CINQUANTE-NEUVIÈME ANNÉE
Prix du Numéro : SS centima*
DIMANCHE 14 DECEMBRE 1890
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 fr.
Six mois. 36 —
Un an. 12 —
Ces abonnements parlent des i" et 16 de chaque mois
DIRECTION
Politique- Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef
BUREAUX
DE LA RÉDACTION ET DE L’ADMINISTRAT ION
Kue de la Victoire, 20
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 20 fe
Six mois. 40 —
Un an. 80
L’abonnement d’un an donne droit à la prime çraixci
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, fermier de la publictf*
92, Rue Richelieu
LE CHARIVARI
Les souscripteurs dont l’abounemem expire
le 15 Décembre sont priés de le renouveler
immédiatement, s’ils ne veulent pas éprouver
d’interruption dans l’envoi du journal
BULLETIN POLITIQUE
Le général Brugère a décidément emprunté au
maréchal de Mac-Mahon sa devise : J’y suis, j’y
reste, que celui-ci, par exemple, n’appliquait qu’en
temps de guerre.
De temps en temps, prenant leurs espérances pour
des réalités, les journaux annoncent que le général,
las de la vie de bureau, craignant d’oublier son an-
cien métier, s’est décidé à rentrer dans l’armée ac-
tive. Et c’est un cri unanime : Il a, vraiment raison !
Le lendemain, les mêmes journaux sont obligés
d’insérer un démenti pincé qui déclare :
— Jamais le général Brugère n’a eu les intentions
qu’on lui prête. 11 se trouve trop bien à l’Elysée
pour songer à en sortir.
Les choses viennent encore de se passer confor-
mément à ce programme invariable. On était même
allé jusqu’à désigner le successeur de l'inamovible
secrétaire. Les uns avaient nommé M. Lozé, les au-
tres M. Lagrange de Langres.
Le général Brugère a aussitôt fait déclarer que...
(Voir ci-dessus.)
Sincèrement nous croyons, et que le général a
tort de s’immobiliser dans son poste, et que M. Car-
not a non moins tort de l’y maintenir. Il y a une
poussée d’opinion très accusée dont ils devraient
tenir compte l’un et l’autre.
L’avancement sur place du général a provoqué
des hostilités nombreuses. Ceux mêmes qui ne ma-
nifestent pas leur pensée, par déférence, estiment
qu’il y aurait profit pour tout le monde à une sépa-
ration.
M. Brugère et M. Carnot feraient bien d’y réflé-
chir.
Ah ! dame non ! Il nous est impossible d’aller jus-
que-là et de suivre dans leur débordement d’enthou-
siasme les Irlandais qui se font chevaux de fiacre
pour traîner M. Parnell.
Quand il s’est agi de savoir si le champion de l’Ir-
lande devait se démettre ou se soumettre, après son
procès malencontreux, nous fûmes de ceux qui esti-
mèrent que la tâche de l’homme public n’était pas
nécessairement interrompue par la mésaventure de
l’homme privé.
Mais de là à lui faire un titre de gloire de cette
mésaventure, il y a loin. En admettant qu’on ait
tendu un piège à M. Parnell, il a tout au moins mon-
tré de la maladresse en y tombant. Ajoutons que,
rigorisme à part, l’adultère ne saurait devenir un
motif d’apothéose.
Il n’aurait plus manqué, pour que l’emballement
des Irlandais fût complet, que de mettre aussi
Mme O’Shea dans la voiture — et de baisser les
stores.
Pierre Véron.
LÀ DOULEUR DE BRE1TIÉRE
complainte
Ecoutez, gens de la France,
De Batignolles itout,
Quel épouvantable coup
Et quelle horrible souffrance
Vienn’nt d’éprouver à la fois
La R’vue et son porte-voix.
Il se nomme Brunetière,
De Buloz c’est l’régisseur:
Il fut aussi professeur.
Quand on a d’un’ tell’ carrière
L’double prestige à la fois,
On d’vrait avoir tout’s les voix.
Un matin, devant sa glace,
S’étant campé fièrement,
11 se dit en s’contemplant :
« L’Académie est ma place.
Sarcey, Faguet à la fois
S’ront honorés par mes voix. »
La Reçue et la Normale,
Quels titres, mes bons amis !
Les suffrag’s lui fur’nt promis.
Et quand vint la dat’ fatale,
Il se dit : Ah ! cette fois
Pour moi seul y aura des voix.
Après le vote on proclame
Le résultat du scrutin.
Il reste encore incertain.
Avec la douleur dans l’âme
Il entend : Brun'tièr' sept voix!...
Faut r’voter une autre fois.
On procède : — O mon Dieu, quelle
Angoisse 11 doit endurer !
Son cœur bat à déchirer
Jusqu’à son gilet d’flanelle.
On entend: Brun'tièr’ quat' voix!...
Faut r’voter une autre fois.
On reprocède, il est pâle.
Dans sa poitrin’ des coups sourds-
Philis, on espèr’ toujours...
Quel silence dans la salle!
On entend : Brun’tièr' tro;s voix !
Et c’est fini cette fois .
Encore un’ nouvelle épreuve,
Il n’figurait plus du tout.
Normale a pleuré du coup,
La R'vue est trist’ comme un’ veuve.
MORALE
Espérons qu’la prochain’ fois
Il n’briguera plus les voix.
CASGADIO.
LE BANQUIER DU PARADIS
Un vieux fermi er de Montrose (Pensylvanie) ne
pouvait se consoler... de la mort de sa femme, Adé-
laïde, décédée depuis plusieurs années.
Paul Hill — c’était le nom de ce fermier modèle
— aimait à fréquenter ses voisins, M. et Mme Brown,
parce que Philander et Olive Brown étaient spirites
et donnaient des nouvelles d’Adélaïde à l’inconso-
lable Hill.
— Comment va ma femme? demandait Hill, après
s’être informé de la santé de Mme Brown.
— Mais... pas mal... je vous remercie, répondaient
Olive et PLilander avec un accord parfait. Elle goûte,
là-haut, un bonheur sans nuages!
Et le vieux fermier éprouvait ainsi la seule conso-
lalion qu’il fût possible d’apporter à sa douleur.
Tout allait donc relativement pour le mieux
(prière de ne pas imprimer : pour le vieux), lors-
qu'un jour, à sa grande stupéfaction, Hill apprit
qu’Adélaïde, en son radieux séjour, se trouvait dans
une misère noire,., qu’elle était absolument sans
ressources... Bref, que cette malheureuse «bien-
heureuse » élait tenaillée par le plus pressant besoin
d’argent.
Paul Hill n’hésita pas ; il tira de son portefeuille
un billet de dix piastres que, discrètement, il glissa
entre deux pages de la Bible de Mme Brown à l’in-
tention de la pauvre Adélaïde.
Et voyez comme nos meilleures actions, souvent,
sont le plus mal récompensées! A partir de ce jour-
là, tout empira dans les paradisiaques régions. Adé-
laïde devint insatiable : à chaque instant, c’étaient
de nouvelles demandes d’argent; la défunte, paraît-
il, n’y allait pas de main morte... Et le fermier don-
nait, donnait toujours, même que le bon Dieu eu
exprima sa vive satisfaction en disant à saint Pierre
et à saint Paul — du moins à ce qu’affirment M. et
Mme Brown : — « Quel brave homme que ce Hill!
C’est le meilleur de tous ceux qui sont actuellement
sur la terre ! »
Et vous pensez s’il doit s’y connaître, le bon Dieu!
Le fermier ue se tenait pas d’aise. Il prêtait, tour
à tour, une piastre à saint Pierre pour faire refaire
une de ses clefs qu’il avait perdue, trois piastres à
l’ange Gabriel pour faire remettre une plume à sou
aile gauche, — deux piastres que sainte Cécile de-
vedt depuis longtemps à l’accordeur, lequel, quoique
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92, Rue Richelieu
LE CHARIVARI
Les souscripteurs dont l’abounemem expire
le 15 Décembre sont priés de le renouveler
immédiatement, s’ils ne veulent pas éprouver
d’interruption dans l’envoi du journal
BULLETIN POLITIQUE
Le général Brugère a décidément emprunté au
maréchal de Mac-Mahon sa devise : J’y suis, j’y
reste, que celui-ci, par exemple, n’appliquait qu’en
temps de guerre.
De temps en temps, prenant leurs espérances pour
des réalités, les journaux annoncent que le général,
las de la vie de bureau, craignant d’oublier son an-
cien métier, s’est décidé à rentrer dans l’armée ac-
tive. Et c’est un cri unanime : Il a, vraiment raison !
Le lendemain, les mêmes journaux sont obligés
d’insérer un démenti pincé qui déclare :
— Jamais le général Brugère n’a eu les intentions
qu’on lui prête. 11 se trouve trop bien à l’Elysée
pour songer à en sortir.
Les choses viennent encore de se passer confor-
mément à ce programme invariable. On était même
allé jusqu’à désigner le successeur de l'inamovible
secrétaire. Les uns avaient nommé M. Lozé, les au-
tres M. Lagrange de Langres.
Le général Brugère a aussitôt fait déclarer que...
(Voir ci-dessus.)
Sincèrement nous croyons, et que le général a
tort de s’immobiliser dans son poste, et que M. Car-
not a non moins tort de l’y maintenir. Il y a une
poussée d’opinion très accusée dont ils devraient
tenir compte l’un et l’autre.
L’avancement sur place du général a provoqué
des hostilités nombreuses. Ceux mêmes qui ne ma-
nifestent pas leur pensée, par déférence, estiment
qu’il y aurait profit pour tout le monde à une sépa-
ration.
M. Brugère et M. Carnot feraient bien d’y réflé-
chir.
Ah ! dame non ! Il nous est impossible d’aller jus-
que-là et de suivre dans leur débordement d’enthou-
siasme les Irlandais qui se font chevaux de fiacre
pour traîner M. Parnell.
Quand il s’est agi de savoir si le champion de l’Ir-
lande devait se démettre ou se soumettre, après son
procès malencontreux, nous fûmes de ceux qui esti-
mèrent que la tâche de l’homme public n’était pas
nécessairement interrompue par la mésaventure de
l’homme privé.
Mais de là à lui faire un titre de gloire de cette
mésaventure, il y a loin. En admettant qu’on ait
tendu un piège à M. Parnell, il a tout au moins mon-
tré de la maladresse en y tombant. Ajoutons que,
rigorisme à part, l’adultère ne saurait devenir un
motif d’apothéose.
Il n’aurait plus manqué, pour que l’emballement
des Irlandais fût complet, que de mettre aussi
Mme O’Shea dans la voiture — et de baisser les
stores.
Pierre Véron.
LÀ DOULEUR DE BRE1TIÉRE
complainte
Ecoutez, gens de la France,
De Batignolles itout,
Quel épouvantable coup
Et quelle horrible souffrance
Vienn’nt d’éprouver à la fois
La R’vue et son porte-voix.
Il se nomme Brunetière,
De Buloz c’est l’régisseur:
Il fut aussi professeur.
Quand on a d’un’ tell’ carrière
L’double prestige à la fois,
On d’vrait avoir tout’s les voix.
Un matin, devant sa glace,
S’étant campé fièrement,
11 se dit en s’contemplant :
« L’Académie est ma place.
Sarcey, Faguet à la fois
S’ront honorés par mes voix. »
La Reçue et la Normale,
Quels titres, mes bons amis !
Les suffrag’s lui fur’nt promis.
Et quand vint la dat’ fatale,
Il se dit : Ah ! cette fois
Pour moi seul y aura des voix.
Après le vote on proclame
Le résultat du scrutin.
Il reste encore incertain.
Avec la douleur dans l’âme
Il entend : Brun'tièr' sept voix!...
Faut r’voter une autre fois.
On procède : — O mon Dieu, quelle
Angoisse 11 doit endurer !
Son cœur bat à déchirer
Jusqu’à son gilet d’flanelle.
On entend: Brun'tièr’ quat' voix!...
Faut r’voter une autre fois.
On reprocède, il est pâle.
Dans sa poitrin’ des coups sourds-
Philis, on espèr’ toujours...
Quel silence dans la salle!
On entend : Brun’tièr' tro;s voix !
Et c’est fini cette fois .
Encore un’ nouvelle épreuve,
Il n’figurait plus du tout.
Normale a pleuré du coup,
La R'vue est trist’ comme un’ veuve.
MORALE
Espérons qu’la prochain’ fois
Il n’briguera plus les voix.
CASGADIO.
LE BANQUIER DU PARADIS
Un vieux fermi er de Montrose (Pensylvanie) ne
pouvait se consoler... de la mort de sa femme, Adé-
laïde, décédée depuis plusieurs années.
Paul Hill — c’était le nom de ce fermier modèle
— aimait à fréquenter ses voisins, M. et Mme Brown,
parce que Philander et Olive Brown étaient spirites
et donnaient des nouvelles d’Adélaïde à l’inconso-
lable Hill.
— Comment va ma femme? demandait Hill, après
s’être informé de la santé de Mme Brown.
— Mais... pas mal... je vous remercie, répondaient
Olive et PLilander avec un accord parfait. Elle goûte,
là-haut, un bonheur sans nuages!
Et le vieux fermier éprouvait ainsi la seule conso-
lalion qu’il fût possible d’apporter à sa douleur.
Tout allait donc relativement pour le mieux
(prière de ne pas imprimer : pour le vieux), lors-
qu'un jour, à sa grande stupéfaction, Hill apprit
qu’Adélaïde, en son radieux séjour, se trouvait dans
une misère noire,., qu’elle était absolument sans
ressources... Bref, que cette malheureuse «bien-
heureuse » élait tenaillée par le plus pressant besoin
d’argent.
Paul Hill n’hésita pas ; il tira de son portefeuille
un billet de dix piastres que, discrètement, il glissa
entre deux pages de la Bible de Mme Brown à l’in-
tention de la pauvre Adélaïde.
Et voyez comme nos meilleures actions, souvent,
sont le plus mal récompensées! A partir de ce jour-
là, tout empira dans les paradisiaques régions. Adé-
laïde devint insatiable : à chaque instant, c’étaient
de nouvelles demandes d’argent; la défunte, paraît-
il, n’y allait pas de main morte... Et le fermier don-
nait, donnait toujours, même que le bon Dieu eu
exprima sa vive satisfaction en disant à saint Pierre
et à saint Paul — du moins à ce qu’affirment M. et
Mme Brown : — « Quel brave homme que ce Hill!
C’est le meilleur de tous ceux qui sont actuellement
sur la terre ! »
Et vous pensez s’il doit s’y connaître, le bon Dieu!
Le fermier ue se tenait pas d’aise. Il prêtait, tour
à tour, une piastre à saint Pierre pour faire refaire
une de ses clefs qu’il avait perdue, trois piastres à
l’ange Gabriel pour faire remettre une plume à sou
aile gauche, — deux piastres que sainte Cécile de-
vedt depuis longtemps à l’accordeur, lequel, quoique