ACTUALITÉS
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— Pourquoi qu’on a choisi comme délégué sénatorial le père Rognesou ? C’est un
vieux filou...
— Oui, mais n'y a qu’li qu’a une voiture dans la commune.
AUTEURS ET CRITIQUES
M. Becque, l’auteur de la Parisienne, a l’inten-
tion d’intenter un procès à ce bon M. Sarcey, qui,
après avoir louangé sa comédie quand elle fut re-
présentée à la Renaissance, l’a quelque peu mal-
menée lors de la reprise du Théâtre-Français.
Nos confrères ont discuté l’incident... Nous n’y
reviendrons pas.
M. Becque n’est pas le seul auteur dramatique
trouvant extraordinaire que l’on éreinte ses ouvra-
ges; tous ceux qui écrivent pour le théâtre suppor-
tent difficilement la critique.
Parmi les hommes de talent comme M. Becque,
Barrière fut un de ceux dont l’épiderme était le plus
sensible aux critiques. Cet auteur nerveux ne trou-
vait jamais messieurs les chroniqueurs assez bien-
veillants pour lui ; même quand, dans un véritable
panégyrique, le journaliste se permettait de discuter
une scène ou une situation, ce brave Barrière deve-
nait furieux, et on savait qu’en ne jugeant pas ses
pièces excellentes on s’exposait, non pas à recevoir
du papier timbré, mais des témoins.
C’est ainsi qu’à la suite d’un article où Charles
Monselet blaguait, avec sa verve spirituelle et mor-
dante, le personnage de Desgenais, un journaliste
phraseur et faisant peu d’honneur à la presse qu’il
personnifiait, selon le malicieux chroniqueur, un
duel eut lieu.
En se rendant sur le terrain, par un temps af-
freux, le père de Mons Cupidon dit à ses amis :
— Je ne pardonnerai jamais à ce monsieur Bar-
rière de m’avoir fait lever d’aussi bonne heure 1
C’est également pendant ce duel que Monselet,
comme autrefois Sainte-Beuve, paraît-il, ouvrit son
parapluie, et, sur une observation de Barrière fu-
rieux, répondit avec son sourire calme :
— Vous êtes bon, vous ! Je veux bien être tué,
mais je ne veux pas être mouillé 1
Emile Augier lui-même, malgré son immense ta-
lent, était fort chatouilleux à l’endroit des critiques,
et lui aussi se battit avec le même Monselet, qui
s’était permis de ne pas trouvera son goût une de
ses comédies.
Les auteurs se plaignent de la sévérité des jour-
nalistes, pourtant bien indulgents auprès de ceux
d’autrefois; mais avant que la critique existât, le
public se montra souvent plus sévère que la
presse.
Que direz-vous de ces spectateurs qui faisaient
jadis imprimer à leurs frais et distribuer dans la
salle, pendant les représentations, des placards
injurieux sur les ouvrages qu’on y représentait?
Nous pouvons citer une de ces critiques, qui s’atta-
quait à un chef-d’œuvre, les Noces de Figaro, et
dont voici la conclusion :
Pour l'esprit de l’ouvrage, il est chez Brid’Oison.
Et quant à Figaro, le drôle à son patron
Si scandaleusement ressemble,
11 est si frappant qu’il fait peur...
Mais pour voir à la fin tous les vices ensemb
Le parterre en chorus a demandé l'auteur!
Beaumarchais sut le nom de celui qui l’avait si
fort maltraité — et en vers encore!... C’était un de
ses confrères et amis. Parbleu!... Mais l’auteur du
Barbier de Séville, quoi qu’il fût avocat, se garda
bien de faire un procès à ce critique amateur, et les
Noces de Figaro continuèrent à triompher. Le chef-
d’œuvre de Beaumarchais est resté au répertoire de
la Comédie-Française, et toutes les épigrammes
n’ont pu diminuer son succès.
A. Lemonnier.
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— Pourquoi qu’on a choisi comme délégué sénatorial le père Rognesou ? C’est un
vieux filou...
— Oui, mais n'y a qu’li qu’a une voiture dans la commune.
AUTEURS ET CRITIQUES
M. Becque, l’auteur de la Parisienne, a l’inten-
tion d’intenter un procès à ce bon M. Sarcey, qui,
après avoir louangé sa comédie quand elle fut re-
présentée à la Renaissance, l’a quelque peu mal-
menée lors de la reprise du Théâtre-Français.
Nos confrères ont discuté l’incident... Nous n’y
reviendrons pas.
M. Becque n’est pas le seul auteur dramatique
trouvant extraordinaire que l’on éreinte ses ouvra-
ges; tous ceux qui écrivent pour le théâtre suppor-
tent difficilement la critique.
Parmi les hommes de talent comme M. Becque,
Barrière fut un de ceux dont l’épiderme était le plus
sensible aux critiques. Cet auteur nerveux ne trou-
vait jamais messieurs les chroniqueurs assez bien-
veillants pour lui ; même quand, dans un véritable
panégyrique, le journaliste se permettait de discuter
une scène ou une situation, ce brave Barrière deve-
nait furieux, et on savait qu’en ne jugeant pas ses
pièces excellentes on s’exposait, non pas à recevoir
du papier timbré, mais des témoins.
C’est ainsi qu’à la suite d’un article où Charles
Monselet blaguait, avec sa verve spirituelle et mor-
dante, le personnage de Desgenais, un journaliste
phraseur et faisant peu d’honneur à la presse qu’il
personnifiait, selon le malicieux chroniqueur, un
duel eut lieu.
En se rendant sur le terrain, par un temps af-
freux, le père de Mons Cupidon dit à ses amis :
— Je ne pardonnerai jamais à ce monsieur Bar-
rière de m’avoir fait lever d’aussi bonne heure 1
C’est également pendant ce duel que Monselet,
comme autrefois Sainte-Beuve, paraît-il, ouvrit son
parapluie, et, sur une observation de Barrière fu-
rieux, répondit avec son sourire calme :
— Vous êtes bon, vous ! Je veux bien être tué,
mais je ne veux pas être mouillé 1
Emile Augier lui-même, malgré son immense ta-
lent, était fort chatouilleux à l’endroit des critiques,
et lui aussi se battit avec le même Monselet, qui
s’était permis de ne pas trouvera son goût une de
ses comédies.
Les auteurs se plaignent de la sévérité des jour-
nalistes, pourtant bien indulgents auprès de ceux
d’autrefois; mais avant que la critique existât, le
public se montra souvent plus sévère que la
presse.
Que direz-vous de ces spectateurs qui faisaient
jadis imprimer à leurs frais et distribuer dans la
salle, pendant les représentations, des placards
injurieux sur les ouvrages qu’on y représentait?
Nous pouvons citer une de ces critiques, qui s’atta-
quait à un chef-d’œuvre, les Noces de Figaro, et
dont voici la conclusion :
Pour l'esprit de l’ouvrage, il est chez Brid’Oison.
Et quant à Figaro, le drôle à son patron
Si scandaleusement ressemble,
11 est si frappant qu’il fait peur...
Mais pour voir à la fin tous les vices ensemb
Le parterre en chorus a demandé l'auteur!
Beaumarchais sut le nom de celui qui l’avait si
fort maltraité — et en vers encore!... C’était un de
ses confrères et amis. Parbleu!... Mais l’auteur du
Barbier de Séville, quoi qu’il fût avocat, se garda
bien de faire un procès à ce critique amateur, et les
Noces de Figaro continuèrent à triompher. Le chef-
d’œuvre de Beaumarchais est resté au répertoire de
la Comédie-Française, et toutes les épigrammes
n’ont pu diminuer son succès.
A. Lemonnier.