ACTUALITÉS
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— Evidemment ! c’est bien ma femme ; mais ça n’est pas ce qu’on appelle un
portrait parlant.
— Si vous y tenez beaucoup, on peut placer un phonographe par derrière 1
THÉÂTRES
GAITÉ : La Fée aux chèv-es.
On commençait à croire que l’inamovible Suzetlene
se déci ierait jamais à quitter la place.
Pendant deux cent cinquante soirées elle s’obstina
tant et si bien, que la charmante Mme Simon-Girard,
qui avait tenu le rôle sans une défaillance, devait être
à bout de forces, sinon de succès. Et c’est probable-
ment ce qui a donné l'idée de la remplacer par
Mlle Samé, ce qui a obligé de mettre sur i’affiche : Der-
nière représe talion, quand la salle était comble comme
aux premiers jours.
Puis eîte s'impatientait dans la coulisse, la Fée aux
clièvres dont i’altento se prolongeait ainsi. On nous a
doue offert cette pièce à grand spectacle — c’est la qua-
lification officielle — comme cadeau de Noël.
La Gaité paraît avoir entrepris de remplacer la féerie
ancienne par une nouvelle formule. Elle y a déjà réussi
à diverses reprises: avec la Cigale, par exemple ; ensuite
avec ce^ Voyage de S mette dont je parlais plus haut,
La Fée aux chèvres continue l’expérience.
Quatorze tableaux, des changements à vue, deux
ballets, des clowns, des décors à transformation, c’est à
dire tout ce qui alléchait dans une Biche aux bois ou
dans une Cendrillon.
En plus, l’attrait d’une partition inédite pour laquelle
| MM. Ferrier et Vanloo ont réclamé le concours de
M. Louis Varney, — d’une partition qui se chante tout
aussi consciencieusement qu’à l’Opéra-Gomique, s’il
vous plaît!
Le livret est quelque chose comme un conte vieux,
comme une opérette compliquée de sentiment, comme...
Ma foi: je renonce à la définition.
Ce qu’il y a de certain, c’est que le mélange a été
goûté par le public. Voilà l’important.
La gentille Yvette est une gardeuse de chèvres qui
doit, au dénouement, justifier le proverbe : « On a vu
des rois épouser des bergères. »
Ce n’est pas précisément un roi qui l’épousera, mais
un joli marquis, dont le tardif amour sera sa très mé-
ritée récompense.
Ce marquis, en effet, serait, sans l’intervention
d’Yvette, absolument dépouillé par un affreux vidame
qui lui fait signer toutes sortes de papiers perfides.
Heureusement, la Fée aux chèvres veille.
Avec le concours d’un sien oncle, comédien ambulant,
elle organise la défense du marquis, endosse les traves-
tissements les plus divers, roule le vidame, et amène un
dénouement conforme aux vœux des bonnes âmes.
Il ne îaut pas regarder tout cela au point de vue de
la stricte vraisemblance. Il ne faut pas demander à cet
imbroglio fantaisiste d’attacher ses scènes par de solides
ligatures.
Je vous ai prévenus qu’il s’agissait d’un conte.
Il a fait rire, grâce à la verve des interprètes. Il a
charmé, grâce à l’élégante variété d’une musique très
spontanément venue. Il a triomphé, grâce aux splen-
deurs d’une décoration tout à fait remarquable, grâce
surtout à un ballet absolument merveilleux.
On n’avait, depuis le Voyage dans la Lune et ses. mé-
morables hirondelles, rien vu d’une plus séduisante
originalité que tous les costumes de ce ballet qui suffi-
rait à faire courir la curiosité parisienne.
Et il y a bien d’autres attractions tout autour 1
Il y a la partition de M. VarDey, dont j’ai constaté
déjà l’aimab!c inspiration, et dont plusieurs morceaux
ont été bissés d’enthousiasme.
Il y a l’endiablé Vauthier, qui n’a jamais brûlé les
planches avec une ardeur plus incendiaire. Son mor-
ceau : Au galop ! est le nec plus ultra de la frénésie co-
mique.
Il y a Fugère aussi, d’une drôlerie très personnelle ;
Mlle'Gélaborl, M. Mesmaker...
Il y a enfin Mlle Samé, qui porte presque à elle seule
toute la responsabilité musicale.
Très intelligente, Mlle Samé. Son visage mobile où
éclatent, dans un sourire, la blancheur des dents et la
rougeur des lèvres, a d’hypnotisantes expressions.
C’est une possédée de l’art, et même, si j’avais un con-
seil à lui donner, ce serait de modérer un brin son tem-
pérament, qui l’entraîne à multiplier les gestes, à forcer
parfois les effets.
Abondance de conviction qui se calmera d’elle-mcme
lorsque cent représentations y auront passé.
Mlle Samé chante en virtuose, aucun obstacle n’ef-
fraie sa crânerie. Elle jongle victorieusement avec les
difficultés de la vocalise, et escalade les plus vertigineux
sommets.
Ce qui vaut mieux encore,_ c’est qu’elle sait détailler
avec sentiment une phrase émue.
Son succès a été très grand.
11 me reste à féliciter M. Debruyère, de qui l’intelli-
gente et artistique audace jette l’argent par les fenêtres
— pour qu’il rentre décuplé par la porte.
Allons! la Gaîté ne nous convoquera pas de sitôt. Je
le regrette pour nous, je m’en réjouis pour lui.
PIERRE VÉRON.
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— Evidemment ! c’est bien ma femme ; mais ça n’est pas ce qu’on appelle un
portrait parlant.
— Si vous y tenez beaucoup, on peut placer un phonographe par derrière 1
THÉÂTRES
GAITÉ : La Fée aux chèv-es.
On commençait à croire que l’inamovible Suzetlene
se déci ierait jamais à quitter la place.
Pendant deux cent cinquante soirées elle s’obstina
tant et si bien, que la charmante Mme Simon-Girard,
qui avait tenu le rôle sans une défaillance, devait être
à bout de forces, sinon de succès. Et c’est probable-
ment ce qui a donné l'idée de la remplacer par
Mlle Samé, ce qui a obligé de mettre sur i’affiche : Der-
nière représe talion, quand la salle était comble comme
aux premiers jours.
Puis eîte s'impatientait dans la coulisse, la Fée aux
clièvres dont i’altento se prolongeait ainsi. On nous a
doue offert cette pièce à grand spectacle — c’est la qua-
lification officielle — comme cadeau de Noël.
La Gaité paraît avoir entrepris de remplacer la féerie
ancienne par une nouvelle formule. Elle y a déjà réussi
à diverses reprises: avec la Cigale, par exemple ; ensuite
avec ce^ Voyage de S mette dont je parlais plus haut,
La Fée aux chèvres continue l’expérience.
Quatorze tableaux, des changements à vue, deux
ballets, des clowns, des décors à transformation, c’est à
dire tout ce qui alléchait dans une Biche aux bois ou
dans une Cendrillon.
En plus, l’attrait d’une partition inédite pour laquelle
| MM. Ferrier et Vanloo ont réclamé le concours de
M. Louis Varney, — d’une partition qui se chante tout
aussi consciencieusement qu’à l’Opéra-Gomique, s’il
vous plaît!
Le livret est quelque chose comme un conte vieux,
comme une opérette compliquée de sentiment, comme...
Ma foi: je renonce à la définition.
Ce qu’il y a de certain, c’est que le mélange a été
goûté par le public. Voilà l’important.
La gentille Yvette est une gardeuse de chèvres qui
doit, au dénouement, justifier le proverbe : « On a vu
des rois épouser des bergères. »
Ce n’est pas précisément un roi qui l’épousera, mais
un joli marquis, dont le tardif amour sera sa très mé-
ritée récompense.
Ce marquis, en effet, serait, sans l’intervention
d’Yvette, absolument dépouillé par un affreux vidame
qui lui fait signer toutes sortes de papiers perfides.
Heureusement, la Fée aux chèvres veille.
Avec le concours d’un sien oncle, comédien ambulant,
elle organise la défense du marquis, endosse les traves-
tissements les plus divers, roule le vidame, et amène un
dénouement conforme aux vœux des bonnes âmes.
Il ne îaut pas regarder tout cela au point de vue de
la stricte vraisemblance. Il ne faut pas demander à cet
imbroglio fantaisiste d’attacher ses scènes par de solides
ligatures.
Je vous ai prévenus qu’il s’agissait d’un conte.
Il a fait rire, grâce à la verve des interprètes. Il a
charmé, grâce à l’élégante variété d’une musique très
spontanément venue. Il a triomphé, grâce aux splen-
deurs d’une décoration tout à fait remarquable, grâce
surtout à un ballet absolument merveilleux.
On n’avait, depuis le Voyage dans la Lune et ses. mé-
morables hirondelles, rien vu d’une plus séduisante
originalité que tous les costumes de ce ballet qui suffi-
rait à faire courir la curiosité parisienne.
Et il y a bien d’autres attractions tout autour 1
Il y a la partition de M. VarDey, dont j’ai constaté
déjà l’aimab!c inspiration, et dont plusieurs morceaux
ont été bissés d’enthousiasme.
Il y a l’endiablé Vauthier, qui n’a jamais brûlé les
planches avec une ardeur plus incendiaire. Son mor-
ceau : Au galop ! est le nec plus ultra de la frénésie co-
mique.
Il y a Fugère aussi, d’une drôlerie très personnelle ;
Mlle'Gélaborl, M. Mesmaker...
Il y a enfin Mlle Samé, qui porte presque à elle seule
toute la responsabilité musicale.
Très intelligente, Mlle Samé. Son visage mobile où
éclatent, dans un sourire, la blancheur des dents et la
rougeur des lèvres, a d’hypnotisantes expressions.
C’est une possédée de l’art, et même, si j’avais un con-
seil à lui donner, ce serait de modérer un brin son tem-
pérament, qui l’entraîne à multiplier les gestes, à forcer
parfois les effets.
Abondance de conviction qui se calmera d’elle-mcme
lorsque cent représentations y auront passé.
Mlle Samé chante en virtuose, aucun obstacle n’ef-
fraie sa crânerie. Elle jongle victorieusement avec les
difficultés de la vocalise, et escalade les plus vertigineux
sommets.
Ce qui vaut mieux encore,_ c’est qu’elle sait détailler
avec sentiment une phrase émue.
Son succès a été très grand.
11 me reste à féliciter M. Debruyère, de qui l’intelli-
gente et artistique audace jette l’argent par les fenêtres
— pour qu’il rentre décuplé par la porte.
Allons! la Gaîté ne nous convoquera pas de sitôt. Je
le regrette pour nous, je m’en réjouis pour lui.
PIERRE VÉRON.