ACTUALITÉS
t 1
— Vous tirez comme un pied, mon garçon! Vous n’êtes pas fichu de tuer un
homme à cinquante pas !
— On ne m’a pas appris à les tuer de si loin que ça, mon capitaine: je suis étudiant
en médecine!
DERRIÈRE UN FAUTEUIL
Quinze jours ne sont pas écoulés depuis la mort
d’Octave Feuillet, qu’un essaim de candidats bour-
donne déjà derrière son fauteuil de l’Académie.
Cette inconvenance s’était déjà produite à la mort
d’Emile Augier; elle se renouvelle; la voilà dans les
mœurs.
Le jour n’est peut-être pas loin où, avant de dispa-
raître, les académiciens mettront eux-mêmes leur
fauteuil à l’encan.
Pour cette fois, les compétitions ont été si pres-
santes, qu’avis a dû être donné « que les lettres de
candidature ne seraient pas reçues au secrétariat
avant le 29 janvier ».
Ce qui laisse à penser que M. Camille Doucet a été
scandalisé de l’envoi de quelques-unes.
Pauvre Feuillet! Du haut du ciel, ta demeure der-
nière, que peux-tu penser de cet empressement à
s’asseoir à ta place à peine refroidie!
Certes, parmi les postulants mis en vedette dans
les journaux, nous ne prétendons accuser personne.
M. Thureau-Dangin a eu trop de voix, la dernière
fois, pour se risquer à blesser la Compagnie par une
précipitation de mauvais goût.
M. Brunetière fait des phrases trop longues pour
avoir eu le temps d’écrire.sa lettre de candidature.
M. Pierre Loti connaît trop la discipline militaire
pour avoir osé se porter officiellement candidat
avant de savoir si, oui ou non, le ministre de la ma-
rine se mettra sur les rangs.
Quant à M. Zola, nous avons nos raisons pour
affirmer qu’il attendra le délai réglementaire.
La lettre n’est qu’une simple formalité. 11 le sait
mieux que personne. Aussi a-t-il pensé que, dans
l’intérêt de son élection, il devait plutôt se créer un
courant d’opinion.
Ce qu’il s’est empressé de faire, en se laissant in-
terviewer par un, deux, trois reporters.
Voici, en résumé, ce que le maître a dit à ses dis-
ciples pour justifier une succession qu’il espère,
mais qui paraît étrange aux autres :
« Vous savez la campagne que j’ai menée naguère
contre l’Académie et contre les académiciens. Il en
est quelques-uns que j’ai vivement étrillés. Eh bien,
parmi les sept ou huit volumes de critique que j’ai
publiés, je ne me souviens pas d’une attaque contre
Octave Feuillet. C’est, à coup sûr, un de ceux que
j’ai épargnés. Je ne serais donc point embarrassé
de faire son éloge. »
Je ne sais si vous vous rendez compte de l’habileté
que contient cette déclaration. Mais, en évoquant en
moi tout un monde d’arrière-pensées et de sous-
entendus, elle me révèle un nouveau Zola.
Comment! voilà un réaliste qui débute dans les
lettres par une série de critiques, Mes haines, battant
en brèche l’idéalisme en art, les conventions, le sen-
timental, le romanesque, et pas un mot de colère ne
s’échappe de sa plume contre Feuillet, le doux Feuil-
let, le « Musset des familles »!
Mais qui donc, plus que Feuillet, devait assumer
les haines du père des Rougon-Macquart ? Cherchez,
dans les modernes, deux tempéraments plus irré-
conciliables. Vous ne les trouverez pas.
Et notez que, comme le dit très bien M. Zola à
ses reporters, « sous le second Empire, Octave
Feuillet était le plus lu des romanciers». C’était alors
le roi des romanciers, comme l’écrivain de la Terre
en est aujourd’hui le financier. Feuillet incarnait le
genre académique.
Et l’auteur de Mes haines ne l’a pas étrillé! Et il ne
serait pas embarrassé de faire demain son éloge ! Et
il se voit déjà assis sans remords dans son fauteuil !
O ma tète ! O ma tète !
Après tout, il y a peut-être de la naïveté à s’étonner
de pareille inconséquence. Sans pouvoir affirmer
qu’en daubant l’Académie M. Zola pensait en même
temps à y entrer un jour, il est permis d’insinuer
qu’en épargnant l’académique Feuillet, le seul Feuil-
let, il se gardait à carreau, comme disent lesjoueurs.
Mais ce sera la précaution inutile, et, cette fois en*
core* il y restera sur le carreau.
Mario Prax.
t 1
— Vous tirez comme un pied, mon garçon! Vous n’êtes pas fichu de tuer un
homme à cinquante pas !
— On ne m’a pas appris à les tuer de si loin que ça, mon capitaine: je suis étudiant
en médecine!
DERRIÈRE UN FAUTEUIL
Quinze jours ne sont pas écoulés depuis la mort
d’Octave Feuillet, qu’un essaim de candidats bour-
donne déjà derrière son fauteuil de l’Académie.
Cette inconvenance s’était déjà produite à la mort
d’Emile Augier; elle se renouvelle; la voilà dans les
mœurs.
Le jour n’est peut-être pas loin où, avant de dispa-
raître, les académiciens mettront eux-mêmes leur
fauteuil à l’encan.
Pour cette fois, les compétitions ont été si pres-
santes, qu’avis a dû être donné « que les lettres de
candidature ne seraient pas reçues au secrétariat
avant le 29 janvier ».
Ce qui laisse à penser que M. Camille Doucet a été
scandalisé de l’envoi de quelques-unes.
Pauvre Feuillet! Du haut du ciel, ta demeure der-
nière, que peux-tu penser de cet empressement à
s’asseoir à ta place à peine refroidie!
Certes, parmi les postulants mis en vedette dans
les journaux, nous ne prétendons accuser personne.
M. Thureau-Dangin a eu trop de voix, la dernière
fois, pour se risquer à blesser la Compagnie par une
précipitation de mauvais goût.
M. Brunetière fait des phrases trop longues pour
avoir eu le temps d’écrire.sa lettre de candidature.
M. Pierre Loti connaît trop la discipline militaire
pour avoir osé se porter officiellement candidat
avant de savoir si, oui ou non, le ministre de la ma-
rine se mettra sur les rangs.
Quant à M. Zola, nous avons nos raisons pour
affirmer qu’il attendra le délai réglementaire.
La lettre n’est qu’une simple formalité. 11 le sait
mieux que personne. Aussi a-t-il pensé que, dans
l’intérêt de son élection, il devait plutôt se créer un
courant d’opinion.
Ce qu’il s’est empressé de faire, en se laissant in-
terviewer par un, deux, trois reporters.
Voici, en résumé, ce que le maître a dit à ses dis-
ciples pour justifier une succession qu’il espère,
mais qui paraît étrange aux autres :
« Vous savez la campagne que j’ai menée naguère
contre l’Académie et contre les académiciens. Il en
est quelques-uns que j’ai vivement étrillés. Eh bien,
parmi les sept ou huit volumes de critique que j’ai
publiés, je ne me souviens pas d’une attaque contre
Octave Feuillet. C’est, à coup sûr, un de ceux que
j’ai épargnés. Je ne serais donc point embarrassé
de faire son éloge. »
Je ne sais si vous vous rendez compte de l’habileté
que contient cette déclaration. Mais, en évoquant en
moi tout un monde d’arrière-pensées et de sous-
entendus, elle me révèle un nouveau Zola.
Comment! voilà un réaliste qui débute dans les
lettres par une série de critiques, Mes haines, battant
en brèche l’idéalisme en art, les conventions, le sen-
timental, le romanesque, et pas un mot de colère ne
s’échappe de sa plume contre Feuillet, le doux Feuil-
let, le « Musset des familles »!
Mais qui donc, plus que Feuillet, devait assumer
les haines du père des Rougon-Macquart ? Cherchez,
dans les modernes, deux tempéraments plus irré-
conciliables. Vous ne les trouverez pas.
Et notez que, comme le dit très bien M. Zola à
ses reporters, « sous le second Empire, Octave
Feuillet était le plus lu des romanciers». C’était alors
le roi des romanciers, comme l’écrivain de la Terre
en est aujourd’hui le financier. Feuillet incarnait le
genre académique.
Et l’auteur de Mes haines ne l’a pas étrillé! Et il ne
serait pas embarrassé de faire demain son éloge ! Et
il se voit déjà assis sans remords dans son fauteuil !
O ma tète ! O ma tète !
Après tout, il y a peut-être de la naïveté à s’étonner
de pareille inconséquence. Sans pouvoir affirmer
qu’en daubant l’Académie M. Zola pensait en même
temps à y entrer un jour, il est permis d’insinuer
qu’en épargnant l’académique Feuillet, le seul Feuil-
let, il se gardait à carreau, comme disent lesjoueurs.
Mais ce sera la précaution inutile, et, cette fois en*
core* il y restera sur le carreau.
Mario Prax.