LE CHARIVARI
II a donc dit : Tope là ! quand M. Albert Carré lui
a apporté le libretto de la Basoche.
Les antécédents basochiens ont été révélés au pu-
blic par plusieurs échos qui ont même reproduit la
Chanson de la Basoche, intercalée dans l’œuvre dont
nous avons à rendre compte.
Il en résulte incontestablement la preuve que le
monde de justice était infiniment plus gai autrefois
qu’aujourd’hui, et que nos étudiants en droit, même
malgré Buliier, paraissent moroses en comparaison
des clercs de jadis aux formidables ébats.
Il fallait, pour traduire congrument le mélange de
joyeusetés et de tendresses que devait donner le
sujet de la Basoche, un compositeur qui fût en quel-
que sorte mi-partie.
C’est précisément le cas de M. André Messager,
tour à tour entendu aux Folies-Dramatiques et à
l’Opéra, capable de courtiser successivement l’opé-
rette, le ballet et l’opéra-comique.
Nous vous dirons tout à l’heure comment il s’est,
cette fois, tiré d’affaire. Préalablement, rendons un
juste hommage à la très vivace fantaisie d’un livret
qui pourrait soutenir la comparaison avec un Scribe
du meilleur temps.
Nous sommes sous le règne du bon Louis XII,
portant dans l’histoire le surnom de Père du Peuple,
qui, ce nous semble, aurait bien mieux convenu à
Henri IV, vu le nombre de petits bâtards qu’il sema
parmi ses sujets.
Il s’agit, au lever du rideau, d’élire un roi de la
Basoche, conformément à la tradition en vigueur à
cette époque.
Deux concurrents sont sur les rangs. C’est Clé-
ment Marot qui l’emporte. Et alors commence une
série de quiproquos qui se renvoient la gaîté comme
les raquettes se renvoient le volant.
La reine Marie d’Angleterre est survenue. On est
allé la chercher pour qu’elle devînt l’épouse de
Louis XII.
Elle voit passer Clément Marot qu’on acclame et
qui porte au front la couronne basochienne. Elle le
prend pour le vrai roi, son futur.
Pendant ce temps-là, Colette, femme légitime de
Marot, s’imagine, elle aussi, qu’elle a épousé un
souverain, sans le savoir.
Vous devinez sans peine comment, de ce méli-mélo
d’épouses et de princes, peuvent naître les plus
joyeux ahurissements.
A un moment donné, tout le monde perd la tête.
La reine a soupé avec Marot, croyant toujours
avoir affaire à Louis le Douzième. Louis le Dou-
zième, apprenant de Colette que sa royale fiancée
s’est livrée à ce tête-à-tête gastronomique, s’indigne
et est sur le point de pratiquer un divorce avant la
lettre.
A la fin, pourtant, on trouve le mot de toutes les
énigmes. Chacun reprend sa chacune, et d’intermi-
nables applaudissements succèdent à d’interminables
éclats de rire.
M. Albert Carré, qu’on ne saurait remercier trop
vivement, a non seulement fait là une excellente
pièce, mais rendu un éminent service.
L’opéra-comique passait pour mort. Les empê-
cheurs de danser en rond proclamaient que c’en était
fait pour toujours du genre éminemment français.
Et l’on en profitait pour nous infliger un tas de lugu-
breries compliquées de funèbres vacarmes.
Le livret de M. Carré prouve le mouvement en
marchant. Hardiment il répond à la jérémiade « L’o-
péra-comique est mort » par ce. cri alerte : — Ce
n’est pas vrai ; vive l’opéra-comique 1
Et vous allez voir que les imitateurs de Panurge
vont se remettre tous au rire. Ça nous changera
agréablement, après toutes les mélancolies en si
bémol.
La musique deM. André Messager, quoiqu’elle ait
peut-être fait par-ci par-là quelques efforts pour so-
lenniser sa verve, par peur sans doute des conspi-
rateurs wagnériens, est pleine de grâce et de brio.
La mélodie y coule limpide et d’un franc jet.
Le public, charmé, ne se lassait pas de crier bis.
Je ne peux me livrer à une énumération qui res-
semblerait à une table des matières. Je vous signa-
lerai seulement, au premier acte, les couplets char-
mants de Soulacroix et l’air de Marie d’Angleterre.
Au second acte, Fugère enlève irrésistiblement
son Eh ! que, ne parliez-vous ! Il y a là aussi un joli
duo et un trio délicat.
On aurait voulu entendre trois fois l’entr’acte, en
rythme de passe-pied, qui précède le troisième acte,
où l’on a fêté aussi romances et couplets.
Un heureux bilan, comme vous voyez. Quel dom-
mage que la Basoche n’ait pas été jouée au seuil de
l’hiver I Elle l’égayait tout entier du bruit de ses ri-
res et du tintement des louis tombant dans la caisse
de M. Paravey.
On a dit que les bonnes pièces étaient toujours
bien jouées. Les interprètes de la Basoche ont con-
firmé cet axiome.
Soulacroix et Fugère font merveille à tour de rôle.
Mme Molé-Truffier est une Colette accomplie. Mme
Landouzy, une reine qui fait de chaque auditeur un
sujet.
On a remarqué aussi M. Carbonne, un ténor à ses
débuts.
Et puis, cela semblait si bon, si bon d’entendre
une fois par hasard de la musique musicale !
Piene Véron.
CHRONIQUE DU JOUR
La révolte... Peut-on bien employer ce mot révolte à
propos de gens qui ne savent pas ce qu’ils font?
Non, disons plutôt le scandale, dont l’hospice de Bi-
cêtre fut témoin la semaine dernière, vient de démontrer
une fois de plus combien est incohérent le système qui
régit nos maisons d’aliénés, y compris les établisse-
ments officiels qui devraient donner l’exemple.
Est-il croyable que les précautions soient si mal pri-
ses, que les fous furieux puissent s’évader en bande de
leurs cabanons et courir partout, en semant la terreur,
le désordre et le pillage?
Non, c’est invraisemblable d’absurdité.
De quelque façon qu’on cherche à expliquer le fait, il
reste monstrueux. Et l’on en pourrait conter bien d’au-
tres de même force.
Il y aurait là une enquête sévère et complète à faire,
— et qu’on ne fera pas.
On nous avait narré que M. Camille Saint-Saëns avait
occupé les loisirs de ses pérégrinations mystérieures à
confectionner des alexandrins, et qu’il nous revenait
avec un volume de vers qui tomberaient Victor Hugo
et Lamartine.
Ce volume de vers n’a pas paru encore, mais un avaul-
goùt nous en a été donné.
Plusieurs journaux ont cité, en effet, une manière
d’apologie rimée, que M. Saint-Saëns a dédiée à M. Las-
salle, son Benvenuto, — avec collaboration de M. Biau.
Franchement, c’est d’une médiocrité désolante, et
nous engageons vivement M. Saint-Saëns, dans son in-
térêt, à rester fidèle aux doubles-croches.
U n problème se débat :
— Les dames doivent-elles être admises dans les or-
chestres de musiciens au théâtre?
J’ignore quel est, à ce propos, l’avis de M. Antoine, le
grand réformateur. Le mien est que l’affirmative s’im-
pose.
Pourquoi, s’il vous plaît, cette proscription? Quand
vous aurez trouvé une bonne raison à me donner, je la
réfuterai. Jusque-là, je n’aurai pas à en prendre souci.
Mais je veux être bon garçon. Je vais la formuler moi-
mème, cette objection-là.
APÉRITIF MU GN 1ER
au Vin de Bourgogne. — FRÉDÉRIC MUGNIER, à Dijon
Médaille d’Or Expoa uNivlle Paris 1889.
PLUME HUIBOLDTt™1
EDUL COR DI A BE TIQUE S
T) A T) T A "MT! pour la Campagne, où irons-noui
XAJXJLAINI acheter nos 1
Meubles?
AU VIEUX CHENE
lVt aison cl e Confiance
69 et 71, Rue Beaubourcr
La présence des dames dans l’orchestre des musiciens
peut causer aux assistants des distractions nuisibles
pour le spectacle et, par conséquent, piur les auteurs.
Pour cela, il faut commencer par supposer, bien en-
tendu, que ces virtuoses seront jolies, ce qui n’est pas
démontré du tout; car, jolies, elles trouveront mieux à
faire que de râcler du violon.
Mais admettons leur beauté. Est-ce que, dans la salle
même, les lorgnettes n’ont pas l’occasion de se récréer?
Est-ce que les spectatrices ne font pas elles-mêmes
diversion au spectacle, et allez-vous pour cela proscrire
les spectatrices?
Ce serait drôle.
Croyez-moi donc, l’adjonction de l’élément féminin
varierait agréablement le coup d’œil, sans présenter
Au sortir du collège, nous avions, quatre ou cinq
intimes d’autrefois, pris l’engagement de nous retrou-
ver chaque année, à date fixe, dans un restaurant de
Paris; après douze mois d’iDtervalle, l'imprévu de plu-
sieurs existences vécues de côtés et d’autres faisaient de
notre dîner habituel une joyeuse ou triste, mais tou-
jours intéressante causerie. Parfois aussi il nous
arrivait de rappeler le passé, d’évoquer des souvenirs
d’enfance, les camaraderies de pension, cherchant à
ressaisir les traces des compagnons perdus de vue en
chemin.
« Morisot? qu’est-ce qu’il est devenu? Il a couru
d’étranges histoires sur son compte, on ne sait pas où il
est? Il avait du talent... un poète, ma foi ; on a parlé de
lui un moment, puis... tout d’un coup... plus rien. Mais
toi, tu peux nous dévoiler celte énigme... » Celui au-
quel l’un de nous venait d’adresser ces mots ne put
dissimuler une contraction douloureuse, ses yeux
même s’empliront do larmes ; mais sollicité par nos
questions, il nous dit :
« ... Morisot et moi, nous arrivâmes à Paris ensem-
ble, débarquant tous deux de notre village du Périgord,
l’escarcelle aussi peu garnie l’un que l’autre, son père,
le receveur, lui ayant donné une maigre somme d’ar-
gent de poche en plus de son voyage, mes parents,
contre la volonté desquels je venais à la ville, m’ayant,
dans l’espoir égoïste d’un retour prochain, réduit mon
viatique autant qu’il était possible. Inscrits tout d’abord
à l’Ecole de Droit, nous logions en garni sur la monta-
gne Sainte-Geneviève, dans un hôtel sale, noir, poussié-
reux, assez mal famé, habité par des étudiants bohèmes,
et notre grande joie était le soir, après un modeste dîner
à une petite pension que nous avions surnommée la
pension Vauquier, de descendre dans Paris, de faire en
une flânocheuse badauderie le tour des boulevards,
nos yeux de provinciaux écarquiilés aux lumières, aux
étalages, aux cafés ruisselants de gaz, aux théâtres ten-
tateurs et aussi aux coquettes passantes bitumant avec
effronterie... Je glisse sur notre déniaisement ; qu’il
vous suffise de savoir qu’au bout d’un mois, tandis que
je piochais résolument le Gode, Morisot, lui, réfractaire
à tous les articles de la procédure, était irrévocablement
piqué par cette bôte qu’on a appelée très justement la
tarentule littéraire; sans souci bientôt des heures de
cours, oubliant parfois même celles des repas, il res-
tait possédé de la Musc et rimait, rimait...
» Peu à peu son nom fut imprimé de ci de là ; un
chroniqueur en vue lui consacra un dithyrambe qui fit
le tour de la presse, commenté par toutes les plumes;
alors un éditeur, sachant s’orienter du côté où va le
succès, risqua l’œuvre du nouveau venu, et publia les
Noirceurs...
» Dans les quelques mois qui suivirent l’apparition
de son volume, notre ami était devenu un homme cé-
lèbre, on s’était emballé sur lui, mais... Paris est la
ville où les choses naissent et disparaissent avec le plus
de rapidité ; un clou chasse l’autre et, comme dans les
pièces de théâtre, la moindre chose peut devenir un
clou : « Huit jours sont passés... » disait Musset ; je vous
fais grâce de la citation... »
— Oui, oui, avocat, au déluge.
L’auditoire s’impatientait, trouvant l’orateur diffus; il
avait, certes, suivi les cours de l’Ecole de Droit, celui-
là, et il devait regretter sa robe en ce moment; en lui,
grisé par sa propre parole, la faconde succédait à l’émo-
tion du début.
« Oui, au déluge. Morisot fut oublié, il disparut, sa
photographie ne se vendait plus aux vitrines, ses vers
n’étaient plus insérés dans les journaux, les [eûtes re-
vues elle-mêmes le dédaignaient, et l’éditeur ne payait
plus... Les démarches réitérées de l’auteur n’aboutis-
saient à aucun résultat. Le vieux receveur du Périgord,
là-bas, qui s’était vanté de son gars à l’heure du succès,
faisait la sourde oreille maintenant, se dérobait aux de-
mandes de subsides : « Si tu ne peux plus vivre à Paris,
écrivait-il, reviens chez nous.,. » Et ses lettres étaient
pleines de conseils, sans rien autre. Morisot, à bout de
ressources, absolument découragé, partit.
» Six mois de servitude dans un lycée de province,
comme pion des petits, la tête cassée par leur vacarme,
) six mois de vie bête, nulle, éteinte, avec des collè-
I gués idiots, des supérieurs imbéciles, six mois d’insou-
II a donc dit : Tope là ! quand M. Albert Carré lui
a apporté le libretto de la Basoche.
Les antécédents basochiens ont été révélés au pu-
blic par plusieurs échos qui ont même reproduit la
Chanson de la Basoche, intercalée dans l’œuvre dont
nous avons à rendre compte.
Il en résulte incontestablement la preuve que le
monde de justice était infiniment plus gai autrefois
qu’aujourd’hui, et que nos étudiants en droit, même
malgré Buliier, paraissent moroses en comparaison
des clercs de jadis aux formidables ébats.
Il fallait, pour traduire congrument le mélange de
joyeusetés et de tendresses que devait donner le
sujet de la Basoche, un compositeur qui fût en quel-
que sorte mi-partie.
C’est précisément le cas de M. André Messager,
tour à tour entendu aux Folies-Dramatiques et à
l’Opéra, capable de courtiser successivement l’opé-
rette, le ballet et l’opéra-comique.
Nous vous dirons tout à l’heure comment il s’est,
cette fois, tiré d’affaire. Préalablement, rendons un
juste hommage à la très vivace fantaisie d’un livret
qui pourrait soutenir la comparaison avec un Scribe
du meilleur temps.
Nous sommes sous le règne du bon Louis XII,
portant dans l’histoire le surnom de Père du Peuple,
qui, ce nous semble, aurait bien mieux convenu à
Henri IV, vu le nombre de petits bâtards qu’il sema
parmi ses sujets.
Il s’agit, au lever du rideau, d’élire un roi de la
Basoche, conformément à la tradition en vigueur à
cette époque.
Deux concurrents sont sur les rangs. C’est Clé-
ment Marot qui l’emporte. Et alors commence une
série de quiproquos qui se renvoient la gaîté comme
les raquettes se renvoient le volant.
La reine Marie d’Angleterre est survenue. On est
allé la chercher pour qu’elle devînt l’épouse de
Louis XII.
Elle voit passer Clément Marot qu’on acclame et
qui porte au front la couronne basochienne. Elle le
prend pour le vrai roi, son futur.
Pendant ce temps-là, Colette, femme légitime de
Marot, s’imagine, elle aussi, qu’elle a épousé un
souverain, sans le savoir.
Vous devinez sans peine comment, de ce méli-mélo
d’épouses et de princes, peuvent naître les plus
joyeux ahurissements.
A un moment donné, tout le monde perd la tête.
La reine a soupé avec Marot, croyant toujours
avoir affaire à Louis le Douzième. Louis le Dou-
zième, apprenant de Colette que sa royale fiancée
s’est livrée à ce tête-à-tête gastronomique, s’indigne
et est sur le point de pratiquer un divorce avant la
lettre.
A la fin, pourtant, on trouve le mot de toutes les
énigmes. Chacun reprend sa chacune, et d’intermi-
nables applaudissements succèdent à d’interminables
éclats de rire.
M. Albert Carré, qu’on ne saurait remercier trop
vivement, a non seulement fait là une excellente
pièce, mais rendu un éminent service.
L’opéra-comique passait pour mort. Les empê-
cheurs de danser en rond proclamaient que c’en était
fait pour toujours du genre éminemment français.
Et l’on en profitait pour nous infliger un tas de lugu-
breries compliquées de funèbres vacarmes.
Le livret de M. Carré prouve le mouvement en
marchant. Hardiment il répond à la jérémiade « L’o-
péra-comique est mort » par ce. cri alerte : — Ce
n’est pas vrai ; vive l’opéra-comique 1
Et vous allez voir que les imitateurs de Panurge
vont se remettre tous au rire. Ça nous changera
agréablement, après toutes les mélancolies en si
bémol.
La musique deM. André Messager, quoiqu’elle ait
peut-être fait par-ci par-là quelques efforts pour so-
lenniser sa verve, par peur sans doute des conspi-
rateurs wagnériens, est pleine de grâce et de brio.
La mélodie y coule limpide et d’un franc jet.
Le public, charmé, ne se lassait pas de crier bis.
Je ne peux me livrer à une énumération qui res-
semblerait à une table des matières. Je vous signa-
lerai seulement, au premier acte, les couplets char-
mants de Soulacroix et l’air de Marie d’Angleterre.
Au second acte, Fugère enlève irrésistiblement
son Eh ! que, ne parliez-vous ! Il y a là aussi un joli
duo et un trio délicat.
On aurait voulu entendre trois fois l’entr’acte, en
rythme de passe-pied, qui précède le troisième acte,
où l’on a fêté aussi romances et couplets.
Un heureux bilan, comme vous voyez. Quel dom-
mage que la Basoche n’ait pas été jouée au seuil de
l’hiver I Elle l’égayait tout entier du bruit de ses ri-
res et du tintement des louis tombant dans la caisse
de M. Paravey.
On a dit que les bonnes pièces étaient toujours
bien jouées. Les interprètes de la Basoche ont con-
firmé cet axiome.
Soulacroix et Fugère font merveille à tour de rôle.
Mme Molé-Truffier est une Colette accomplie. Mme
Landouzy, une reine qui fait de chaque auditeur un
sujet.
On a remarqué aussi M. Carbonne, un ténor à ses
débuts.
Et puis, cela semblait si bon, si bon d’entendre
une fois par hasard de la musique musicale !
Piene Véron.
CHRONIQUE DU JOUR
La révolte... Peut-on bien employer ce mot révolte à
propos de gens qui ne savent pas ce qu’ils font?
Non, disons plutôt le scandale, dont l’hospice de Bi-
cêtre fut témoin la semaine dernière, vient de démontrer
une fois de plus combien est incohérent le système qui
régit nos maisons d’aliénés, y compris les établisse-
ments officiels qui devraient donner l’exemple.
Est-il croyable que les précautions soient si mal pri-
ses, que les fous furieux puissent s’évader en bande de
leurs cabanons et courir partout, en semant la terreur,
le désordre et le pillage?
Non, c’est invraisemblable d’absurdité.
De quelque façon qu’on cherche à expliquer le fait, il
reste monstrueux. Et l’on en pourrait conter bien d’au-
tres de même force.
Il y aurait là une enquête sévère et complète à faire,
— et qu’on ne fera pas.
On nous avait narré que M. Camille Saint-Saëns avait
occupé les loisirs de ses pérégrinations mystérieures à
confectionner des alexandrins, et qu’il nous revenait
avec un volume de vers qui tomberaient Victor Hugo
et Lamartine.
Ce volume de vers n’a pas paru encore, mais un avaul-
goùt nous en a été donné.
Plusieurs journaux ont cité, en effet, une manière
d’apologie rimée, que M. Saint-Saëns a dédiée à M. Las-
salle, son Benvenuto, — avec collaboration de M. Biau.
Franchement, c’est d’une médiocrité désolante, et
nous engageons vivement M. Saint-Saëns, dans son in-
térêt, à rester fidèle aux doubles-croches.
U n problème se débat :
— Les dames doivent-elles être admises dans les or-
chestres de musiciens au théâtre?
J’ignore quel est, à ce propos, l’avis de M. Antoine, le
grand réformateur. Le mien est que l’affirmative s’im-
pose.
Pourquoi, s’il vous plaît, cette proscription? Quand
vous aurez trouvé une bonne raison à me donner, je la
réfuterai. Jusque-là, je n’aurai pas à en prendre souci.
Mais je veux être bon garçon. Je vais la formuler moi-
mème, cette objection-là.
APÉRITIF MU GN 1ER
au Vin de Bourgogne. — FRÉDÉRIC MUGNIER, à Dijon
Médaille d’Or Expoa uNivlle Paris 1889.
PLUME HUIBOLDTt™1
EDUL COR DI A BE TIQUE S
T) A T) T A "MT! pour la Campagne, où irons-noui
XAJXJLAINI acheter nos 1
Meubles?
AU VIEUX CHENE
lVt aison cl e Confiance
69 et 71, Rue Beaubourcr
La présence des dames dans l’orchestre des musiciens
peut causer aux assistants des distractions nuisibles
pour le spectacle et, par conséquent, piur les auteurs.
Pour cela, il faut commencer par supposer, bien en-
tendu, que ces virtuoses seront jolies, ce qui n’est pas
démontré du tout; car, jolies, elles trouveront mieux à
faire que de râcler du violon.
Mais admettons leur beauté. Est-ce que, dans la salle
même, les lorgnettes n’ont pas l’occasion de se récréer?
Est-ce que les spectatrices ne font pas elles-mêmes
diversion au spectacle, et allez-vous pour cela proscrire
les spectatrices?
Ce serait drôle.
Croyez-moi donc, l’adjonction de l’élément féminin
varierait agréablement le coup d’œil, sans présenter
Au sortir du collège, nous avions, quatre ou cinq
intimes d’autrefois, pris l’engagement de nous retrou-
ver chaque année, à date fixe, dans un restaurant de
Paris; après douze mois d’iDtervalle, l'imprévu de plu-
sieurs existences vécues de côtés et d’autres faisaient de
notre dîner habituel une joyeuse ou triste, mais tou-
jours intéressante causerie. Parfois aussi il nous
arrivait de rappeler le passé, d’évoquer des souvenirs
d’enfance, les camaraderies de pension, cherchant à
ressaisir les traces des compagnons perdus de vue en
chemin.
« Morisot? qu’est-ce qu’il est devenu? Il a couru
d’étranges histoires sur son compte, on ne sait pas où il
est? Il avait du talent... un poète, ma foi ; on a parlé de
lui un moment, puis... tout d’un coup... plus rien. Mais
toi, tu peux nous dévoiler celte énigme... » Celui au-
quel l’un de nous venait d’adresser ces mots ne put
dissimuler une contraction douloureuse, ses yeux
même s’empliront do larmes ; mais sollicité par nos
questions, il nous dit :
« ... Morisot et moi, nous arrivâmes à Paris ensem-
ble, débarquant tous deux de notre village du Périgord,
l’escarcelle aussi peu garnie l’un que l’autre, son père,
le receveur, lui ayant donné une maigre somme d’ar-
gent de poche en plus de son voyage, mes parents,
contre la volonté desquels je venais à la ville, m’ayant,
dans l’espoir égoïste d’un retour prochain, réduit mon
viatique autant qu’il était possible. Inscrits tout d’abord
à l’Ecole de Droit, nous logions en garni sur la monta-
gne Sainte-Geneviève, dans un hôtel sale, noir, poussié-
reux, assez mal famé, habité par des étudiants bohèmes,
et notre grande joie était le soir, après un modeste dîner
à une petite pension que nous avions surnommée la
pension Vauquier, de descendre dans Paris, de faire en
une flânocheuse badauderie le tour des boulevards,
nos yeux de provinciaux écarquiilés aux lumières, aux
étalages, aux cafés ruisselants de gaz, aux théâtres ten-
tateurs et aussi aux coquettes passantes bitumant avec
effronterie... Je glisse sur notre déniaisement ; qu’il
vous suffise de savoir qu’au bout d’un mois, tandis que
je piochais résolument le Gode, Morisot, lui, réfractaire
à tous les articles de la procédure, était irrévocablement
piqué par cette bôte qu’on a appelée très justement la
tarentule littéraire; sans souci bientôt des heures de
cours, oubliant parfois même celles des repas, il res-
tait possédé de la Musc et rimait, rimait...
» Peu à peu son nom fut imprimé de ci de là ; un
chroniqueur en vue lui consacra un dithyrambe qui fit
le tour de la presse, commenté par toutes les plumes;
alors un éditeur, sachant s’orienter du côté où va le
succès, risqua l’œuvre du nouveau venu, et publia les
Noirceurs...
» Dans les quelques mois qui suivirent l’apparition
de son volume, notre ami était devenu un homme cé-
lèbre, on s’était emballé sur lui, mais... Paris est la
ville où les choses naissent et disparaissent avec le plus
de rapidité ; un clou chasse l’autre et, comme dans les
pièces de théâtre, la moindre chose peut devenir un
clou : « Huit jours sont passés... » disait Musset ; je vous
fais grâce de la citation... »
— Oui, oui, avocat, au déluge.
L’auditoire s’impatientait, trouvant l’orateur diffus; il
avait, certes, suivi les cours de l’Ecole de Droit, celui-
là, et il devait regretter sa robe en ce moment; en lui,
grisé par sa propre parole, la faconde succédait à l’émo-
tion du début.
« Oui, au déluge. Morisot fut oublié, il disparut, sa
photographie ne se vendait plus aux vitrines, ses vers
n’étaient plus insérés dans les journaux, les [eûtes re-
vues elle-mêmes le dédaignaient, et l’éditeur ne payait
plus... Les démarches réitérées de l’auteur n’aboutis-
saient à aucun résultat. Le vieux receveur du Périgord,
là-bas, qui s’était vanté de son gars à l’heure du succès,
faisait la sourde oreille maintenant, se dérobait aux de-
mandes de subsides : « Si tu ne peux plus vivre à Paris,
écrivait-il, reviens chez nous.,. » Et ses lettres étaient
pleines de conseils, sans rien autre. Morisot, à bout de
ressources, absolument découragé, partit.
» Six mois de servitude dans un lycée de province,
comme pion des petits, la tête cassée par leur vacarme,
) six mois de vie bête, nulle, éteinte, avec des collè-
I gués idiots, des supérieurs imbéciles, six mois d’insou-