SOIXANTIÈME ANNÉE
Pris du Numéro S 25 centimes
DIMANCHE H JANVIER 1891
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PARTS
Trois mois.
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Politique. Littéraire et Artistique
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DE LA RÉDACTION ET DR L’ADMINIS TKATION
Rue de la Victoire, 20
18 IV.
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LE CHARIVARI
Les souscripteurs dont l'abonnement ex-
pire le 15 Janvier sont priés de le renou-
veler immédiatement s’ils ne veulent pas
éprouver d’interruption dans l’envoi du
journal.
BULLETIN POLITIQUE
Il est temps que les Chambres reviennent. Les
journaux meurent d’inanition.
S’il n’y avait pas eu le procès Fouroux pour
opérer une diversion aimable, que seraient de-
venus les pauvres lecteurs?
Il suggère, du reste, ce procès Fouroux, de sin-
gulières réflexions sur les mœurs administratives
et municipales de notre cher pays.
Voilà un maire qui, au su et au vu de tous, car
il ne se cachait guère, mène une vie absolument
scandaleuse. Il a une maîtresse qui a plusieurs
fois reproduit sa race; ça ne lui suffit pas. Il en-
tretient des relations avec une femme mariée, et
l’adultère se complique de deux avortements.
Cela dans une ville de province où tout se sait.
Et l’autorité soi-disant vigilante ferme complai-
samment les yeux, ne prend pas même la peine
de donner un avertissement officieux à ce joyeux
cascadeur. On laisse éclater un abominable scan-
dale par lequel la République se trouve écla-
boussée.
Ft quels détails d’un comique sinistre! Quand
ce maire a besoin de tenir un petit conciliabule
abortif, la scène se passe dans le salon d’honneur
de la mairie, dans le salon réservé d’ordinaire
aux visites de môsieur le préfet.
Jamais les plus facétieux librettistes n’inven-
tèrent, pour leurs opérettes, de combinaisons
plus abracadabrantes.
M. Constans devrait bien profiter de l’occasion
pour adresser à ses représentants quelques
instructions topiques, où il les engagerait à ne
pas être toujours les derniers renseignés sur des
faits qu’ils devraient connaître avant tout le
monde; car, en vérité, il y a des cas où l’igno-
rance, poussée à cet excès, prend des airs de
complicité.
Mardi, comparaîtra devant la9e chambre M. Gré-
goire. Il est venu se constituer prisonnier pour
réclamer sa part de responsabilité dans l’évasion
de Padlewski.
L’audience sera présidée comme devant par
M. Toutée.
Il y a gros à parier que, cette fois, celui-ci
apportera dans son interrogatoire un peu moins
d’âpreté. Le système de la véhémence ne lui a pas
très bien réussi
Ce sera bénéfice pour tout le monde, s’il revient
au système de l’impartialité calme et digne.
Pierre Véron.
CÉLINE MONTALAND
C’est encore pour une tombe que j’improvise
une statuette. La mort frappe dur.
Céline Montaland est un des rares exemples
qui infligèrent un démenti à la règle générale des
précocités stériles. Les enfants prodiges, au théâ-
tre, sont presque toujours des phénomènes desti-
nés à l’avortement final. Quand ils ont tant d’es-
prit de si bonne heure, leur renommée vit peu.
A cinq ans, la petite Céline était déjà sur les
planches. Il paraît qu’elle faisait merveille en
compagnie de Gras s SI. Ce qui ne présageait guère
qu’elle achèverait sa carrière comme sociétaire
de la Comédie-Française.
Que de zigzags entre le point de départ et le
point d’arrivée! Que d’années pour aller d’un
bout à l’autre de la galerie Montpellier!
Céline Montaland joue un peu partout. De la
Porte-Saint-Martin, elle passe au Vaudeville, du
Vaudeville à l’Odéon, de l’Odéon en Amérique et
à Saint-Pétersbourg.
Partout son sourire emperlé et ses beaux yeux
lui conquièrent les sympathies. File a une écla-
tante beauté qui est déjà la moitié du succès à
elle seule.
Les aimées venues, cette beauté devait fatale-
ment laisser de son prestige; mais, par un effet
d’heureux équilibre, le talent gagnait ce que les
charmes printaniers devaient perdre.
Depuis son entrée à la Comédie-Française,
Montaland avait conquis une autorité croissante.
File ne devait jamais être un grand premier rôle.
Mais, au second plan, elle avait le charme et le
tact.
Un bel avenir semblait s’ouvrir encore devant
elle, Quarante-sept ans seulement, c’est-à-dire
l’âge du début pour les rôles de mère.
Par une ironie cruelle du destin, c’est en rem-
plissant son rôle de mère véritable qu’elle a été
frappée.
Je me rappelais tout à l’heure les beaux vers
de Victor Hugo à propos d’une autre maternité
mortelle :
Pauvre femme! Son lait à sa tète est monté...
Ft la conclusion douloureuse du poète :
. Doux lait! liqueur amère.
Fait pour nourrir f enfant et pour tuer la mère !
Les soins qui ont rendu la vie à son enfant ont
aussi iué la pauvre Montaland. File avait con-
tracté le germe de la rougeole; le mal est rentré
et s’est jeté sur le poumon. Fn quelques jours
tout a été fini.
Quoique son entrée à la Comédie-Française eût
été trop tardive, car elle y fut admise en 18b4,
elle avait eu le temps d’y prendre pied.
La Comédie-Française devrait bien se presser
un peu plus pour ses annexions. File paraît avoir
une prédilection excessive pour les couchers de
soleil.
Montaland et Samary, parties à peu de distance,
laissent deux vides difficiles à combler dans la
troupe déjà dégarnie.
Une rieuse et une sourieuse! On trouvera ma-
laisément l’équivalent de ces charmeuses que la
nature avait faites toutes rayonnantes.
Ce qui, par le contraste, fait paraître encore
plus sombre le deuil qu’elles laissent après elles.
FABRICE.
L’AVORTEÜR EN CHEF
L’avortement est à l’ordre du jour.
Les uns plaident pour, les autres contre.
L’Etat, ou le gouvernement, ou la justice,—trois
têtes sous un même bonnet, — tranquille comme
Baptiste, se contente de condamner, sans songer
à se demander si une grosse part de responsabi-
lité morale ne lui revient pas dans la plupart des
cas de « suppression d’enfant ».
Cette part de responsabilité, nous l’avons nette-
ment établie ici même, dans un précédent ar-
ticle.
De nouveaux renseignements nous permettent
de compléter notre travail.
Non seulement l’Etat est, le plus souvent, com-
plice dans les crimes d’infanticide, mais il lui ar-
rive même parfois d’être « auteur principal ».
Oh! sans le vouloir, sans doute; peut-être même
sans le savoir!... L’Etat entrant dans la catégorie
des criminels que les aliénistes désignent par
l’épithète d’inconscient.
L’Etat, cela est incontestable, a le plus grand
intérêt à ce que le nombre des enfants soit con-
sidérable. Comme l’ogre du Petit-Poucet, il aime
à voir, et avoir beaucoup de chair fraîche dans
son garde-manger. L’ogre susdit aurait évidem-
ment massacré sans pitié le loup qui se serait
permis de goûter à un plat auquel il n’était pas
invité, et qui aurait ainsi compromis le dîner du
lendemain. On comprend donc parfaitement,
nous le répétons, que l’Etat tape ferme et dur
sur les faiseurs et faiseuses d’anges, qui lui volent
son bien en herbe en lui retirant le futur contri-
buable des dents.
Mais l’ogre, du moins, engraissait sa volaille
humaine. Il la nourrissait, il la soignait, il la cou-
vait jusqu’à ce qu’elle fût à point. L’Etat veut
bien qu’on travaille pour lui, il l’exige même,
mais si on lui demande quelque chose, si peu que
ce soit en échange, bernique, il ne peut pas.
L’Etat est une boutique où l’on trouve toujours
quelqu’un pour recevoir, mais où il n’y a jamais
personne pour donner, ni même pour rendre.
C’est tellement vrai que, dans les administra-
tions qui dépendent immédiatement de l’Etat et
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Il est temps que les Chambres reviennent. Les
journaux meurent d’inanition.
S’il n’y avait pas eu le procès Fouroux pour
opérer une diversion aimable, que seraient de-
venus les pauvres lecteurs?
Il suggère, du reste, ce procès Fouroux, de sin-
gulières réflexions sur les mœurs administratives
et municipales de notre cher pays.
Voilà un maire qui, au su et au vu de tous, car
il ne se cachait guère, mène une vie absolument
scandaleuse. Il a une maîtresse qui a plusieurs
fois reproduit sa race; ça ne lui suffit pas. Il en-
tretient des relations avec une femme mariée, et
l’adultère se complique de deux avortements.
Cela dans une ville de province où tout se sait.
Et l’autorité soi-disant vigilante ferme complai-
samment les yeux, ne prend pas même la peine
de donner un avertissement officieux à ce joyeux
cascadeur. On laisse éclater un abominable scan-
dale par lequel la République se trouve écla-
boussée.
Ft quels détails d’un comique sinistre! Quand
ce maire a besoin de tenir un petit conciliabule
abortif, la scène se passe dans le salon d’honneur
de la mairie, dans le salon réservé d’ordinaire
aux visites de môsieur le préfet.
Jamais les plus facétieux librettistes n’inven-
tèrent, pour leurs opérettes, de combinaisons
plus abracadabrantes.
M. Constans devrait bien profiter de l’occasion
pour adresser à ses représentants quelques
instructions topiques, où il les engagerait à ne
pas être toujours les derniers renseignés sur des
faits qu’ils devraient connaître avant tout le
monde; car, en vérité, il y a des cas où l’igno-
rance, poussée à cet excès, prend des airs de
complicité.
Mardi, comparaîtra devant la9e chambre M. Gré-
goire. Il est venu se constituer prisonnier pour
réclamer sa part de responsabilité dans l’évasion
de Padlewski.
L’audience sera présidée comme devant par
M. Toutée.
Il y a gros à parier que, cette fois, celui-ci
apportera dans son interrogatoire un peu moins
d’âpreté. Le système de la véhémence ne lui a pas
très bien réussi
Ce sera bénéfice pour tout le monde, s’il revient
au système de l’impartialité calme et digne.
Pierre Véron.
CÉLINE MONTALAND
C’est encore pour une tombe que j’improvise
une statuette. La mort frappe dur.
Céline Montaland est un des rares exemples
qui infligèrent un démenti à la règle générale des
précocités stériles. Les enfants prodiges, au théâ-
tre, sont presque toujours des phénomènes desti-
nés à l’avortement final. Quand ils ont tant d’es-
prit de si bonne heure, leur renommée vit peu.
A cinq ans, la petite Céline était déjà sur les
planches. Il paraît qu’elle faisait merveille en
compagnie de Gras s SI. Ce qui ne présageait guère
qu’elle achèverait sa carrière comme sociétaire
de la Comédie-Française.
Que de zigzags entre le point de départ et le
point d’arrivée! Que d’années pour aller d’un
bout à l’autre de la galerie Montpellier!
Céline Montaland joue un peu partout. De la
Porte-Saint-Martin, elle passe au Vaudeville, du
Vaudeville à l’Odéon, de l’Odéon en Amérique et
à Saint-Pétersbourg.
Partout son sourire emperlé et ses beaux yeux
lui conquièrent les sympathies. File a une écla-
tante beauté qui est déjà la moitié du succès à
elle seule.
Les aimées venues, cette beauté devait fatale-
ment laisser de son prestige; mais, par un effet
d’heureux équilibre, le talent gagnait ce que les
charmes printaniers devaient perdre.
Depuis son entrée à la Comédie-Française,
Montaland avait conquis une autorité croissante.
File ne devait jamais être un grand premier rôle.
Mais, au second plan, elle avait le charme et le
tact.
Un bel avenir semblait s’ouvrir encore devant
elle, Quarante-sept ans seulement, c’est-à-dire
l’âge du début pour les rôles de mère.
Par une ironie cruelle du destin, c’est en rem-
plissant son rôle de mère véritable qu’elle a été
frappée.
Je me rappelais tout à l’heure les beaux vers
de Victor Hugo à propos d’une autre maternité
mortelle :
Pauvre femme! Son lait à sa tète est monté...
Ft la conclusion douloureuse du poète :
. Doux lait! liqueur amère.
Fait pour nourrir f enfant et pour tuer la mère !
Les soins qui ont rendu la vie à son enfant ont
aussi iué la pauvre Montaland. File avait con-
tracté le germe de la rougeole; le mal est rentré
et s’est jeté sur le poumon. Fn quelques jours
tout a été fini.
Quoique son entrée à la Comédie-Française eût
été trop tardive, car elle y fut admise en 18b4,
elle avait eu le temps d’y prendre pied.
La Comédie-Française devrait bien se presser
un peu plus pour ses annexions. File paraît avoir
une prédilection excessive pour les couchers de
soleil.
Montaland et Samary, parties à peu de distance,
laissent deux vides difficiles à combler dans la
troupe déjà dégarnie.
Une rieuse et une sourieuse! On trouvera ma-
laisément l’équivalent de ces charmeuses que la
nature avait faites toutes rayonnantes.
Ce qui, par le contraste, fait paraître encore
plus sombre le deuil qu’elles laissent après elles.
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Les uns plaident pour, les autres contre.
L’Etat, ou le gouvernement, ou la justice,—trois
têtes sous un même bonnet, — tranquille comme
Baptiste, se contente de condamner, sans songer
à se demander si une grosse part de responsabi-
lité morale ne lui revient pas dans la plupart des
cas de « suppression d’enfant ».
Cette part de responsabilité, nous l’avons nette-
ment établie ici même, dans un précédent ar-
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De nouveaux renseignements nous permettent
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Non seulement l’Etat est, le plus souvent, com-
plice dans les crimes d’infanticide, mais il lui ar-
rive même parfois d’être « auteur principal ».
Oh! sans le vouloir, sans doute; peut-être même
sans le savoir!... L’Etat entrant dans la catégorie
des criminels que les aliénistes désignent par
l’épithète d’inconscient.
L’Etat, cela est incontestable, a le plus grand
intérêt à ce que le nombre des enfants soit con-
sidérable. Comme l’ogre du Petit-Poucet, il aime
à voir, et avoir beaucoup de chair fraîche dans
son garde-manger. L’ogre susdit aurait évidem-
ment massacré sans pitié le loup qui se serait
permis de goûter à un plat auquel il n’était pas
invité, et qui aurait ainsi compromis le dîner du
lendemain. On comprend donc parfaitement,
nous le répétons, que l’Etat tape ferme et dur
sur les faiseurs et faiseuses d’anges, qui lui volent
son bien en herbe en lui retirant le futur contri-
buable des dents.
Mais l’ogre, du moins, engraissait sa volaille
humaine. Il la nourrissait, il la soignait, il la cou-
vait jusqu’à ce qu’elle fût à point. L’Etat veut
bien qu’on travaille pour lui, il l’exige même,
mais si on lui demande quelque chose, si peu que
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