BOHÈMIANA
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— Vois-tu, mon vieux, quand on a payé ses dettes, il n’y a plus de gens
qui s’intéressent à votre réussite.
plus loin ?... L’oracle a parlé... Il y a encore «échelle ».
Voilà : « Echelle, — Infernale trahison. — N. B Plus
l’échelle est grande, plus c’est une trahison sur une
grande échelle. » (Bile laisse tomber le livre.Très sombre.)
J’ai voulu savoir, je sais !... (Rugissant.) Ah ! Oscar !'!...
C’est moi qui vais y monter, à l’échelle !
Quatre heures !... Il ne reviendra qu’au jour, mainte-
nant, tout parfumé des baisers de sa donzelle !.. Et je
ne m’apercevais de rien... Je ne peux môme pas imagi-
ner avec qui me trompe M. Bellavoine !... Avec une cui-
sinière ? Non, il ne serait pas venu chercher du papier
pour écrire à cette gothon!... Cependant, l’oracle des
dames. ..Oui, mais je ne me rappelle plus au juste si ce
que j’ai vu était bien un pot-au-feu ou quelque vase
d’une autre forme... Cherchons dans notre entourage...
La femme de l’adjoint?... On la dit assez coquette...
Non, il est en froid avec le mari... Qa ne s’ist jamais
vu, l’ainant d’une femme mariée qui n’est pas l’ami du
mari !... Ah ! j’y suis...La femme de l’épicier, une brune
piquante... Il .y a des gredins d’hommes qui aiment
ça... Le jobard de mari va au café d’Oscar... Je parie
qu’ils font leur partie tous les soirs ensemble... Comme
c’est nature !... Et puis, je me rappelle ; le traître m’a
dit un jour : « Mme Pruno a de bien jolis, jolis yeux. »
Ft j’ai répondu bêtement : « Oui, mon bichon. » Je fai-
sais l’éloge de ma rivale !Ü...
Cinq heures !... Que fait-il maintenant?... Et cepen-
dant je voudrais pouvoir sortir... Ah ! je suis bien mal-
heureuse!... Si je sonnais Justine? Il parait qu’elle fait
les cartes à ravir... (Elle carillonne.)
An bout d'un quart d’heure, la soubrette apparaît.
Justine. — Qu’y a-t-il?... Madame a sonné?...
Mme Bellavoine. — Oui, pour que vous me fassiez
les cartes.
Justine. — Madame ne s’est pas couchée!...
Mme Bellavoine. — Non ; je n’étais pas en virve.
Justine. — C’est peut-être les rôdeurs qui ont empê-
ché madame de dormir... Ils ont fait un potio, cette
nuitl
Mme Bell avoine. — Je n’ai rien entendu.
Justine. — Ah! bien, ils criaient assez pourtant...
Il y en avait un surtout, le chef sans doute, on n’en-
tendait que lui !...
Elle s'installe devant le guéridon et mêle le ieu qu'elle
dispose ensuite sur la table.
Justine, comptant en touchant chaque carte du bout de
son index. Une, deux, trois, quatre.,. Atchoumm!...
J’in’ai enrhumé.
Mme Behavoine. — Continuez.
Justine. — Merci... Un homme brun.
Mme Bellavoine, à part. — Oscar!
Justine. — Une, deux, trois, quatre... Une femme
brune...
Mme Bellavoine, kpart. — L’épicière!
Justine, comptant toujours. — Une petite route.
Mme Bellavoine, de même. — La gueuse demeure
près d’ici.
Justine, de meme. — Pour un facteur...
Mme Bellavoine. — Quel facteur?...
J Justine. — Je ne sais pas, je dis ce que je vois..
[Comptant.) A l’occasion d’une grossesse...
Mme Bellavoine. — Une grossesse de facteur!
Justine, se levant et courant à la fenêtre. — Entendez-
vous, madame?... là... dans le jardin... On parle!.,.
Quelques rôdeurs... Us sont parvenus à franchir le
mur. . [Elle tire les rideaux.[Tiens': il commence à faire
jour. . [Poussant un cri.) Ah! madame, madame... Venez
voir... C’est Monsieur que Joseph ïamène!...
Mme Bellavoine, à la fenêtre. — Et dans quel état!
Tête nue, en pantoufles I... Courez !... vite!..,
Justine va s'élancer, la porte s'ouvre et M. Bellavoine
apparaît, pâle, défait, soutenu par son domestique.
Mme Bellavoine. — Qu’y a-t-il?... Es-tu blessé?
Joseph. — Non... Mais je viens de trouver Monsieur
cadenassé... [Il baisse la voix) là-bas... au fond du jar-
din... dans le petit local... Il y a passé la nuit...
Mme Bellavoine, avec explosion. — Enfermé dans les
water-closets!... Et par moi!... Ahl mon pauvre bi-
chon!... Et je te soupçonnais!... Quelle nuit j’ai passée!
Bellavoine. — Et moi donc!... J’avais beau crier...
Joseph. — On croyait que c’était les rôdeurs.
Mme Bellavoine. — Ah! pauvre chou, ce que je t’ai
maudit... Je voulais t’écrabouiller!
Bellavoine, piteusement. — Et on dit que ça porte
bonheur!...
Mme Bellavoine. — Je jyaurai plus de soupçons, je
le le jure... Ah! je sens... (Elle se recule un peu.) Je
1 sens bien que tu es innocent I
Jules Demollikns.
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— Vois-tu, mon vieux, quand on a payé ses dettes, il n’y a plus de gens
qui s’intéressent à votre réussite.
plus loin ?... L’oracle a parlé... Il y a encore «échelle ».
Voilà : « Echelle, — Infernale trahison. — N. B Plus
l’échelle est grande, plus c’est une trahison sur une
grande échelle. » (Bile laisse tomber le livre.Très sombre.)
J’ai voulu savoir, je sais !... (Rugissant.) Ah ! Oscar !'!...
C’est moi qui vais y monter, à l’échelle !
Quatre heures !... Il ne reviendra qu’au jour, mainte-
nant, tout parfumé des baisers de sa donzelle !.. Et je
ne m’apercevais de rien... Je ne peux môme pas imagi-
ner avec qui me trompe M. Bellavoine !... Avec une cui-
sinière ? Non, il ne serait pas venu chercher du papier
pour écrire à cette gothon!... Cependant, l’oracle des
dames. ..Oui, mais je ne me rappelle plus au juste si ce
que j’ai vu était bien un pot-au-feu ou quelque vase
d’une autre forme... Cherchons dans notre entourage...
La femme de l’adjoint?... On la dit assez coquette...
Non, il est en froid avec le mari... Qa ne s’ist jamais
vu, l’ainant d’une femme mariée qui n’est pas l’ami du
mari !... Ah ! j’y suis...La femme de l’épicier, une brune
piquante... Il .y a des gredins d’hommes qui aiment
ça... Le jobard de mari va au café d’Oscar... Je parie
qu’ils font leur partie tous les soirs ensemble... Comme
c’est nature !... Et puis, je me rappelle ; le traître m’a
dit un jour : « Mme Pruno a de bien jolis, jolis yeux. »
Ft j’ai répondu bêtement : « Oui, mon bichon. » Je fai-
sais l’éloge de ma rivale !Ü...
Cinq heures !... Que fait-il maintenant?... Et cepen-
dant je voudrais pouvoir sortir... Ah ! je suis bien mal-
heureuse!... Si je sonnais Justine? Il parait qu’elle fait
les cartes à ravir... (Elle carillonne.)
An bout d'un quart d’heure, la soubrette apparaît.
Justine. — Qu’y a-t-il?... Madame a sonné?...
Mme Bellavoine. — Oui, pour que vous me fassiez
les cartes.
Justine. — Madame ne s’est pas couchée!...
Mme Bellavoine. — Non ; je n’étais pas en virve.
Justine. — C’est peut-être les rôdeurs qui ont empê-
ché madame de dormir... Ils ont fait un potio, cette
nuitl
Mme Bell avoine. — Je n’ai rien entendu.
Justine. — Ah! bien, ils criaient assez pourtant...
Il y en avait un surtout, le chef sans doute, on n’en-
tendait que lui !...
Elle s'installe devant le guéridon et mêle le ieu qu'elle
dispose ensuite sur la table.
Justine, comptant en touchant chaque carte du bout de
son index. Une, deux, trois, quatre.,. Atchoumm!...
J’in’ai enrhumé.
Mme Behavoine. — Continuez.
Justine. — Merci... Un homme brun.
Mme Bellavoine, à part. — Oscar!
Justine. — Une, deux, trois, quatre... Une femme
brune...
Mme Bellavoine, kpart. — L’épicière!
Justine, comptant toujours. — Une petite route.
Mme Bellavoine, de même. — La gueuse demeure
près d’ici.
Justine, de meme. — Pour un facteur...
Mme Bellavoine. — Quel facteur?...
J Justine. — Je ne sais pas, je dis ce que je vois..
[Comptant.) A l’occasion d’une grossesse...
Mme Bellavoine. — Une grossesse de facteur!
Justine, se levant et courant à la fenêtre. — Entendez-
vous, madame?... là... dans le jardin... On parle!.,.
Quelques rôdeurs... Us sont parvenus à franchir le
mur. . [Elle tire les rideaux.[Tiens': il commence à faire
jour. . [Poussant un cri.) Ah! madame, madame... Venez
voir... C’est Monsieur que Joseph ïamène!...
Mme Bellavoine, à la fenêtre. — Et dans quel état!
Tête nue, en pantoufles I... Courez !... vite!..,
Justine va s'élancer, la porte s'ouvre et M. Bellavoine
apparaît, pâle, défait, soutenu par son domestique.
Mme Bellavoine. — Qu’y a-t-il?... Es-tu blessé?
Joseph. — Non... Mais je viens de trouver Monsieur
cadenassé... [Il baisse la voix) là-bas... au fond du jar-
din... dans le petit local... Il y a passé la nuit...
Mme Bellavoine, avec explosion. — Enfermé dans les
water-closets!... Et par moi!... Ahl mon pauvre bi-
chon!... Et je te soupçonnais!... Quelle nuit j’ai passée!
Bellavoine. — Et moi donc!... J’avais beau crier...
Joseph. — On croyait que c’était les rôdeurs.
Mme Bellavoine. — Ah! pauvre chou, ce que je t’ai
maudit... Je voulais t’écrabouiller!
Bellavoine, piteusement. — Et on dit que ça porte
bonheur!...
Mme Bellavoine. — Je jyaurai plus de soupçons, je
le le jure... Ah! je sens... (Elle se recule un peu.) Je
1 sens bien que tu es innocent I
Jules Demollikns.