ensuite viennent s’eu prendre aux
juifs, uniquement parce qu’ils appartiennent à un
autre cuite, parce qu’ils en sont restés à Jéhovah et
à Moïse, au lieu de pratiquer Jésus-Christ, l’Imma-
culée-Conception et l’eau de Lourdes!
Car c’est là le fond. C’est de la haine religieuse
dans des cœurs qui n’ont pas de religion.
Vainement ces inconséquents objecteront que ce
n’est pas la foi juive, mais bien l’âpreté juive qu’ils
attaquent.
La bonne plaisanterie!
Avec cela qu’un usurier catholique n’est pas tout
aussi âpre ! Avec cela que les boursicotiers qui vont
à la messe — il y en a — n'ont pas pour l’argent une
passion aussi effrénée !
Non, c’est bel et bien affaire de croyance. Je vous
demande un peu en quoi cela regarde les gens qui
ne croient pas !
Aussi je suis horripilé quand je les vois emboîtant
le pas derrière les descendants de Loyola et de Tor-
quemada.
Mais vous ne vous apercevez donc pas que vous
jouez le jeu de la réaction cléricale?
Vous ne comprenez donc pas que si le Sus aux
juifs! que vous braillez avec les cagots était suivi
victorieusement d’effet, le lendemain ce serait le
tour du Sus aux libres-penseurs! et que vous la dan-
seriez à votre tour?
Mou avis, à moi, est que la passion religieuse n’a
jamais fait de l’homme qu’une bête, et, en général,
une bête féroce.
C’est pourquoi jamais il ne me viendra à l’idée
d’entrer en guerre contre mes sembiables, sous pré-
texte qu’ils ont une autre façon de chanter des psal-
modies en l’honneur d’un dieu hypothétique.
C’est pourquoi je hausse les épaules lorsque,
pitoyablement, des anli cléricaux, jouant le rôle de
Raton, travaillent sans s’en douter à tirer pour les
torlureurs futurs les cadavres du feu.
UN PHILOSOPHE.
LE THEATRE MATRIMONIAL
II est question plus fortement que jamais de la
reconstruction de l’Opéra-Comique.
Réédifier le temple où Fra-Diavolo étale orgueil-
leusement son manteau « du velours le plus beau »
est une bonne idée. Ça fera toujours aller la bâ-
tisse.
On a déjà beaucoup parlé pour et contre cette re-
construction ; on a envisagé la question sous toutes
ses faces, ou plutôt ses façades; mais je crois que,
jusqu’à présent, on n'a pas trouvé la solution
juste.
Reconstruire un théâtre, c’est bien simple; avec
un architecte, du temps et de l’argent, rien de plus
facile.
Mais l'Opéra-Comique n’est pas un théâtre comme
un autre, qu’on y songe bien.
C’est un endroit où l’on chante et où l’on flirte
pour le bon motif.
Il faut se pénétrer de cette idée.
Au besoin même, on pourrait n’y pas chanter ; mais
ça gênerait les jeunes personnes timides, qui ne
sauraient que dire pendant les premières entre-
vues.
Et puis, la romance sentimentale est une excel-
lente ressource : elle permet aux fiancés un jeu de
physionomie qui vaut à lui seul un long poème,
o’est-à-direun aveu.
C'est là, ne l’oublions pas, ce qui a consacré chez
nous la vogue de l’opéra-comique.
Donc, si on veut revoir toujours brillant ce bon
diable de Fra-Diavolo, il faut que l’architecte s’ap-
plique surtout à installer commodément les flirtages
autorisés.
Plus on va, plus on recherche le confort, c’est en-
tendu.
Les jeunes gens flirtaient très bien autrefois sur
un strapontin ; aujourd’hui non, et les demoiselles
d’épicier sont devenues exigeantes.
C’est pourquoi il me semble nécessaire de propo-
ser un projet de reconstruction, dont voici les gran-
des lignes :
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ARIVARI
bulletin politique
M. de Belcastel est mort.
Ce fut une des figures les plus curieuses de l’As-
semblée versaillaise. Un illuminé catholique.
Il doit avoir succombé dans l’angoisse, car il avait
eu le temps de constater, hélas I l’impuissance des
manifestations d’ardente piété dont il avait été le
promoteur.
Quand il dédiait la France au Sacré-Cœur, quand
il faisait rétablir les prières publiques, quand il réus-
sissait à organiser des pèlerinages parlementaires à
destination de Paray-le-Monial, M. de Belcastel de-
vait s’imaginer candidement qu’il assurait ainsi le
triomphe de la sainle cause.
Or, la sainte cause n’a pas triomphé du tout. Le
cher Henri Y est mort en exil, et la France est plus
loin que jamais des restaurations monarchiques.
Oui, il a dû mourir profondément angoissé, ce
pauvre M. de Belcastel.
Car, à son Dieu le veut obstiné, les événements ont
répondu par un Dieu ne le veut pas encore plus éner-
gique.
Noirs avons un nouveau directeur des Postes et té-
légraphes. L’ancien ne doit pas être fâché d'être
parti. On n’est pas fâché qu’il le soit. Tout donc eH
pour le mieux jusque-là.
Mais il va falloir que son remplaçant fasse meil-
leure besogne.
Nous sommes charmé de voir qu'on a renoncé à
la combinaison saugrenue du sous-secrétariat dé-
cerné à un homme politique.
La solution, sur ce point, donne raison à notre
protestation énergique.
II ne reste pas moins, pour M. de Selves, le
nouveau venu, un long et difficile apprentissage à
faire. Il arrive naturellement sans connaître le pre-
mier mot du métier, dans un moment où toute l’ha-
bileté d’un expert serait indispensable pour trancher
des difficultés sans nombre.
La téléphonie notamment est en pleine dislocation.
C’en est fait d’elle — à notre honte — si l’on n’y met
promptement bon ordre.
Or çà, pourquoi — voudriez-vous me le dire ? —
ne prend-ou jamais, en notre belle France, un fonc-
tionnaire apte à sa fonction parmi les employés qui
ont vieilli sous le harnais?
Pourquoi, par exemple, ne donne-t-on pas un
avancement légitime à quelque chef de division
ayant prouvé des capacités exceptionnelles ? Pour-
quoi toujours choisir en dehors du personnel celui
qui, pour le bien diriger, a besoin de le connaître à
fond ?
Hélas I nous savons que nous prêchons dans le
désert. Mais quand on sera las de l’absurdité, peut-
*^re un jour essaiera-t-on tout de même du raison-
nable.
Ces mœurs-là s’expliquaient encore en monar-
chie. En démocratie c’est un contre - sens mons-
trueux. Car le premier principe d’une d^iocratie
sincère est de ne pas faire passer lé favoritisme
avant les droits acquis et de pratiquer exclusive-
ment la promotion des capacités.
Or, il se trouve que c’est la squlé chose que nos
démocrates ne fassent jamais !
Pierre Véron.
LAB.O CHSFOUCÎ ADBS
Voilà que le mouvement anli sémitique se remet
en branle. Il paraît même que certains boulangistes
prennent ce mot d’ordre, dans i'espérance sans doute
de se repopulariser.
Parlons donc de l’anti sémitisme.
Quand ce sont des fanatiques, des énergumènes
de dévotion qui, pour prouver leur esprit évangéli-
que, parlent de rallumer les bûchers, rien ne nous
étonne dans cet illogisme spécial.
On sait que leur devise est : Convertir ou suppri-
mer. C’est ainsi qu’ils traduisent la maxime : « Ai-
mons-nous les uns les autres. »
Et nous laissons, indifférent, ces goupillons se
tremper dans le vitriol bénit.
Mais ce qui nous plonge dans une stupéfaction
voisine de l’ahurissement, c’est de voir des scepti-
ques, des libres-penseurs, des insouciants montrer
Je même acharnement contre la race juive et faire
chorus avec ceux qui crient : « Egorgeons-les 1 Pil-
lons-les ! »
Quelle drôle de mécanique que la cervelle hu-
maine! Quelle détraquée! Comme c’est rare, le sens
commun !
Voilà des gens qui prétendent être affranchis de
tous les préjugés, voilà des gens qui repoussent tous
les dogmes, et qui ensuite viennent s’eu prendre aux
juifs, uniquement parce qu’ils appartiennent à un
autre cuite, parce qu’ils en sont restés à Jéhovah et
à Moïse, au lieu de pratiquer Jésus-Christ, l’Imma-
culée-Conception et l’eau de Lourdes!
Car c’est là le fond. C’est de la haine religieuse
dans des cœurs qui n’ont pas de religion.
Vainement ces inconséquents objecteront que ce
n’est pas la foi juive, mais bien l’âpreté juive qu’ils
attaquent.
La bonne plaisanterie!
Avec cela qu’un usurier catholique n’est pas tout
aussi âpre ! Avec cela que les boursicotiers qui vont
à la messe — il y en a — n'ont pas pour l’argent une
passion aussi effrénée !
Non, c’est bel et bien affaire de croyance. Je vous
demande un peu en quoi cela regarde les gens qui
ne croient pas !
Aussi je suis horripilé quand je les vois emboîtant
le pas derrière les descendants de Loyola et de Tor-
quemada.
Mais vous ne vous apercevez donc pas que vous
jouez le jeu de la réaction cléricale?
Vous ne comprenez donc pas que si le Sus aux
juifs! que vous braillez avec les cagots était suivi
victorieusement d’effet, le lendemain ce serait le
tour du Sus aux libres-penseurs! et que vous la dan-
seriez à votre tour?
Mou avis, à moi, est que la passion religieuse n’a
jamais fait de l’homme qu’une bête, et, en général,
une bête féroce.
C’est pourquoi jamais il ne me viendra à l’idée
d’entrer en guerre contre mes sembiables, sous pré-
texte qu’ils ont une autre façon de chanter des psal-
modies en l’honneur d’un dieu hypothétique.
C’est pourquoi je hausse les épaules lorsque,
pitoyablement, des anli cléricaux, jouant le rôle de
Raton, travaillent sans s’en douter à tirer pour les
torlureurs futurs les cadavres du feu.
UN PHILOSOPHE.
LE THEATRE MATRIMONIAL
II est question plus fortement que jamais de la
reconstruction de l’Opéra-Comique.
Réédifier le temple où Fra-Diavolo étale orgueil-
leusement son manteau « du velours le plus beau »
est une bonne idée. Ça fera toujours aller la bâ-
tisse.
On a déjà beaucoup parlé pour et contre cette re-
construction ; on a envisagé la question sous toutes
ses faces, ou plutôt ses façades; mais je crois que,
jusqu’à présent, on n'a pas trouvé la solution
juste.
Reconstruire un théâtre, c’est bien simple; avec
un architecte, du temps et de l’argent, rien de plus
facile.
Mais l'Opéra-Comique n’est pas un théâtre comme
un autre, qu’on y songe bien.
C’est un endroit où l’on chante et où l’on flirte
pour le bon motif.
Il faut se pénétrer de cette idée.
Au besoin même, on pourrait n’y pas chanter ; mais
ça gênerait les jeunes personnes timides, qui ne
sauraient que dire pendant les premières entre-
vues.
Et puis, la romance sentimentale est une excel-
lente ressource : elle permet aux fiancés un jeu de
physionomie qui vaut à lui seul un long poème,
o’est-à-direun aveu.
C'est là, ne l’oublions pas, ce qui a consacré chez
nous la vogue de l’opéra-comique.
Donc, si on veut revoir toujours brillant ce bon
diable de Fra-Diavolo, il faut que l’architecte s’ap-
plique surtout à installer commodément les flirtages
autorisés.
Plus on va, plus on recherche le confort, c’est en-
tendu.
Les jeunes gens flirtaient très bien autrefois sur
un strapontin ; aujourd’hui non, et les demoiselles
d’épicier sont devenues exigeantes.
C’est pourquoi il me semble nécessaire de propo-
ser un projet de reconstruction, dont voici les gran-
des lignes :