CINQUANTE-NEUVIÈME ANNÉE
Prix du Numéro s 23 centimes
DIMANCHE 26 JANVIER 1890
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois.L. 20 fr.
Six mois. 40 —
Un an. 80 —
l’abonnement d’un an donne droit à la prime gratuite
DIRECTION
Politique. Littéraire et Artistique
PI EURE VÉRON
Rédacteur eu Chef
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, fermier de i.a publicité
92, Rue Richelieu
CHARIVARI
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 fr.
Six mois. 36 —
Un an. 72 —
Les abonnements parlent des t0' et 10 de chaque mois
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef
BUREAUX
DE LA RÉDACTION ET DE L1 ADMINISTRATION
Rue de la Victoire, 20
LE
Les souscripteurs dont l’abonnement expire
le 31 Janvier sont priés de le renouveler
immédiatement, s’ils ne veulent pas éprouver
d’interruption dans l’envoi du journal.
BULLETIN POLITIQUE
On n’entendait plus parler du mandat impératif,
ou si vaguement que c’était tout comme.
Mais voici qu’il a subi une transformation inat-
tendue et violente.
Vous avez lu souvent dans les journaux l’histoire
du monsieur qu'on attire — généralement par l’a-
mour — dans une maison où on lui fait ensuite si-
gner tous les billets qu’on veut.
Le cas actuel n'est pas sans quelque analogie avec
ces précédents, bien que ce ne soit pas l’amonr —
ohl non — qui ait présidé à la convocation.
A la suite de sa scission avec Je boulangisme,
M. Martineau, député de la Seine, avait été invité à
se rendre, l’autre soir, dans un café du boulevard de
la Villette, pour fournir des indications sur son nou-
vel aiguillage politique.
S’il faut en croire les comptes rendus, la scène a
été prodigieuse. On a désigné M. Martineau à la
vengeance universelle. Pais on est allé chercher une
feuille de papier timbré.
Pourquoi? Vous le saurez, après avoir pris con-
naissance de cette analyse rédigée par un des té-
moins du drame :
— Voici la feuille 1 s’écrie un électeur.
— Maintenant, tu vas démissionner, traître!
— Non ! réplique l'interpellé.
Les poings se tendent de nouveau ; une bouscu-
lade se produit, l’iustant est critique.
— Démissionneras-tu, lâche?
M. Martineau hésite encore ; puis, prenant son
parti, il écrit sur la feuille les mots suivants :
« Je donne ma démission de député, s
Et il signe : « Alfred Martineau. »
— Ajoute : librement, crie quelqu’un.
— Je n’ajoute rien !
— Donne au moins ta parole d’honneur que ta
résolution est irrévocable 1
— Je ne donne pas ma parole d’honneur; c’est
contraint et forcé que je viens de signer ina démis-
sion !
A ces mots, le tumulte redouble.
M. Martineau a grand’peine à se dégager et à re-
joindre un fiacre...
Vous m’avouerez que cet épisode ouvre des ho-
rizons nouveaux.
Ce serait gentil, si ce précédent faisait loi et que
les rapports entre électeurs et élus prissent cette
tournure suave.
Il me semble déjà lire, dans le compterendu d’une
réunion future — et peut-être prochaine :
« M. Chaloupin, député de Paris, avait été sommé
de se rendre devant un tribunal d’honneur siégeant
à Charonne.
Comme on craignait qu’il n’essayât de se dérober,
une surveillance incessante était organisée devant
sa porte et on le filait sans relâché. . '
Enfin, poqr plus de sûreté, hier vingt hommes vi-
goureux le placèrent au milieu! d’eux pour le con-
duire à la réunion, après lui avoir donné l’assurance
que, s’il essayait de s’évader, on lui tordrait le
cou.
A peine M. Chaloupin est-il entré dans la salle, on
se rne sur lui en criant : .4 genoux ! A genoux\
On le force, en effet, à s’agenouiller, et c’est en se
traînant qu’il arrive jusqu’à ta tribune. On ne voit
pas sa tête.
— Mince ! s’écrie un assistant.; Oa serait tout prêt
pour le guillotiner. Oùs qu’est Dèibler ?
Le président, après avoir souri gracieusement à
cette facétie, donne lecture d’une résolution’aux ter-
mes de laquelle le député qu’on ûéciare Coupable de
trahison donnera sa démission d’abord.
L’infortuné Chaloupin s’écrie qu'il ne demande
pas mieux.
Mais le président reprend :
— En outre, comme expiation légitime et pour
dédommager les électeurs qu’il a bernés, M. Chalou-
piu va signer un acte par lequel il leur abandonne
toute sa fortune, montant à 800,000 francs. Ces
800,000 francs seront répartis par les soins d’un co-
mité.
M. Chaloupin, visiblement ému cette fois, essaie
de protester. Mais on le prend à la gorge, et il signe
au moment où, de rouge homard, il était devenu
violet aubergine... »
Hé ! hé ! Ne criez pas trop à l’invraisemblance. La
parodie d’aujourd’hui pourrait fort bien devenir la
vérité de demain.
Hélas ! je n’en fais pas mon compliment à l’électo-
rat.
Il ne faudrait pas beaucoup de scènes pareilles pour
que le suffrage universel fût complètement désho-
noré.
Pierre Véron.
MORALE DÉVOTE
Courroucé, VUniversl
Et pathétique, il s’écrie :
« On annonce de nouvelles mesures contre les
mendiants. C’est le fort de la police. Il paraît que la
morale publique ne peut supporter que de pauvres
diables montrent on simulent dans les rues une mi-
sère plus ou moins réelle pour exciter la pitié des
passants. Cette même morale publique s’accommode
très bien d’exhibitions scandaleuses de toute sorte
offertes à tous les regards, de distributions de papiers
et dessins licencieux mis dans la main des passants;
elle autorise même la circulation de personnes dont
a vue est un peu plus immorale que celle des men-
diants et le trafic beaucoup moins honnête. Mais
ppur les mendiants, point de tolérance! »
On dirait vraiment, tant le pieux journal s’échauffe
pour la cause de la mendicité, qu’il est question d’en-
traver le denier de Saint-Pierre ou les quêtes pour
les frais du culte.
Ce n’est pas nouveau, d’ailleurs.
N’a-t-on pas déjà canonisé la fainéantise carot-
• tière, sous le nom de Benoît Labre?
L'Univers est fidèle aux bonnes traditions et s’inté-
resse aux gens qui pratiquent, en tendant la main,
l’escroquerie sentimentale. Mais ce n’est pas une
raison pour montrer tant d’imprudence qu’il en
montre en ses indignations factices.
Ne s’avise-t-il pas de dénlatéror vertueusement
contre la circulation des dames faciles!
Illogique tout d’abord, car ce sont les mendiantes
de l'amour.
Téméraire ensuite, car l’histoire est là pour nous
apprendre que, sous la Restauration, quand iloris-
saient le droit divin et la piété officielle, le Long-
champs de la prostitution s’étalait au Palais-Royal
avec un cynisme qu’il n’alteignit à aucune antre
époque.
Ce pauvre Univers ne peut plus cracher en l’air
une seule fois sans que ça lui retombe sur le nez.
Paul Girard.
ROMANCE DE CHEZ BIGNON
On sait que la préfecture de police, — après les ré-
vélations (dont le besoin se faisait d'ailleurs impé-
rieusement sentir, car l’enquête judiciaire patau-
geait de plus en plus), révélations apportées si ino-
pinément par Gabrielle Bompard, — s’est mon-
trée d’abord, vis-à-vis des journalistes, très sobre de
détails.
Pe ;dant cette période de discrétion à outrance, si
cruelle à traverser pour des gens dont l’indiscrétion
est la vertu professionnelle par excellence, un re-
porter de nos amis, qui fut jadis poète avant de de-
venir « fait-diversier », composa un soir, au res-
taurant Bignon, les deux couplets suivants, pour
être chantés en sérénade sur un air d’Ambroise
Thomas et sous la fenêtre de la Sûreté :
Connais-tu le pays où vit Michel Eyraud,
Le pays, nord ou sud, de la libre Amérique,
Où, quand on est malin, l’on s’esbigne au grand trot,
Afin de faire aux lois impunément la nique?
L,e pays où l’on peut, respirant au grand air,
Se moquer de Goron et défier Deibler'?...
Hélas! quand vas-tu me conduire
Vers ce rivage heureux où l'assassin fila?...
— C’est là, voudrais-je enfin dire,
Dire à mon journal, c’est là...
Et dans un article écrire :
Oui, c’est là!
Oui, c’est là!
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immédiatement, s’ils ne veulent pas éprouver
d’interruption dans l’envoi du journal.
BULLETIN POLITIQUE
On n’entendait plus parler du mandat impératif,
ou si vaguement que c’était tout comme.
Mais voici qu’il a subi une transformation inat-
tendue et violente.
Vous avez lu souvent dans les journaux l’histoire
du monsieur qu'on attire — généralement par l’a-
mour — dans une maison où on lui fait ensuite si-
gner tous les billets qu’on veut.
Le cas actuel n'est pas sans quelque analogie avec
ces précédents, bien que ce ne soit pas l’amonr —
ohl non — qui ait présidé à la convocation.
A la suite de sa scission avec Je boulangisme,
M. Martineau, député de la Seine, avait été invité à
se rendre, l’autre soir, dans un café du boulevard de
la Villette, pour fournir des indications sur son nou-
vel aiguillage politique.
S’il faut en croire les comptes rendus, la scène a
été prodigieuse. On a désigné M. Martineau à la
vengeance universelle. Pais on est allé chercher une
feuille de papier timbré.
Pourquoi? Vous le saurez, après avoir pris con-
naissance de cette analyse rédigée par un des té-
moins du drame :
— Voici la feuille 1 s’écrie un électeur.
— Maintenant, tu vas démissionner, traître!
— Non ! réplique l'interpellé.
Les poings se tendent de nouveau ; une bouscu-
lade se produit, l’iustant est critique.
— Démissionneras-tu, lâche?
M. Martineau hésite encore ; puis, prenant son
parti, il écrit sur la feuille les mots suivants :
« Je donne ma démission de député, s
Et il signe : « Alfred Martineau. »
— Ajoute : librement, crie quelqu’un.
— Je n’ajoute rien !
— Donne au moins ta parole d’honneur que ta
résolution est irrévocable 1
— Je ne donne pas ma parole d’honneur; c’est
contraint et forcé que je viens de signer ina démis-
sion !
A ces mots, le tumulte redouble.
M. Martineau a grand’peine à se dégager et à re-
joindre un fiacre...
Vous m’avouerez que cet épisode ouvre des ho-
rizons nouveaux.
Ce serait gentil, si ce précédent faisait loi et que
les rapports entre électeurs et élus prissent cette
tournure suave.
Il me semble déjà lire, dans le compterendu d’une
réunion future — et peut-être prochaine :
« M. Chaloupin, député de Paris, avait été sommé
de se rendre devant un tribunal d’honneur siégeant
à Charonne.
Comme on craignait qu’il n’essayât de se dérober,
une surveillance incessante était organisée devant
sa porte et on le filait sans relâché. . '
Enfin, poqr plus de sûreté, hier vingt hommes vi-
goureux le placèrent au milieu! d’eux pour le con-
duire à la réunion, après lui avoir donné l’assurance
que, s’il essayait de s’évader, on lui tordrait le
cou.
A peine M. Chaloupin est-il entré dans la salle, on
se rne sur lui en criant : .4 genoux ! A genoux\
On le force, en effet, à s’agenouiller, et c’est en se
traînant qu’il arrive jusqu’à ta tribune. On ne voit
pas sa tête.
— Mince ! s’écrie un assistant.; Oa serait tout prêt
pour le guillotiner. Oùs qu’est Dèibler ?
Le président, après avoir souri gracieusement à
cette facétie, donne lecture d’une résolution’aux ter-
mes de laquelle le député qu’on ûéciare Coupable de
trahison donnera sa démission d’abord.
L’infortuné Chaloupin s’écrie qu'il ne demande
pas mieux.
Mais le président reprend :
— En outre, comme expiation légitime et pour
dédommager les électeurs qu’il a bernés, M. Chalou-
piu va signer un acte par lequel il leur abandonne
toute sa fortune, montant à 800,000 francs. Ces
800,000 francs seront répartis par les soins d’un co-
mité.
M. Chaloupin, visiblement ému cette fois, essaie
de protester. Mais on le prend à la gorge, et il signe
au moment où, de rouge homard, il était devenu
violet aubergine... »
Hé ! hé ! Ne criez pas trop à l’invraisemblance. La
parodie d’aujourd’hui pourrait fort bien devenir la
vérité de demain.
Hélas ! je n’en fais pas mon compliment à l’électo-
rat.
Il ne faudrait pas beaucoup de scènes pareilles pour
que le suffrage universel fût complètement désho-
noré.
Pierre Véron.
MORALE DÉVOTE
Courroucé, VUniversl
Et pathétique, il s’écrie :
« On annonce de nouvelles mesures contre les
mendiants. C’est le fort de la police. Il paraît que la
morale publique ne peut supporter que de pauvres
diables montrent on simulent dans les rues une mi-
sère plus ou moins réelle pour exciter la pitié des
passants. Cette même morale publique s’accommode
très bien d’exhibitions scandaleuses de toute sorte
offertes à tous les regards, de distributions de papiers
et dessins licencieux mis dans la main des passants;
elle autorise même la circulation de personnes dont
a vue est un peu plus immorale que celle des men-
diants et le trafic beaucoup moins honnête. Mais
ppur les mendiants, point de tolérance! »
On dirait vraiment, tant le pieux journal s’échauffe
pour la cause de la mendicité, qu’il est question d’en-
traver le denier de Saint-Pierre ou les quêtes pour
les frais du culte.
Ce n’est pas nouveau, d’ailleurs.
N’a-t-on pas déjà canonisé la fainéantise carot-
• tière, sous le nom de Benoît Labre?
L'Univers est fidèle aux bonnes traditions et s’inté-
resse aux gens qui pratiquent, en tendant la main,
l’escroquerie sentimentale. Mais ce n’est pas une
raison pour montrer tant d’imprudence qu’il en
montre en ses indignations factices.
Ne s’avise-t-il pas de dénlatéror vertueusement
contre la circulation des dames faciles!
Illogique tout d’abord, car ce sont les mendiantes
de l'amour.
Téméraire ensuite, car l’histoire est là pour nous
apprendre que, sous la Restauration, quand iloris-
saient le droit divin et la piété officielle, le Long-
champs de la prostitution s’étalait au Palais-Royal
avec un cynisme qu’il n’alteignit à aucune antre
époque.
Ce pauvre Univers ne peut plus cracher en l’air
une seule fois sans que ça lui retombe sur le nez.
Paul Girard.
ROMANCE DE CHEZ BIGNON
On sait que la préfecture de police, — après les ré-
vélations (dont le besoin se faisait d'ailleurs impé-
rieusement sentir, car l’enquête judiciaire patau-
geait de plus en plus), révélations apportées si ino-
pinément par Gabrielle Bompard, — s’est mon-
trée d’abord, vis-à-vis des journalistes, très sobre de
détails.
Pe ;dant cette période de discrétion à outrance, si
cruelle à traverser pour des gens dont l’indiscrétion
est la vertu professionnelle par excellence, un re-
porter de nos amis, qui fut jadis poète avant de de-
venir « fait-diversier », composa un soir, au res-
taurant Bignon, les deux couplets suivants, pour
être chantés en sérénade sur un air d’Ambroise
Thomas et sous la fenêtre de la Sûreté :
Connais-tu le pays où vit Michel Eyraud,
Le pays, nord ou sud, de la libre Amérique,
Où, quand on est malin, l’on s’esbigne au grand trot,
Afin de faire aux lois impunément la nique?
L,e pays où l’on peut, respirant au grand air,
Se moquer de Goron et défier Deibler'?...
Hélas! quand vas-tu me conduire
Vers ce rivage heureux où l'assassin fila?...
— C’est là, voudrais-je enfin dire,
Dire à mon journal, c’est là...
Et dans un article écrire :
Oui, c’est là!
Oui, c’est là!