LE CHARIVARI
C’est ce que le drame de MM. Jules Mary et Geor-
ges Grisier a essayé de nous donner, en nous con-
tant cette histoire régimentaire dont les huit ta-
bleaux nous conduisent de la chambrée au greffe
du conseil de guerre, du conseil de guerre au lieu
d’exécution où l’on dégrade le soldat indigne.
M. Grisier est un de nos plus sympathiques confrè-
res. M. Jules Mary est un des conteurs que la vogue
a adoptés ; son nom fait prime dans les journaux po-
pulaires, qui se disputent ses romans-feuilletons.
L’intrigue servant à relier les reproductions mi-
litaires, qui font l’attrait de la pièce nouvelle, n’est ni
très inédite ni très logique, si l’on voulait y regarder
de près.
Un monsieur qui parie, après boire, de violer la
première jeune fille qui passera, n'est pas un hon-
nête homme capable de devenir le type du parfait
colonel.
Ce même personnage, que ses fredaines ont dù
renseigner, ne peut pas ne pas s’apercevoir ultérieu-
rement, quand il épouse la même jeune fille, que le
viol a été fructueux et que celle ci a eu un enfant.
Cette jeune fille, si elle a jugé bon de cacher
l’existence de cet enfant, qu’elle ne doit guère ai-
mer dans de telles conditions, nous surprend par
l’abondance des larmes qu’elle verse encore, vingt-
trois ans après, sur cette aventure.
Et l’on pourrait multiplier les critiques de dé-
tail.
Mais tout cela disparaît dans le mouvement très
habile d’un spectacle fécond en épisodes d’une pit-
toresque variété.
Le tableau de la chambrée, le fac-similé du Rêve
de Détaillé, les défilés à ran plan plan, les grandes
manœuvres, sont autant de clous attractifs.
MM. Granier, Pouctal, Péricaud, méritent d’être
mis à l’ordre du jour.
Rompez les rangs !...
Pierre Véron.
EXTRAIT D’ABSINTHE BUPRRIBURM
GEMPP PERNOD *ZXZS*
G-IHG-k OIETmiiÏHtCÔIIf TBEAÏÏ f amers
PATES dI FOIES
WEISSENTHANNER, Fabricant, à NANCY (Meurthe-&-Mose!le)
ENVOIS IMMEDIATS à DOMICILE mr COLlS-POSTALou GRANDE VITE8SE
CHRONIQUE DU JOUR
Il paraît que le téléphone, à force de s’introduire chez
les autres, soDge à sc mettre chez lui.
On annonce que les terrassements de l’immeuble où
cette sublime invention va prochainement s’installer, à
Paris, sont terminés.
Les travaux de construction ont été adjugés, et l’on
se préoccupe déjà du mobilier.
Enfin, il est même question d’établir, dans cet hôtel
des téléphones, des appareils perfectionnés, entre autres
un multiple système américain permettant de servir
imméiiatement une douzaine de mille d’abonnés, sans
aucun retard ni erreur possible.
Croyez ça, bonnes gens, et quand vous aurez une
communication Dressée à envoyer de Paris à Paris,
prenez tout simplement un commissionnaire.
Au hasard de la lecture.
Je retrouve dans mes notes un passage, bon à relire,
d’un des derniers romans de Guy de Maupassant.
La chose est empruntée à Fort comme la mort, et pour-
rait s’intituler Conseils aux célibataires :
« U y a un âge où la vie de garçon devient intoléra-
ble, parce qu’on ne trouve plus rien de nouveau sous le
soleil.
» Un garçon doit être jeune, curieux, avide. Quand
on n’est plus tout cela, il devient dangereux de rester
libre.
» La liberté, pour un vieux garçon, c’est le vide, le
vide partout. C'est le chemin de ta mort, sans rien dedans
pour empêcher de voir le bout. »
Gai, gai, marions-nous...
Et, cependant, le mariage no réussit pas toujours à
tout le monde.
A preuve ce capitaine anglais ou irlandais, convaincu
aujourd’hui — il y a mis le temps, paraît-il — que sa
femme le trompait avec M. Parnell, le membre cclcbre
de la Chambre des communes.
Le procès qui vient d’être jugé à Londres nous a
révélé des détails amusants.
Le défenseur n’a t-il pas affirmé qu’un jour, sur le
point d’être surpris par le capitaine en tête-à-tête avec
l’épouse d’icelui, M. Parnell était sorti, le chapeau et
la redingote à la main, sur le balcon qui régnait tout
autour tic la maison, puis était revenu, irréprochable-
ment vêtu, de l'autre côté, s’annonçant comme un visi-
teur!
Une vraie scène des Folies-Bergère.
Les admirateurs deDebureau ont beau dire, ces An-
glais sont inimitables dans la pantomime.
Et ils l’aiment tant qu’ils en fourrent n’importe où.
Décidément, la Toui Eiffel continue à faire école un
pou partout.
Exemple, le monument qu’on élève en ce moment à
Douglas.
Seulement nos voisins, gens pratiques avant tout,
ont voulu joindre rutile à l'agréable.
La tour en question ne servira pas exclusivement de
belvédère, et on pourra y prendre autre chose que des
bocks et des fluxions de poitrine.
Elle comptera six étages, comprenant un théâtre, un
salon pour les dames, une salle de concert, un bazar,
des boutiques et un observatoire.
Et avec ça, môssieu?
Une tour’ à tout faire, hein!...
Surtout à faire sécher de jalousie sa sœur aînée du
Champ de Mars.
Si le roi de Hollande jette les yeux sur les journaux
depuis quelques mois, il peut reprendre, pour son
compte, le mot de ce personnage des Faux bonshommes
qui s’écriait, à la lecture du contrat de mariage de sa
fille :
— Mais il n’est question que de ma mort, là-dedans !
Il y a, en effet, des semaines et des semaines qu’on
l’enterre, ce pauvre souverain, et cependant petit bon-
hemmevit toujours.
On est soiide quand même, dans la maison d’Orange.
Un joli nom, n’est-ce pas, pour une famille royale T
Et bien assorti, du reste, au principal produit du
pays.
Il faut être ignorant ou sot,
Pour trouver ce détail étrange :
Dans le pays du Curaçao
Doit régner la maison d'Orange.
Il est bon d’avoir de la suite dans les idées et de l’à-
propos dans les moindres actes de la vie.
Ainsi je connais un ivrogne qui ne veut jamais écrire
que sur du papier buvard.
Et un maître gaffeur qui fait toute sa correspondant
sur du papier écolier.
En bouquinant sur les quais, cette morgue de la litté-
rature passée, présente et... future.
Aperçu dans la case à trois sous.
A trois sous, quinze centimes, ô prédestination !
Le Chalet, par Mme de Montolieu.
Un chalet... de nécessité, alors !
Un mot de la fin.
Il y a des gens naturellement grintheix, jaloux dj
tout ce qui arrive aux autres.
L’un deux disait sur le boulevard, pas plus tard
qu’hier, à qui voulait l'entendre, on parlant d’un pau-
vre diable de bohème politique, depuis quelque temps
disparu de la circulation :
— Vous savez, cet intrigant de X..., il a obtenu une
concession du gouvernement...
— Ab! vraiment!... Et où donc ci? En Algérie, en
Tunisie, au Tonkin? * °
— Non; au cimetière Monlparnasse. Il est mort la se-
maine dernière.
Henri Second.
BOURSE-EXPRESS
La liquidation de Londres n’a plus l’air d’effrayer
personne. Néanmoins, et jusqu’à ce que le règlement
de comptes du Stock-Exchaogc soit définitivement
effectué, la spéculation parisienne n’ose plus prendre
de gros engagements.
Mais le comptant est là. Il soutient les cours, grâce à
ses achats continuels. Ne pas trou s’y fier, pourtant.
Dans quelques jours, on discutera la question de l’em-
prunt, et, si le public s’aperçoit qu’il a intérêt à atten-
dre, les achats dont nous nous félicitons actuellement
pourraient bien s’arrêter.
Mais n’anticipons pas. Pour le moment, tout le
monde est content. Carpe diem! comme disait ce spécu-
lateur d’Horace, dont la bonne humeur était due, selon
toutes probabilités, à l’absence de valeurs Argentines
dans son portefeuille.
Castorinb.
LES PAROLES SINCÈRES 0
MÈRE-NOURRICE
En province. Dans un affreux café-concert.
Ayant manqué le train, voulant être à couvert,
— Il pleuvait, — j’entrai là pour tuer ma soirée.
La salle, dans le goût moresque décorée,
— Albambra de bois peint, généralife en toc, —
Prétendait évoquer on ne sait quel Maroc.
Là, dans d’étroits fauteuils, vrais sièges de torture,
Tous les mauvais sujets de la sous-préfecture,
Hobereaux désœuvrés, sous-offs du régiment,
Glercs d’avoués, commis de l’enregistrement,
Buvaient et tapageaient. Rien n’est lugubre comme
La débauche mesquine et le vice économe.
Sur les tréteaux, pourtant, c’était encore pis.
(*) Sous ce titre, François Coppée, le sympathique poète,
publie chez Lemerre un nouveau recueil, comme toujours très
personnel et d’un accent très ému. Nous lui empruntons ces
trois pièces, de tons divers, qui feront apprécier le mérite et
la variété du livre.
Oh! la stupidité de ces couplets glapis !
Oh ! ces maigres cabots râpés ! — C’était trop triste.
J’allais fuir, quand parut une nouvelle « artiste » ;
Et le murmure heureux qui d’abord s’éleva
M’apprit que je voyais l’étoile, la diva,
Par tous ces bas viveurs, à coup sûr, convoitée :
Une assez belle fille, oui, mais très effrontée,
Montrant toute sa gorge et l’offraut au public.
Quand elle eut salué, ce fut un cri : « Très chic!
Bravo! Très chic! Encore! » Et la femelle experte,
Par le geste indécent de sa poitrine offerte,
Fit hennir de nouveau le parterre exultant.
Ce spectacle, à la fin, devenait révoltant.
Un bon lit m’attendait à VHôtel du Commerce,
Et je sortis. Mais, l’eau tombant toujours à verse,
Je dus m’asseoir encor dans le café désert,
Qu’il fallait traverser pour aller au concert;
Et là, tout en buvant une bière exécrable,
Je vis une fillette à l’aspect misérable,
Qui tenait sur ses bras un enfant nouveau-né.
A celte heure! en ce lieu! J ctais fort étonné,
Car, si tard, les bébés sont couchés, d’ordinaire.
L’enfant pleurait, voulant sa nourrice ou sa mère,
Et la pelile bonne à fichu campagnard
La berçait doucement, à côté du billard.
Soudain, par un couloir s’ouvrant dans la tenture,
Reparut devant moi la triste créature
Qui tout à l’heure offrait impudemment sa peau.
Fanée, presque en baillons, sans fard, sans oripeau,
Elle prouvait combien la rampe est décevante.
Elle entra vivement, sourit à la servante,
Lui retira des mains le petit avec soin,
Puis, allant s’installer dans le plus sombre coin
Et du côté du mur détournant le visage,
D’une hâtive main elle ouvrit son corsage
Et présenta le sein à l’enfant qui se tut.
Même dans l’infamie et la honte, salut,
Acte auguste et touchant de la mère-nourrice!
J’ai manqué d’indulgence envers toi, pauvre actrico!
Tu faisais ton métier tout à l’heure. Il fallait
Gagner ton pain pour que ton enfant eût du lait.
Tu le prends où tu peux, ce pain. La gorge obscène
Qu’aux regards libertins tu montrais sur la scène
Est bonne au nourrisson qui tette avec ardeur,
Et la matérnité t’a rendu la pudeur.
Courtisane en public, mère à la dérobée,
Je t’excuse et te plains, pauvre fille tombée,
Quand je te vois remplir un devoir solennel ;
Et je salue en toi cet instinct maternel
Qui fait que toute femme est sacrée, et qui donne
A la prostituée un geste de Madone.
BALLADE EN L’HONNEUR
DE LA RIVE GAUCHE
Le Paris chic est sur la rive droite.
Dieu ! que d’hôtels loués pour de longs baux !
C’est ce que le drame de MM. Jules Mary et Geor-
ges Grisier a essayé de nous donner, en nous con-
tant cette histoire régimentaire dont les huit ta-
bleaux nous conduisent de la chambrée au greffe
du conseil de guerre, du conseil de guerre au lieu
d’exécution où l’on dégrade le soldat indigne.
M. Grisier est un de nos plus sympathiques confrè-
res. M. Jules Mary est un des conteurs que la vogue
a adoptés ; son nom fait prime dans les journaux po-
pulaires, qui se disputent ses romans-feuilletons.
L’intrigue servant à relier les reproductions mi-
litaires, qui font l’attrait de la pièce nouvelle, n’est ni
très inédite ni très logique, si l’on voulait y regarder
de près.
Un monsieur qui parie, après boire, de violer la
première jeune fille qui passera, n'est pas un hon-
nête homme capable de devenir le type du parfait
colonel.
Ce même personnage, que ses fredaines ont dù
renseigner, ne peut pas ne pas s’apercevoir ultérieu-
rement, quand il épouse la même jeune fille, que le
viol a été fructueux et que celle ci a eu un enfant.
Cette jeune fille, si elle a jugé bon de cacher
l’existence de cet enfant, qu’elle ne doit guère ai-
mer dans de telles conditions, nous surprend par
l’abondance des larmes qu’elle verse encore, vingt-
trois ans après, sur cette aventure.
Et l’on pourrait multiplier les critiques de dé-
tail.
Mais tout cela disparaît dans le mouvement très
habile d’un spectacle fécond en épisodes d’une pit-
toresque variété.
Le tableau de la chambrée, le fac-similé du Rêve
de Détaillé, les défilés à ran plan plan, les grandes
manœuvres, sont autant de clous attractifs.
MM. Granier, Pouctal, Péricaud, méritent d’être
mis à l’ordre du jour.
Rompez les rangs !...
Pierre Véron.
EXTRAIT D’ABSINTHE BUPRRIBURM
GEMPP PERNOD *ZXZS*
G-IHG-k OIETmiiÏHtCÔIIf TBEAÏÏ f amers
PATES dI FOIES
WEISSENTHANNER, Fabricant, à NANCY (Meurthe-&-Mose!le)
ENVOIS IMMEDIATS à DOMICILE mr COLlS-POSTALou GRANDE VITE8SE
CHRONIQUE DU JOUR
Il paraît que le téléphone, à force de s’introduire chez
les autres, soDge à sc mettre chez lui.
On annonce que les terrassements de l’immeuble où
cette sublime invention va prochainement s’installer, à
Paris, sont terminés.
Les travaux de construction ont été adjugés, et l’on
se préoccupe déjà du mobilier.
Enfin, il est même question d’établir, dans cet hôtel
des téléphones, des appareils perfectionnés, entre autres
un multiple système américain permettant de servir
imméiiatement une douzaine de mille d’abonnés, sans
aucun retard ni erreur possible.
Croyez ça, bonnes gens, et quand vous aurez une
communication Dressée à envoyer de Paris à Paris,
prenez tout simplement un commissionnaire.
Au hasard de la lecture.
Je retrouve dans mes notes un passage, bon à relire,
d’un des derniers romans de Guy de Maupassant.
La chose est empruntée à Fort comme la mort, et pour-
rait s’intituler Conseils aux célibataires :
« U y a un âge où la vie de garçon devient intoléra-
ble, parce qu’on ne trouve plus rien de nouveau sous le
soleil.
» Un garçon doit être jeune, curieux, avide. Quand
on n’est plus tout cela, il devient dangereux de rester
libre.
» La liberté, pour un vieux garçon, c’est le vide, le
vide partout. C'est le chemin de ta mort, sans rien dedans
pour empêcher de voir le bout. »
Gai, gai, marions-nous...
Et, cependant, le mariage no réussit pas toujours à
tout le monde.
A preuve ce capitaine anglais ou irlandais, convaincu
aujourd’hui — il y a mis le temps, paraît-il — que sa
femme le trompait avec M. Parnell, le membre cclcbre
de la Chambre des communes.
Le procès qui vient d’être jugé à Londres nous a
révélé des détails amusants.
Le défenseur n’a t-il pas affirmé qu’un jour, sur le
point d’être surpris par le capitaine en tête-à-tête avec
l’épouse d’icelui, M. Parnell était sorti, le chapeau et
la redingote à la main, sur le balcon qui régnait tout
autour tic la maison, puis était revenu, irréprochable-
ment vêtu, de l'autre côté, s’annonçant comme un visi-
teur!
Une vraie scène des Folies-Bergère.
Les admirateurs deDebureau ont beau dire, ces An-
glais sont inimitables dans la pantomime.
Et ils l’aiment tant qu’ils en fourrent n’importe où.
Décidément, la Toui Eiffel continue à faire école un
pou partout.
Exemple, le monument qu’on élève en ce moment à
Douglas.
Seulement nos voisins, gens pratiques avant tout,
ont voulu joindre rutile à l'agréable.
La tour en question ne servira pas exclusivement de
belvédère, et on pourra y prendre autre chose que des
bocks et des fluxions de poitrine.
Elle comptera six étages, comprenant un théâtre, un
salon pour les dames, une salle de concert, un bazar,
des boutiques et un observatoire.
Et avec ça, môssieu?
Une tour’ à tout faire, hein!...
Surtout à faire sécher de jalousie sa sœur aînée du
Champ de Mars.
Si le roi de Hollande jette les yeux sur les journaux
depuis quelques mois, il peut reprendre, pour son
compte, le mot de ce personnage des Faux bonshommes
qui s’écriait, à la lecture du contrat de mariage de sa
fille :
— Mais il n’est question que de ma mort, là-dedans !
Il y a, en effet, des semaines et des semaines qu’on
l’enterre, ce pauvre souverain, et cependant petit bon-
hemmevit toujours.
On est soiide quand même, dans la maison d’Orange.
Un joli nom, n’est-ce pas, pour une famille royale T
Et bien assorti, du reste, au principal produit du
pays.
Il faut être ignorant ou sot,
Pour trouver ce détail étrange :
Dans le pays du Curaçao
Doit régner la maison d'Orange.
Il est bon d’avoir de la suite dans les idées et de l’à-
propos dans les moindres actes de la vie.
Ainsi je connais un ivrogne qui ne veut jamais écrire
que sur du papier buvard.
Et un maître gaffeur qui fait toute sa correspondant
sur du papier écolier.
En bouquinant sur les quais, cette morgue de la litté-
rature passée, présente et... future.
Aperçu dans la case à trois sous.
A trois sous, quinze centimes, ô prédestination !
Le Chalet, par Mme de Montolieu.
Un chalet... de nécessité, alors !
Un mot de la fin.
Il y a des gens naturellement grintheix, jaloux dj
tout ce qui arrive aux autres.
L’un deux disait sur le boulevard, pas plus tard
qu’hier, à qui voulait l'entendre, on parlant d’un pau-
vre diable de bohème politique, depuis quelque temps
disparu de la circulation :
— Vous savez, cet intrigant de X..., il a obtenu une
concession du gouvernement...
— Ab! vraiment!... Et où donc ci? En Algérie, en
Tunisie, au Tonkin? * °
— Non; au cimetière Monlparnasse. Il est mort la se-
maine dernière.
Henri Second.
BOURSE-EXPRESS
La liquidation de Londres n’a plus l’air d’effrayer
personne. Néanmoins, et jusqu’à ce que le règlement
de comptes du Stock-Exchaogc soit définitivement
effectué, la spéculation parisienne n’ose plus prendre
de gros engagements.
Mais le comptant est là. Il soutient les cours, grâce à
ses achats continuels. Ne pas trou s’y fier, pourtant.
Dans quelques jours, on discutera la question de l’em-
prunt, et, si le public s’aperçoit qu’il a intérêt à atten-
dre, les achats dont nous nous félicitons actuellement
pourraient bien s’arrêter.
Mais n’anticipons pas. Pour le moment, tout le
monde est content. Carpe diem! comme disait ce spécu-
lateur d’Horace, dont la bonne humeur était due, selon
toutes probabilités, à l’absence de valeurs Argentines
dans son portefeuille.
Castorinb.
LES PAROLES SINCÈRES 0
MÈRE-NOURRICE
En province. Dans un affreux café-concert.
Ayant manqué le train, voulant être à couvert,
— Il pleuvait, — j’entrai là pour tuer ma soirée.
La salle, dans le goût moresque décorée,
— Albambra de bois peint, généralife en toc, —
Prétendait évoquer on ne sait quel Maroc.
Là, dans d’étroits fauteuils, vrais sièges de torture,
Tous les mauvais sujets de la sous-préfecture,
Hobereaux désœuvrés, sous-offs du régiment,
Glercs d’avoués, commis de l’enregistrement,
Buvaient et tapageaient. Rien n’est lugubre comme
La débauche mesquine et le vice économe.
Sur les tréteaux, pourtant, c’était encore pis.
(*) Sous ce titre, François Coppée, le sympathique poète,
publie chez Lemerre un nouveau recueil, comme toujours très
personnel et d’un accent très ému. Nous lui empruntons ces
trois pièces, de tons divers, qui feront apprécier le mérite et
la variété du livre.
Oh! la stupidité de ces couplets glapis !
Oh ! ces maigres cabots râpés ! — C’était trop triste.
J’allais fuir, quand parut une nouvelle « artiste » ;
Et le murmure heureux qui d’abord s’éleva
M’apprit que je voyais l’étoile, la diva,
Par tous ces bas viveurs, à coup sûr, convoitée :
Une assez belle fille, oui, mais très effrontée,
Montrant toute sa gorge et l’offraut au public.
Quand elle eut salué, ce fut un cri : « Très chic!
Bravo! Très chic! Encore! » Et la femelle experte,
Par le geste indécent de sa poitrine offerte,
Fit hennir de nouveau le parterre exultant.
Ce spectacle, à la fin, devenait révoltant.
Un bon lit m’attendait à VHôtel du Commerce,
Et je sortis. Mais, l’eau tombant toujours à verse,
Je dus m’asseoir encor dans le café désert,
Qu’il fallait traverser pour aller au concert;
Et là, tout en buvant une bière exécrable,
Je vis une fillette à l’aspect misérable,
Qui tenait sur ses bras un enfant nouveau-né.
A celte heure! en ce lieu! J ctais fort étonné,
Car, si tard, les bébés sont couchés, d’ordinaire.
L’enfant pleurait, voulant sa nourrice ou sa mère,
Et la pelile bonne à fichu campagnard
La berçait doucement, à côté du billard.
Soudain, par un couloir s’ouvrant dans la tenture,
Reparut devant moi la triste créature
Qui tout à l’heure offrait impudemment sa peau.
Fanée, presque en baillons, sans fard, sans oripeau,
Elle prouvait combien la rampe est décevante.
Elle entra vivement, sourit à la servante,
Lui retira des mains le petit avec soin,
Puis, allant s’installer dans le plus sombre coin
Et du côté du mur détournant le visage,
D’une hâtive main elle ouvrit son corsage
Et présenta le sein à l’enfant qui se tut.
Même dans l’infamie et la honte, salut,
Acte auguste et touchant de la mère-nourrice!
J’ai manqué d’indulgence envers toi, pauvre actrico!
Tu faisais ton métier tout à l’heure. Il fallait
Gagner ton pain pour que ton enfant eût du lait.
Tu le prends où tu peux, ce pain. La gorge obscène
Qu’aux regards libertins tu montrais sur la scène
Est bonne au nourrisson qui tette avec ardeur,
Et la matérnité t’a rendu la pudeur.
Courtisane en public, mère à la dérobée,
Je t’excuse et te plains, pauvre fille tombée,
Quand je te vois remplir un devoir solennel ;
Et je salue en toi cet instinct maternel
Qui fait que toute femme est sacrée, et qui donne
A la prostituée un geste de Madone.
BALLADE EN L’HONNEUR
DE LA RIVE GAUCHE
Le Paris chic est sur la rive droite.
Dieu ! que d’hôtels loués pour de longs baux !