ACTUALITÉS
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LE FUNICULAIRE DE BELLEVILLE TROUVANT ENFIN LE MOYEN DE COMMENCER SON SERVICE
devint vite populaire, et elle resta sur l’affiche pendant
deux ans !
Souvent on accuse bien à tort les auteurs quand ils
signent une mauvaise œuvre, car ceux qui n’ont, pas
l'autorité des Dumas, des Meilhac et des Sardou, ceux
qui attendent le produit de leur œuvre impatiemment,
sont obligés de passer sous les fourches caudines des
directeurs et môme des acteurs.
Le tripatouillage — mot cher à M. Bergerat — existe.
Un ou deux auteurs présentent une pièce ; le directeur
daigne la lire et, satisfait de sa lecture, la reçoil. A
peine l’ouvrage est-il en répétition qu’on le discute
à l’avant-scène; le directeur se laisse influencer par
les artistes, qui ont toujours vu fdux; l’étoile — car
il y en a partout, hélas! — est rarement contente de
son rôle. Son mari ou son époux, qui a assisté à une
répétition, a fait des réflexions... Ceci est trop long !...
Ces couplets sont dangereux!... Le rôle n’est pas assez
important.
***
On prend alors les mots en situation des autres per-
sonnages pour les intercaler dans le rôle de l’étoile ; ils ]
y perdent leur saveur, étant déplacés ; on coupe une
scène utile motivant les autres, parce qu’elle a semblé
longue ; on ajoute une ronde, qui arrive comme des
cheveux dans le potage; on supprime un tableau, que
l’on remplace par trois mots d’explication...
Les auteurs, agacés de voir morceler leur œuvre, fi -
nissent par ne plus s’y reconnaître, et sont las de leur
pièce dont ils étaient enchantés. D'abord ce n’est plus
que l’ouvrage de tout le inonde.
— Mais, direz-vous, pourquoi ne la retirent - ils
pas?
Ce n’est certes pas l’envie qui leur en manque... Mais
ils perdront alors le travail de plusieurs mois... Puis
directeur et comédiens leur prouvent clairement qu’on
a eu raison de les saigner. Et ils cèdent, ces pauvres
auteurs, afin de voir leur pièce sur l’affiche, se disant
qu’après tout des gens de théâtre doivent s’y con-
naître.
Arrive la première. C’est un four. Le directeur jure
ses grands dieux qu’il ne jouera plus de jeunes, les ac-
teurs les plaisantent, et la presse, qui ignore le dessous
des caites, enregistre l’insuccès. Et les auteurs, seuls
innocents en l’affaire, sont seuls rendus respon-
sables.
***
Dans un grand théâtre de genre, on répète depuis
longtemps une pièce importante, et le succès de l’ou-
vrage en i eprésentations a fait que les répétitions ont
élé nombreuses. Le directeur ne s’intéresse plus à l’œu-
vre, qu’il sait pas cœur, et il est blasé du sujet; après
avoir trouvé la pièce charmante, il la dit exécrable...
et il regrette les frais énormes qu’il a faits pour la mise
en scène. L’auteur a lui-même perdu toute confiance
et il a accepté des juges compétents.
Une consultation a été décidée. Trois confrères ont
été appelés, ont donné leur avis et, pour sauver cette
pièce poitrinaire, les Kochs dramatiques ont chacun un
remède différent, — mais ils assurent qu’il est infailli-
ble.
Les docteurs dramatiques sont un peu comme les
autres; et comme l’un d’eux suffit pour tuer un ouvrage,
si j’étais l’auteur de la pièce, je ne serais pas rassuré
du tout !
A. Lemonnier.
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LE FUNICULAIRE DE BELLEVILLE TROUVANT ENFIN LE MOYEN DE COMMENCER SON SERVICE
devint vite populaire, et elle resta sur l’affiche pendant
deux ans !
Souvent on accuse bien à tort les auteurs quand ils
signent une mauvaise œuvre, car ceux qui n’ont, pas
l'autorité des Dumas, des Meilhac et des Sardou, ceux
qui attendent le produit de leur œuvre impatiemment,
sont obligés de passer sous les fourches caudines des
directeurs et môme des acteurs.
Le tripatouillage — mot cher à M. Bergerat — existe.
Un ou deux auteurs présentent une pièce ; le directeur
daigne la lire et, satisfait de sa lecture, la reçoil. A
peine l’ouvrage est-il en répétition qu’on le discute
à l’avant-scène; le directeur se laisse influencer par
les artistes, qui ont toujours vu fdux; l’étoile — car
il y en a partout, hélas! — est rarement contente de
son rôle. Son mari ou son époux, qui a assisté à une
répétition, a fait des réflexions... Ceci est trop long !...
Ces couplets sont dangereux!... Le rôle n’est pas assez
important.
***
On prend alors les mots en situation des autres per-
sonnages pour les intercaler dans le rôle de l’étoile ; ils ]
y perdent leur saveur, étant déplacés ; on coupe une
scène utile motivant les autres, parce qu’elle a semblé
longue ; on ajoute une ronde, qui arrive comme des
cheveux dans le potage; on supprime un tableau, que
l’on remplace par trois mots d’explication...
Les auteurs, agacés de voir morceler leur œuvre, fi -
nissent par ne plus s’y reconnaître, et sont las de leur
pièce dont ils étaient enchantés. D'abord ce n’est plus
que l’ouvrage de tout le inonde.
— Mais, direz-vous, pourquoi ne la retirent - ils
pas?
Ce n’est certes pas l’envie qui leur en manque... Mais
ils perdront alors le travail de plusieurs mois... Puis
directeur et comédiens leur prouvent clairement qu’on
a eu raison de les saigner. Et ils cèdent, ces pauvres
auteurs, afin de voir leur pièce sur l’affiche, se disant
qu’après tout des gens de théâtre doivent s’y con-
naître.
Arrive la première. C’est un four. Le directeur jure
ses grands dieux qu’il ne jouera plus de jeunes, les ac-
teurs les plaisantent, et la presse, qui ignore le dessous
des caites, enregistre l’insuccès. Et les auteurs, seuls
innocents en l’affaire, sont seuls rendus respon-
sables.
***
Dans un grand théâtre de genre, on répète depuis
longtemps une pièce importante, et le succès de l’ou-
vrage en i eprésentations a fait que les répétitions ont
élé nombreuses. Le directeur ne s’intéresse plus à l’œu-
vre, qu’il sait pas cœur, et il est blasé du sujet; après
avoir trouvé la pièce charmante, il la dit exécrable...
et il regrette les frais énormes qu’il a faits pour la mise
en scène. L’auteur a lui-même perdu toute confiance
et il a accepté des juges compétents.
Une consultation a été décidée. Trois confrères ont
été appelés, ont donné leur avis et, pour sauver cette
pièce poitrinaire, les Kochs dramatiques ont chacun un
remède différent, — mais ils assurent qu’il est infailli-
ble.
Les docteurs dramatiques sont un peu comme les
autres; et comme l’un d’eux suffit pour tuer un ouvrage,
si j’étais l’auteur de la pièce, je ne serais pas rassuré
du tout !
A. Lemonnier.