SOIXANTIÈME ANNEE
Prix du Numéro : 85 centime*
MERCREDI 1 JANVIER 1891
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 fr.
Six mois.. ». 36 —
Un an. 72 —
Ces abonnements partent des ior et 16 de chaque mois
DIRECTION
Politique- Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef
BUREAUX
£>E LA RÉDACTION ET DE ^ADMINISTRATION
Rue de la Victoire, 20
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 20 u'.
Six mois. 40 —*
Un an... 80 -
L'abonnement d'un an donne droit à la prime grai'^à
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE YÉttfiM
Rédacteur en Chef
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, fermier de la puaLÆMi
92, Rue Richelieu
LE CHARIVARI
BULLETIN POLITIQUE
Cette fois, le pauvre général de Saint-Brelade pa-
raît jeter, comme on dit, le manche après la cognée.
Il semble ne plus compter que sur un miracle —
auquel il ne croit pas — pour ressusciter le boulan-
gisme. Ou plutôt, c’est l’attitude d’un homme qui,
sentant qu’il s’est fourré dans un guêpier sans issue,
n’a pas le courage de dire une bonne fois :
— J’ai été dupé, aveuglé ; qu’on me flanqua la
paix. Je ne demande plus qu’à rester dans mon trou,
oublié, oubliant.
Au lieu de cet aveu dépouillé d’artifice, le solitaire
de Jersey patauge dans des phraséologies épisto-
laires qui n’ont ni queue, ni tête , ni sens.
Il écrivait encore, l’autre jour, à un journal :
« Je crois qu’il n’y a rien à attendre de ce que l’on
appelle l’action parlementaire, dont je me préoccupe
fort peu. Pourtant, je ne veux pas décourager ceux
de me.' amis qui croient en elle ; et, sans partager
leurs illusions, je ne pourrais que les féliciter s’ils
obtenaient par elle quelques-unes des grandes ré-
formes, quelques-uns des progrès qui sont à accom-
plir. C’est pourquoi je songe d’autant moins à leur
donner une direction politique qu’ils ont reçu de
leurs électeurs des mandats très différents, souvent
peu conciliables, et que je ne saurais choisir un
leader, qu’ils ont à choisir eux-mêmes, s’il leur con-
vient, d’en avoir un.
» N’attendant rien de l’action parlementaire, je
suis bien résolu à ne recommander personne aux
électeurs, et je suis d’avis que l’abstention est en-
core la manifestation la plus significative qu'ils puis-
sent faire contre le parlementarisme chaque fois
que, à raison des circonstances ou du caractère spé-
cial d’une candidature, ils ne pourront manifester
plus nettement et plus énergiquement leurs senti-
ments et leur volonté. »
Ce désaveu du Deroulèdisme achèvera la déroute,
la mise en poudre du parti.
Quant aux idées politiques du délaissé, impossible
de trouver l’ombre d’un sens dans un amphigouri
de banalités tel que celui-ci :
« La république que je voulais travailler à établir
en France et qui ressemble, par beaucoup de points,
à son aînée la république des Etats-Unis d’Amérique,
est celle dans laquelle la liberté serait vraiment res-
pectée, dans laquelle le peuple aurait la plus grande
part de pouvoir qu’il puisse exercer directement et
qui serait ouverte à tous ceux qui peuvent, par
leurs talents ou leur mérite, rendre des services à
la nation, mais qui ne tolérerait les privilèges pour
aucun parti, aucune caste prétendant à la domina-
tion ou à l’exploitation du pays.
» J’ai, à cet égard, des opinions et pas de système ;
je n’en veux adopter aucun, parce que je crois qu’au-
cun ne peut satisfaire aux nécessités sociales ac-
tuelles; et c’est pour connaître les volontés et les
besoins de la démocratie que je veux rester en com-
munication directe avec ceux qui veulent bien me
conserver leur sympathie et leur confiance, dans le
peuple comme parmi ses mandataires. »
Ci-gît... De profundis !...
Inutile de s’occuper davantage d’un homme qui,
évidemment, enfile de ces phrases creuses pour dé-
goûter les derniers abusés et arriver à ce résultat
souhaité : s’engloutir dans l’indifférence.
Voilà M. de Freycinet re-sénateur. Voilà M. de
Freycinet académicien. Voilà M. de Freycinet au
comble de tous ses vœux.
C’est le moment psychologique des revers de mé-
daille.
Il ne peut plus que descendre.
Ce ne sera peut-être pas bien long.
La Chambre, j’en ai comme une vague idée, ne
laissera pas s’achever l’année qui débute sans s’êlre
donné la distraction d’une petite crise ministérielle.
Nous ne saurions féliciter la République améri-
caine de ses derniers exploits.
Massacrer ces pauvres Sioux après les avoir dépos-
sédés, pressurés, tyrannisés, c’est d’un médiocre
prestige.
La civilisation a toujours eu ce défaut de vouloir
policerles barbares en se montrant infiniment plus
barbare qu’eux.
Celte civilisation a été particulièrement rapace,
félonne et répugnante à l’égard des Indiens dont elle
se propose d’achever l’extermination à bref délai.
C’est le droit du plus fort dans sa plus cynique
brutalité.
Tiens ! moi qui ai oublié de vous signaler un nouvel
accès de fureur du député-évêque Freppel.
Cette fois, c’est l’évêque qui a tempêté à l’occa-
sion des réceptions du 1er janvier.
Bah ! à une rengaine près. On ne les compte plus,
avec le personnage.
Pierre Véron.
--—--—
NUIT ET JOUR
ÉTUDES PARISIENNES
LA NEUVAINË
Là-bas, là-bas, entre deux églises dont l’une est
dédiée à saint Etienne et l’autre restituée au culte
laïque.
Pas de chance, la pauvre sainte Geneviève 1 Elle
n’a pu avoir son édifice à elle. Il lui faut se con-
tenter d’un coin chez autrui, où l’on a relégué ce qui
passe pour être son tombeau : — un mausolée affreu-
sement enluminé et parfaitement vide de débris
authentiques.
Ce qui n’empêche pas, tous les ans, la célébration
de la fameuse neuvaine — qui a si peu porté chance
à l’archevêque Sibour.
J’ai voulu voir la chose même d’après nature. Cela
paraît manquer absolument d’entrain, malgré les
réclames des intéressés.
La file des baraques en toile, qui d’ordinaire gar-
nissent tout un côté de la rue Soufflot, s’arrête
devant l’École de droit. Encore y a-t-il des trous.
Ce qu’on vend dans ces plein-vent? Toujours la
même chose : des bagues en argent ou en cornaline
qu’on fera, moyennant offrande, frotter contre la
tombe apocryphe, des carrés de flanelle connus sous
le sobriquet de scapulaires, des statuettes en carton-
pâte ou en stuc de pacotille.
La laideur dans la superstition.
On a ajouté à ces bibelots traditionnels des ronds
de serviette qui m’ont rendu rêveur.
Les fait-on toucher aussi pour obtenir un appétit
soutenu ou la guérison des dyspepsies flatulentes?...
(\i/*
Le public est curieux à observer.
De cet omnibus rustique dégringole toute une
campagnarde poussée. De la piété suburbaine qui a
fait du pèlerinage un pique-nique assez copieuse-
ment arrosé, si Ton en juge par l’émèchement de
quelques types à la Groseillon.
Ils ont besoin de mettre de l’eau bénite dans leur
vin.
Par contre, un certain nombre de douairières des-
cendent de leurs coupés armoriés.
Elles s’avancent, évitant soigneusement le contact
des coules populaires. Vont-elles demander à Gene-
viève le rétablissement de leur bonne monarchie?
Si oui, il faut avouer qu’elles ont l’espoir tenace,
après tant de prières dédaignées.
Par ici, une bobonne avec son troupier complé-
mentaire.
La bobonne guigne une bague. Le pioupiou dé-
guise une grimace quand la marchande dit :
— C’est vingt-cinq sous.
Mais comment refuser ce gage d’un amour inopi»
nément sanctifié?
Dumanet se fouille... Il aurait mieux aimé, évi-
demment, payer un verre.
s\in
i/I\*
Un couple conjugal devant cet autre étalage.
Un couple à trois ; car il y a là aussi l’ami de la
maison.
Très drôle même, le but de piété de la prome-
nade, rapproché des œillades que Madame échange
avec l’ami, tandis que sou mari est absorbé par la
contemplation d’un vase de fleurs moisissant sous
son globe démodé.
Est-ce qu’on demandera aussi à la sainte de bénir
cette union à trois têtes ?
Çà et là, des camelots offrant des marchandise^
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ADOLPHE EWIG, fermier de la puaLÆMi
92, Rue Richelieu
LE CHARIVARI
BULLETIN POLITIQUE
Cette fois, le pauvre général de Saint-Brelade pa-
raît jeter, comme on dit, le manche après la cognée.
Il semble ne plus compter que sur un miracle —
auquel il ne croit pas — pour ressusciter le boulan-
gisme. Ou plutôt, c’est l’attitude d’un homme qui,
sentant qu’il s’est fourré dans un guêpier sans issue,
n’a pas le courage de dire une bonne fois :
— J’ai été dupé, aveuglé ; qu’on me flanqua la
paix. Je ne demande plus qu’à rester dans mon trou,
oublié, oubliant.
Au lieu de cet aveu dépouillé d’artifice, le solitaire
de Jersey patauge dans des phraséologies épisto-
laires qui n’ont ni queue, ni tête , ni sens.
Il écrivait encore, l’autre jour, à un journal :
« Je crois qu’il n’y a rien à attendre de ce que l’on
appelle l’action parlementaire, dont je me préoccupe
fort peu. Pourtant, je ne veux pas décourager ceux
de me.' amis qui croient en elle ; et, sans partager
leurs illusions, je ne pourrais que les féliciter s’ils
obtenaient par elle quelques-unes des grandes ré-
formes, quelques-uns des progrès qui sont à accom-
plir. C’est pourquoi je songe d’autant moins à leur
donner une direction politique qu’ils ont reçu de
leurs électeurs des mandats très différents, souvent
peu conciliables, et que je ne saurais choisir un
leader, qu’ils ont à choisir eux-mêmes, s’il leur con-
vient, d’en avoir un.
» N’attendant rien de l’action parlementaire, je
suis bien résolu à ne recommander personne aux
électeurs, et je suis d’avis que l’abstention est en-
core la manifestation la plus significative qu'ils puis-
sent faire contre le parlementarisme chaque fois
que, à raison des circonstances ou du caractère spé-
cial d’une candidature, ils ne pourront manifester
plus nettement et plus énergiquement leurs senti-
ments et leur volonté. »
Ce désaveu du Deroulèdisme achèvera la déroute,
la mise en poudre du parti.
Quant aux idées politiques du délaissé, impossible
de trouver l’ombre d’un sens dans un amphigouri
de banalités tel que celui-ci :
« La république que je voulais travailler à établir
en France et qui ressemble, par beaucoup de points,
à son aînée la république des Etats-Unis d’Amérique,
est celle dans laquelle la liberté serait vraiment res-
pectée, dans laquelle le peuple aurait la plus grande
part de pouvoir qu’il puisse exercer directement et
qui serait ouverte à tous ceux qui peuvent, par
leurs talents ou leur mérite, rendre des services à
la nation, mais qui ne tolérerait les privilèges pour
aucun parti, aucune caste prétendant à la domina-
tion ou à l’exploitation du pays.
» J’ai, à cet égard, des opinions et pas de système ;
je n’en veux adopter aucun, parce que je crois qu’au-
cun ne peut satisfaire aux nécessités sociales ac-
tuelles; et c’est pour connaître les volontés et les
besoins de la démocratie que je veux rester en com-
munication directe avec ceux qui veulent bien me
conserver leur sympathie et leur confiance, dans le
peuple comme parmi ses mandataires. »
Ci-gît... De profundis !...
Inutile de s’occuper davantage d’un homme qui,
évidemment, enfile de ces phrases creuses pour dé-
goûter les derniers abusés et arriver à ce résultat
souhaité : s’engloutir dans l’indifférence.
Voilà M. de Freycinet re-sénateur. Voilà M. de
Freycinet académicien. Voilà M. de Freycinet au
comble de tous ses vœux.
C’est le moment psychologique des revers de mé-
daille.
Il ne peut plus que descendre.
Ce ne sera peut-être pas bien long.
La Chambre, j’en ai comme une vague idée, ne
laissera pas s’achever l’année qui débute sans s’êlre
donné la distraction d’une petite crise ministérielle.
Nous ne saurions féliciter la République améri-
caine de ses derniers exploits.
Massacrer ces pauvres Sioux après les avoir dépos-
sédés, pressurés, tyrannisés, c’est d’un médiocre
prestige.
La civilisation a toujours eu ce défaut de vouloir
policerles barbares en se montrant infiniment plus
barbare qu’eux.
Celte civilisation a été particulièrement rapace,
félonne et répugnante à l’égard des Indiens dont elle
se propose d’achever l’extermination à bref délai.
C’est le droit du plus fort dans sa plus cynique
brutalité.
Tiens ! moi qui ai oublié de vous signaler un nouvel
accès de fureur du député-évêque Freppel.
Cette fois, c’est l’évêque qui a tempêté à l’occa-
sion des réceptions du 1er janvier.
Bah ! à une rengaine près. On ne les compte plus,
avec le personnage.
Pierre Véron.
--—--—
NUIT ET JOUR
ÉTUDES PARISIENNES
LA NEUVAINË
Là-bas, là-bas, entre deux églises dont l’une est
dédiée à saint Etienne et l’autre restituée au culte
laïque.
Pas de chance, la pauvre sainte Geneviève 1 Elle
n’a pu avoir son édifice à elle. Il lui faut se con-
tenter d’un coin chez autrui, où l’on a relégué ce qui
passe pour être son tombeau : — un mausolée affreu-
sement enluminé et parfaitement vide de débris
authentiques.
Ce qui n’empêche pas, tous les ans, la célébration
de la fameuse neuvaine — qui a si peu porté chance
à l’archevêque Sibour.
J’ai voulu voir la chose même d’après nature. Cela
paraît manquer absolument d’entrain, malgré les
réclames des intéressés.
La file des baraques en toile, qui d’ordinaire gar-
nissent tout un côté de la rue Soufflot, s’arrête
devant l’École de droit. Encore y a-t-il des trous.
Ce qu’on vend dans ces plein-vent? Toujours la
même chose : des bagues en argent ou en cornaline
qu’on fera, moyennant offrande, frotter contre la
tombe apocryphe, des carrés de flanelle connus sous
le sobriquet de scapulaires, des statuettes en carton-
pâte ou en stuc de pacotille.
La laideur dans la superstition.
On a ajouté à ces bibelots traditionnels des ronds
de serviette qui m’ont rendu rêveur.
Les fait-on toucher aussi pour obtenir un appétit
soutenu ou la guérison des dyspepsies flatulentes?...
(\i/*
Le public est curieux à observer.
De cet omnibus rustique dégringole toute une
campagnarde poussée. De la piété suburbaine qui a
fait du pèlerinage un pique-nique assez copieuse-
ment arrosé, si Ton en juge par l’émèchement de
quelques types à la Groseillon.
Ils ont besoin de mettre de l’eau bénite dans leur
vin.
Par contre, un certain nombre de douairières des-
cendent de leurs coupés armoriés.
Elles s’avancent, évitant soigneusement le contact
des coules populaires. Vont-elles demander à Gene-
viève le rétablissement de leur bonne monarchie?
Si oui, il faut avouer qu’elles ont l’espoir tenace,
après tant de prières dédaignées.
Par ici, une bobonne avec son troupier complé-
mentaire.
La bobonne guigne une bague. Le pioupiou dé-
guise une grimace quand la marchande dit :
— C’est vingt-cinq sous.
Mais comment refuser ce gage d’un amour inopi»
nément sanctifié?
Dumanet se fouille... Il aurait mieux aimé, évi-
demment, payer un verre.
s\in
i/I\*
Un couple conjugal devant cet autre étalage.
Un couple à trois ; car il y a là aussi l’ami de la
maison.
Très drôle même, le but de piété de la prome-
nade, rapproché des œillades que Madame échange
avec l’ami, tandis que sou mari est absorbé par la
contemplation d’un vase de fleurs moisissant sous
son globe démodé.
Est-ce qu’on demandera aussi à la sainte de bénir
cette union à trois têtes ?
Çà et là, des camelots offrant des marchandise^