ACTUALITÉS
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— Pas bien brossé, mon dolman; mal astiqués, les boutons. Vous me disiez pourtant
avoir déjà servi chez un officier ?
— Oui, mon capitaine, chez un officier... d’Académie.
LARO OEEFOUaAD3S
Le procès Gouffé redonne de l’actualité à cette ques-
tion :
— Pourquoi l’ironie nationale s’acharne-t-elle sur les
huissiers ?
Et ne serait-il pas temps d’en finir avec ce préjugé
rengainier ?
Nous avons comme cela, en France, des cibles que les
générations se transmettent avec une provision de
vieux projectiles à l’usage des facétieux.
D’où vient qu’on jette l’odieux et le ridicule sur une
profession qui est honorablement exercée?
Parbleu ! je n’ignore pas que l’exercice de cette pro-
fession-là n’a pas toujours d’agréables résultats pour
ceux qui ont la mauvaise habitude de ne pas payer
leurs dettes. Je sais encore que, parfois, l’huissier se
voit forcé d’instrumenter contre d’intéressantes misères.
Mais d’abord, pourquoi s’en prend-on à lui et non pas
à ceux qui mettent en mouvement l’appareil de la léga-
lité?
L’huissier n’est qu’un intermédiaire. Il fonctionne
comme le gendarme, comme le juge, comme l’avoué.
Le gendarme exécute l’ordre reçu. Quand il arrête un
prévenu, si ce prévenu est un innocent, ce n’est pas lui
qu’on peut rendre responsable de l’erreur.
Le juge applique la loi. Si la loi est mauvaise, il ne lui
appartient pas de la modifier. C’est l’affaire du législa-
teur.
L’avoué pose, à la requête d’un client, des conclusions
qui blessent l’amour-propre ou froissent les intérêts de
la partie adverse. Mais il n’est là qu’un porte-voix.
Gendarme, juge, avoué, ne sont pas, comme l’huis-
sier, en butte aux railleries continues, aux anathèmes
permanents.
C’est que, sans doute, on a compris que leur rôle est
irresponsable en même temps qu’indispensable à la so-
ciété.
Comment se refuse-l-on à admettre la même circons-
tance atténuante au bénéfice de l’huissier, traqué et
méconnu?
Encore une des innombrables anomalies de notre ca-
pricieuse civilisation.
Lorsque l’huissier signifie un jugement, il n’est, en
quelque sorte, que le commissionnaire du Code. Or, on
ne demande pas, je suppose, que le Code soit aboli.
Lorsque l’huissier lance une assignation, il n’est que
l’interprète du plaideur qui veut poursuivre. Que le
plaideur soit ou non dans son droit, ce n’est pas à lui
d’apprécier.
Lorsque l'huissier instrumente à la requête d’un
créancier, il n’a pas à examiner la validité ou la mora-
I lité de la créance. Il en constate l’existence. L’apprécia-
i tion lui échappe encore.
Eh bien ! alors?
Ce n’est pas tout. Il y a un autre côté de la question
que les huissiérophobes laissent perfidement dans l’om-
bre. Il faudrait cependant l’éclairer aussi.
Sans doute il est des infoi tunes qui méritent d’inspi-
rer la compassion. Ce sont celles qui ne peuvent pas
payer.
Mais il y a aussi celles qui ne veulent pas.
Paris et la province regorgent de faiseurs de dupes
en tout genre, de flibustiers aventureux, de farceurs
qui trouvent bon d’empocher ou d’emprunter l’argent
du prochain, mais qui ne se sentent nullement disposés
à le restituer.
C’est, après tout, une simple forme du vol.
Vous vous apitoyez toujours sur le pauvre débiteur.
Mais il est aussi de très pauvres créanciers. Il est des
gens dépouillés, ruinés, qui meurent de faim à cô té de
créances récalcitrantes.
Ne sont-ils pas dignes de quelque sollicitude? Pren-
dra-t-on toujours le parti de l’escroc contre l’escroqué,
de l’intrigant contre le dévalisé?
Ici, l’huissier remplit une mission de préservation
sociale. Il est avec le droit contre l’astuce, la coquine-
rie et la mauvaise foi.
Ce qui n’empêche pas les plaisants de le bafouer avec
persévérance et rengaine.
En vérité, le peuple le plus spirituel de la terre est
souvent bien saugrenu. En vérité, le peuple du progrès
et de l’innovation est parfois bien routinier.
UN PHILOSOPHE.
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— Pas bien brossé, mon dolman; mal astiqués, les boutons. Vous me disiez pourtant
avoir déjà servi chez un officier ?
— Oui, mon capitaine, chez un officier... d’Académie.
LARO OEEFOUaAD3S
Le procès Gouffé redonne de l’actualité à cette ques-
tion :
— Pourquoi l’ironie nationale s’acharne-t-elle sur les
huissiers ?
Et ne serait-il pas temps d’en finir avec ce préjugé
rengainier ?
Nous avons comme cela, en France, des cibles que les
générations se transmettent avec une provision de
vieux projectiles à l’usage des facétieux.
D’où vient qu’on jette l’odieux et le ridicule sur une
profession qui est honorablement exercée?
Parbleu ! je n’ignore pas que l’exercice de cette pro-
fession-là n’a pas toujours d’agréables résultats pour
ceux qui ont la mauvaise habitude de ne pas payer
leurs dettes. Je sais encore que, parfois, l’huissier se
voit forcé d’instrumenter contre d’intéressantes misères.
Mais d’abord, pourquoi s’en prend-on à lui et non pas
à ceux qui mettent en mouvement l’appareil de la léga-
lité?
L’huissier n’est qu’un intermédiaire. Il fonctionne
comme le gendarme, comme le juge, comme l’avoué.
Le gendarme exécute l’ordre reçu. Quand il arrête un
prévenu, si ce prévenu est un innocent, ce n’est pas lui
qu’on peut rendre responsable de l’erreur.
Le juge applique la loi. Si la loi est mauvaise, il ne lui
appartient pas de la modifier. C’est l’affaire du législa-
teur.
L’avoué pose, à la requête d’un client, des conclusions
qui blessent l’amour-propre ou froissent les intérêts de
la partie adverse. Mais il n’est là qu’un porte-voix.
Gendarme, juge, avoué, ne sont pas, comme l’huis-
sier, en butte aux railleries continues, aux anathèmes
permanents.
C’est que, sans doute, on a compris que leur rôle est
irresponsable en même temps qu’indispensable à la so-
ciété.
Comment se refuse-l-on à admettre la même circons-
tance atténuante au bénéfice de l’huissier, traqué et
méconnu?
Encore une des innombrables anomalies de notre ca-
pricieuse civilisation.
Lorsque l’huissier signifie un jugement, il n’est, en
quelque sorte, que le commissionnaire du Code. Or, on
ne demande pas, je suppose, que le Code soit aboli.
Lorsque l’huissier lance une assignation, il n’est que
l’interprète du plaideur qui veut poursuivre. Que le
plaideur soit ou non dans son droit, ce n’est pas à lui
d’apprécier.
Lorsque l'huissier instrumente à la requête d’un
créancier, il n’a pas à examiner la validité ou la mora-
I lité de la créance. Il en constate l’existence. L’apprécia-
i tion lui échappe encore.
Eh bien ! alors?
Ce n’est pas tout. Il y a un autre côté de la question
que les huissiérophobes laissent perfidement dans l’om-
bre. Il faudrait cependant l’éclairer aussi.
Sans doute il est des infoi tunes qui méritent d’inspi-
rer la compassion. Ce sont celles qui ne peuvent pas
payer.
Mais il y a aussi celles qui ne veulent pas.
Paris et la province regorgent de faiseurs de dupes
en tout genre, de flibustiers aventureux, de farceurs
qui trouvent bon d’empocher ou d’emprunter l’argent
du prochain, mais qui ne se sentent nullement disposés
à le restituer.
C’est, après tout, une simple forme du vol.
Vous vous apitoyez toujours sur le pauvre débiteur.
Mais il est aussi de très pauvres créanciers. Il est des
gens dépouillés, ruinés, qui meurent de faim à cô té de
créances récalcitrantes.
Ne sont-ils pas dignes de quelque sollicitude? Pren-
dra-t-on toujours le parti de l’escroc contre l’escroqué,
de l’intrigant contre le dévalisé?
Ici, l’huissier remplit une mission de préservation
sociale. Il est avec le droit contre l’astuce, la coquine-
rie et la mauvaise foi.
Ce qui n’empêche pas les plaisants de le bafouer avec
persévérance et rengaine.
En vérité, le peuple le plus spirituel de la terre est
souvent bien saugrenu. En vérité, le peuple du progrès
et de l’innovation est parfois bien routinier.
UN PHILOSOPHE.