CINQUANTE-NEUVIÈME ANNÉE
Prix du Numéro ; !§ sentîmes MERCREDI 3 DECEMBRE 1890
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 fr.
Six mois. 36 —
Un an. 72 —
Ces abonnements partent des et 16 de chaque mois
DIRECTION
Politique- Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef
BUREAUX
DE LA RÉDACTION ET DE l’ADMINISTRATION
ïtue de la Victoire, 20
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 20 ÎK
Six mois. 40 —
Un an. 80 —
L’abonnement d’un an donne droit à la prime gratuit
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, fermier de la publicité
92, Rue Richelieu
LE CHARIVARI
----
BULLETIN POLITIQUE
C’est entendu; M. Rouvier n’a jamais eu l’inten-
tion de se retirer.
M. Etienne, lui, a été repêché avec concours de la
droite.
En avons-nous un ministère plus solide?
J’en doute.
Lorsque commencent à se manifester ces velléités
de lassitude, cela finit toujours mal. Et c’est, hélas !
le vice du régime parlementaire. Chaque député se
dit tôt ou lard, lorsqu’un cabinet a la vie trop dure :
— Ah! çà, mais, est-ce qu’il ne va pas bientôt
s’ôter de là pour que j’aie quelque chance de m’y
mettre?
Pour l’ambition de nos honorables, c’est en
quelque sorte un passe-droit.
Ils sont convaincus candidement qu’il doit y avoir
comme un roulement normal qui permette aux élus
du suffrage universel de se fourrer sous le bras uu
portefeuille à tour de rôle.
D’où les marques d’impatience données ces jours-
ci.
Nous n’avons jamais cru qu’elles pussent immé-
diatement aboutir à un patatras. Mais c’est une pre-
mière sommation.
Et, vers le carnaval, il pourrait bien y avoir une
descente de ministres en guise de descente de la
Courtille.
Il pourrait bien aussi y avoir des douzièmes pro-
visoires, cette année.
Ce spectre apparaît vaguement à l’horizon.
On les maudit toujours, ces satanés douzièmes.
Toujours à l’avance on crie : Il n’en faut pas!
On jure de s’y prendre à temps.
Finalement, on est acculé comme toujours.
Ah ! si l’on commençait par abolir cette stérile
parade qui s’appelle la discussion générale du bud-
get ! Ce serait autant de gagné.
Non! Les beaux parleurs s’obstinent à ronronner.
Maintenant tout va dépendre du Sénat. S'il n’y
met pas de bonne volonté, s’il n’avale pas les mil-
lions sans mâcher, les douzièmes seront inévitables.
Le malheur, c’est que, quand le Sénat avale sans
mâcher, l’indigestion est pour les pauvres contri-
buables !
A propos de Sénat, les délégués qui doivent rajeu-
nir ce vieux corps ont été élus dimanche.
On suppute les résultats que ces choix présa-
gent.
Par malheur, il en est tant d’obscurs parmi les-
dits délégués, que le plus simple est d’attendre — oh !
sans angoisse — le vote final, qui ne peut exercer
sur les destins de la France qu’une intluence bien
médiocre, dans tous les cas.
Il paraît que le besoin d’un nouvel ordre de che-
valerie se faisait impérieusement sentir.
C’est, du moins, ce que plusieurs de nos compa-
triotes ont réussi à démontrer à Léon XIII qui, dé-
cidément, semble être un pape candide.
Sur la proposition de Mgr Pava, évêque de Gre-
noble, en effet, et d’un certain nombre de hautes
personnalités catholiques, à la tête desquelles est
M. Lucien Brun, S. S. le pape Léon XIII vient de
créer un nouvel ordre de chevalerie destiné à récom-
penser les services importants rendus à sa personne
et à l’Eglise.
L’ordre des Serviteurs de Saint-Pierre comprendra
des chevaliers, des commandeurs et des grand-croix.
L’insigne consiste en une étoile d’émail blanc à six
pointes, portant en son centre Ta représentation de
la Sainte-Trinité, et entourée d’un flamboiement d'or.
Le tout est surmonté d’une tiare avec les clés pon-
tificales, également en or. Un ruban jaune avec lisé
rés rouges suspend ce bijou sur la poitrine ou au
cou des titulaires.
Le titre même de la nouvelle institution ne vous
fait-il pas l’effet d’une bien ironique antithèse?
Se qualifier de Serviteurs et aspirer à se chamar-
rer, c’est d’un bon comique,
La description nous montre sur la nouvelle croix
la Sainte-Trinité entourée d’un flamboiement.
Serait-ce uns allusion ingénieuse aux bûchers de
l’Inquisition que certains des instigateurs doivent
regretter amèrement?
Le ruban sera jaune avec lisérés rouges... Gageons
que ces lisérés-là ne tarderont pas à empiéter sans
gêne, afin de parolier le plus possible, par leur en-
vahissant écarlate, la Légion d’honneur ?
On remarquera qu’il n’est parlé que d’or dans la
portraiture de cette étoile honorifique.
II n’est donc pas si pauvre qu’on le dit, lorsque
l’on quête au profit du Denier, le père des Fidèles
qui prodiguera ainsi le précieux métal sur la per-
sonne de ses chevaliers, commandeurs et grand-
croix ?
Vous allez démolir de vos propres mains ia lé-
gende du cachot sur la paille duquel gémissait un
pontife vêtu d’habits rapiécés.
Et vous risquez d’arrêter la perception des aumô-
nes que les âmes humbles croyaient devoir envoyer
à ce persécuté.
Quant à l’humilité chrétienne qui reçoit de ces
mises en scène un si audacieux démenti, il y a beau
jour qu’on pie prononce même plus son nom dans le
monde clérical.
C’était le vieux jeu! Place aux évêques fin de
siècle et aux chamarrures modernistes !
C’est égal, si Jésus-Christ revenait sur cette terre,
il serait violemment surpris d’y rencontrer des com-
mandeurs et des grand-croix dont les dorures se
réclameraient de la religion de pauvreté !...
Pierre Yôroù.
NUIT ET JOUR
ÉTUDES PARISIENNES
PATINS, PATINEURS, PATINEUSES
Etant donné que l’homme est porté — la femme
aussi—à aimer éperdûment ce qu’il ne peut avoir,
le patinage devrait être ia passion dominante du
Parisien et de la Parisienne, car rarement la tempé-
rature leur permet ce plaisir.
Mais cette rareté est cause que peu de gens sont
familiarisés avec ce sport qui reste exceptionnel.
En revanche, quelle ardeur chez les adeptes !
Ils se subdivisent en plusieurs catégories.
D’abord l’adepte select, qui n’opère que parce que
c’est chic.
Ensuite l’adepte bourgeois, qui aime ie patinage
pour lui-même.
En troisième lieu, l’adepte prolétaire, qui, en sim-
ple bourgeois, s’ébat au bois de Yincennes ou à
Montsouris.
Côté des dames, même classification, — si ce n’est
que ie prolétariat ne patine pas au féminin.
Est-ce qu’il en aurait le temps ?
Ne faut-il pas garder les mioches et surveiller la
soupe ?
Au Bois, sur les lacs non payants, ie fouillis.
C’est là qu’on risque le mieux uu plongeon
involontaire.
II y a eu des catastrophes mémorables. N’im-
porte J La témérité est si bien au fond du cœur hu-
main, lorsqu’il s’agit de plaisir, que si les gardes ne
s’embusquaient pas pour empêcher les gens de se
noyer, comme pour arrêter les voleurs, ce serait
tous les ans des sinistres à la douzaine.
Au Lac des Patineurs, c’est différent. On risque au
plus le bain de pied jusqu’à la cheville — ou la cul-
bute à la miss Helyett.
Je sais un mariage qui a été fait ainsi. La jolie pa-
tineuse avait si bien montré, par les traîtresses ou-
vertures des dessous etfrubannés, tout ce que dame
nature lui avait attribué de charmes et de rondes-
bosses, qu’on aurait cru qu’elle l’avait fait exprès
pour fasciner un noble Moscovite qui zigzaguait
par là.
Mais au Lac des Patineurs, c’est un public si
high-life, que je ne saurais admettre une aussi ma-
chiavélique hypothèse.
«NlP
c/DJ
Un véritable poste d’observation pour un philo-
sophe, du reste.
Dis-moi comment tu patines et je te dirai qui tu
es.
Pas besoin de regarder à deux fois ce monsieur,
qui entremêle les ronds de jambe et les ronds de
bras, pour savoir qu'on a affaire à une sotte fatuité.
Celui-là, qui piétine et piaffe au hasard, doit être
un joli brouillon.
Et cette brune, qui oscille avec des balancements
onduleux! Quelle indolente ce doit être!
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LE CHARIVARI
----
BULLETIN POLITIQUE
C’est entendu; M. Rouvier n’a jamais eu l’inten-
tion de se retirer.
M. Etienne, lui, a été repêché avec concours de la
droite.
En avons-nous un ministère plus solide?
J’en doute.
Lorsque commencent à se manifester ces velléités
de lassitude, cela finit toujours mal. Et c’est, hélas !
le vice du régime parlementaire. Chaque député se
dit tôt ou lard, lorsqu’un cabinet a la vie trop dure :
— Ah! çà, mais, est-ce qu’il ne va pas bientôt
s’ôter de là pour que j’aie quelque chance de m’y
mettre?
Pour l’ambition de nos honorables, c’est en
quelque sorte un passe-droit.
Ils sont convaincus candidement qu’il doit y avoir
comme un roulement normal qui permette aux élus
du suffrage universel de se fourrer sous le bras uu
portefeuille à tour de rôle.
D’où les marques d’impatience données ces jours-
ci.
Nous n’avons jamais cru qu’elles pussent immé-
diatement aboutir à un patatras. Mais c’est une pre-
mière sommation.
Et, vers le carnaval, il pourrait bien y avoir une
descente de ministres en guise de descente de la
Courtille.
Il pourrait bien aussi y avoir des douzièmes pro-
visoires, cette année.
Ce spectre apparaît vaguement à l’horizon.
On les maudit toujours, ces satanés douzièmes.
Toujours à l’avance on crie : Il n’en faut pas!
On jure de s’y prendre à temps.
Finalement, on est acculé comme toujours.
Ah ! si l’on commençait par abolir cette stérile
parade qui s’appelle la discussion générale du bud-
get ! Ce serait autant de gagné.
Non! Les beaux parleurs s’obstinent à ronronner.
Maintenant tout va dépendre du Sénat. S'il n’y
met pas de bonne volonté, s’il n’avale pas les mil-
lions sans mâcher, les douzièmes seront inévitables.
Le malheur, c’est que, quand le Sénat avale sans
mâcher, l’indigestion est pour les pauvres contri-
buables !
A propos de Sénat, les délégués qui doivent rajeu-
nir ce vieux corps ont été élus dimanche.
On suppute les résultats que ces choix présa-
gent.
Par malheur, il en est tant d’obscurs parmi les-
dits délégués, que le plus simple est d’attendre — oh !
sans angoisse — le vote final, qui ne peut exercer
sur les destins de la France qu’une intluence bien
médiocre, dans tous les cas.
Il paraît que le besoin d’un nouvel ordre de che-
valerie se faisait impérieusement sentir.
C’est, du moins, ce que plusieurs de nos compa-
triotes ont réussi à démontrer à Léon XIII qui, dé-
cidément, semble être un pape candide.
Sur la proposition de Mgr Pava, évêque de Gre-
noble, en effet, et d’un certain nombre de hautes
personnalités catholiques, à la tête desquelles est
M. Lucien Brun, S. S. le pape Léon XIII vient de
créer un nouvel ordre de chevalerie destiné à récom-
penser les services importants rendus à sa personne
et à l’Eglise.
L’ordre des Serviteurs de Saint-Pierre comprendra
des chevaliers, des commandeurs et des grand-croix.
L’insigne consiste en une étoile d’émail blanc à six
pointes, portant en son centre Ta représentation de
la Sainte-Trinité, et entourée d’un flamboiement d'or.
Le tout est surmonté d’une tiare avec les clés pon-
tificales, également en or. Un ruban jaune avec lisé
rés rouges suspend ce bijou sur la poitrine ou au
cou des titulaires.
Le titre même de la nouvelle institution ne vous
fait-il pas l’effet d’une bien ironique antithèse?
Se qualifier de Serviteurs et aspirer à se chamar-
rer, c’est d’un bon comique,
La description nous montre sur la nouvelle croix
la Sainte-Trinité entourée d’un flamboiement.
Serait-ce uns allusion ingénieuse aux bûchers de
l’Inquisition que certains des instigateurs doivent
regretter amèrement?
Le ruban sera jaune avec lisérés rouges... Gageons
que ces lisérés-là ne tarderont pas à empiéter sans
gêne, afin de parolier le plus possible, par leur en-
vahissant écarlate, la Légion d’honneur ?
On remarquera qu’il n’est parlé que d’or dans la
portraiture de cette étoile honorifique.
II n’est donc pas si pauvre qu’on le dit, lorsque
l’on quête au profit du Denier, le père des Fidèles
qui prodiguera ainsi le précieux métal sur la per-
sonne de ses chevaliers, commandeurs et grand-
croix ?
Vous allez démolir de vos propres mains ia lé-
gende du cachot sur la paille duquel gémissait un
pontife vêtu d’habits rapiécés.
Et vous risquez d’arrêter la perception des aumô-
nes que les âmes humbles croyaient devoir envoyer
à ce persécuté.
Quant à l’humilité chrétienne qui reçoit de ces
mises en scène un si audacieux démenti, il y a beau
jour qu’on pie prononce même plus son nom dans le
monde clérical.
C’était le vieux jeu! Place aux évêques fin de
siècle et aux chamarrures modernistes !
C’est égal, si Jésus-Christ revenait sur cette terre,
il serait violemment surpris d’y rencontrer des com-
mandeurs et des grand-croix dont les dorures se
réclameraient de la religion de pauvreté !...
Pierre Yôroù.
NUIT ET JOUR
ÉTUDES PARISIENNES
PATINS, PATINEURS, PATINEUSES
Etant donné que l’homme est porté — la femme
aussi—à aimer éperdûment ce qu’il ne peut avoir,
le patinage devrait être ia passion dominante du
Parisien et de la Parisienne, car rarement la tempé-
rature leur permet ce plaisir.
Mais cette rareté est cause que peu de gens sont
familiarisés avec ce sport qui reste exceptionnel.
En revanche, quelle ardeur chez les adeptes !
Ils se subdivisent en plusieurs catégories.
D’abord l’adepte select, qui n’opère que parce que
c’est chic.
Ensuite l’adepte bourgeois, qui aime ie patinage
pour lui-même.
En troisième lieu, l’adepte prolétaire, qui, en sim-
ple bourgeois, s’ébat au bois de Yincennes ou à
Montsouris.
Côté des dames, même classification, — si ce n’est
que ie prolétariat ne patine pas au féminin.
Est-ce qu’il en aurait le temps ?
Ne faut-il pas garder les mioches et surveiller la
soupe ?
Au Bois, sur les lacs non payants, ie fouillis.
C’est là qu’on risque le mieux uu plongeon
involontaire.
II y a eu des catastrophes mémorables. N’im-
porte J La témérité est si bien au fond du cœur hu-
main, lorsqu’il s’agit de plaisir, que si les gardes ne
s’embusquaient pas pour empêcher les gens de se
noyer, comme pour arrêter les voleurs, ce serait
tous les ans des sinistres à la douzaine.
Au Lac des Patineurs, c’est différent. On risque au
plus le bain de pied jusqu’à la cheville — ou la cul-
bute à la miss Helyett.
Je sais un mariage qui a été fait ainsi. La jolie pa-
tineuse avait si bien montré, par les traîtresses ou-
vertures des dessous etfrubannés, tout ce que dame
nature lui avait attribué de charmes et de rondes-
bosses, qu’on aurait cru qu’elle l’avait fait exprès
pour fasciner un noble Moscovite qui zigzaguait
par là.
Mais au Lac des Patineurs, c’est un public si
high-life, que je ne saurais admettre une aussi ma-
chiavélique hypothèse.
«NlP
c/DJ
Un véritable poste d’observation pour un philo-
sophe, du reste.
Dis-moi comment tu patines et je te dirai qui tu
es.
Pas besoin de regarder à deux fois ce monsieur,
qui entremêle les ronds de jambe et les ronds de
bras, pour savoir qu'on a affaire à une sotte fatuité.
Celui-là, qui piétine et piaffe au hasard, doit être
un joli brouillon.
Et cette brune, qui oscille avec des balancements
onduleux! Quelle indolente ce doit être!