BALS MASQUES
\6
EN FAMILLE
— Ça n’a pas d’bon sens, voyons, d’se fiche dans des états pareils! Ça sera du prop’,
quand" t’auras fait dégouliner toute ta détrempe !
reusement no se terminent pas toutes d’une façon
aussi mélodramatique que celle dont la cour d’assi-
ses a eu à s’occuper.
La statistique, qu’il faut toujours appeler à l'aide,
constate que les quatre cinquièmes des croque-
morts sont mariés et pères de famille. Ce sont, pour
leurs moitiés, des ouvriers qui travaillent à cela
comme ils travailleraient à autre chose; elles ne
voient pas la différence. Le seul ennui, c’est qu’il n’y
ait pas assez de congés et qu’on ne puisse qu’à de
très longs intervalles s’en aller le dimanche manger
une friture où s’ébattre dans la forêt de Meudon.
Le poète l’a dit encore :
La mort pour eux, la mort, c’est de quoi vivre enfin.
***
Le drame intervient parfois pourtant dans la vie du
croque-mort.
Les vieux Parisiens n’ont pas oublié certainement
une affiche de spectacle qui fit sensation en son
temps. Cette affiche ôtait ornée d’une couronne com-
posée de roses et de tètes de mort entremêlées.
Naturellement, l’amalgame tirait l’œil. On regar-
dait, et on lisait ces mots : Histoire d'une rose et d'un
croque-mort.
C’était le titre d’un drame joué à l’Ambigu. Je ne
saurais vous dire quelles en furent les destinées;
mais ce souvenir fut ravivé, il y a une dizaine d’an-
nées, par une affaire que jugea la cour d’assises de la
Seine.
Quelle aventure singulière !
***
A un enterrement, un croque-mort remarque une
assistante. Rien n’est surprenant jusque-là, l’insou-
ciance professionnelle devant naturellement laisser
tout leur sang-froid à ces spécialistes funèbres. Mais
l’assistante remarque aussi le croque-mort, ce qui
devient plus bizarre.
Vous seriez-vous jamais douté — ô femmes ! fem-
mes !... — qu’à travers leurs larmes les belles affligées
pussent avoir l’idée d’apprécier, les charmes de ces
fonctionnaires à noire livrée? Ces charmes furent si
bien appréciés que, trois j... \ après, on vivait mari-
talement. Mais la lune de miel fut de courte durée; on
se sépara.
Le croque-mort, qui tenait à sa conquête, jura de se
veng 1 acheta un couteau, attendit la femme et la
tua.
Il fut condamné aux travaux forcés à perpétuité.
Fin de la nouvelle histoire d'une rose et d'un croque-
mort.
Il faut bien, en somme, que quelqu’un se charge de
cette noire besogne.
Si l’on voulait conserver à la tombe toute sa ma-
jesté, cette besogne-là devrait être accomplie par le
dévouement d’enrôlés volontaires et désintéressés.
Mais notre époque n’est plus faite pour ces abnéga-
tions-là. Force est donc de recourir aux croque-
morts salariés.
S’ils ne s’acquittent pas de leur tâche en vertu d’un
héroïque sacrifice, du moins ils vivent honnêtement,
tranquillement, et c’est à titre tout à fait exceptionnel
qu’un des leurs comparait parfois devant la justice.
Encore, comme mon exemple le démontre, ne
s’agit-il pas d’un vol vulgaire, mais d’un assassinat
poétisé en quelque sorte par l’amour.
Eux aussi peuvent être, au besoin, des passion-
nels H
FRANCILLON.
\6
EN FAMILLE
— Ça n’a pas d’bon sens, voyons, d’se fiche dans des états pareils! Ça sera du prop’,
quand" t’auras fait dégouliner toute ta détrempe !
reusement no se terminent pas toutes d’une façon
aussi mélodramatique que celle dont la cour d’assi-
ses a eu à s’occuper.
La statistique, qu’il faut toujours appeler à l'aide,
constate que les quatre cinquièmes des croque-
morts sont mariés et pères de famille. Ce sont, pour
leurs moitiés, des ouvriers qui travaillent à cela
comme ils travailleraient à autre chose; elles ne
voient pas la différence. Le seul ennui, c’est qu’il n’y
ait pas assez de congés et qu’on ne puisse qu’à de
très longs intervalles s’en aller le dimanche manger
une friture où s’ébattre dans la forêt de Meudon.
Le poète l’a dit encore :
La mort pour eux, la mort, c’est de quoi vivre enfin.
***
Le drame intervient parfois pourtant dans la vie du
croque-mort.
Les vieux Parisiens n’ont pas oublié certainement
une affiche de spectacle qui fit sensation en son
temps. Cette affiche ôtait ornée d’une couronne com-
posée de roses et de tètes de mort entremêlées.
Naturellement, l’amalgame tirait l’œil. On regar-
dait, et on lisait ces mots : Histoire d'une rose et d'un
croque-mort.
C’était le titre d’un drame joué à l’Ambigu. Je ne
saurais vous dire quelles en furent les destinées;
mais ce souvenir fut ravivé, il y a une dizaine d’an-
nées, par une affaire que jugea la cour d’assises de la
Seine.
Quelle aventure singulière !
***
A un enterrement, un croque-mort remarque une
assistante. Rien n’est surprenant jusque-là, l’insou-
ciance professionnelle devant naturellement laisser
tout leur sang-froid à ces spécialistes funèbres. Mais
l’assistante remarque aussi le croque-mort, ce qui
devient plus bizarre.
Vous seriez-vous jamais douté — ô femmes ! fem-
mes !... — qu’à travers leurs larmes les belles affligées
pussent avoir l’idée d’apprécier, les charmes de ces
fonctionnaires à noire livrée? Ces charmes furent si
bien appréciés que, trois j... \ après, on vivait mari-
talement. Mais la lune de miel fut de courte durée; on
se sépara.
Le croque-mort, qui tenait à sa conquête, jura de se
veng 1 acheta un couteau, attendit la femme et la
tua.
Il fut condamné aux travaux forcés à perpétuité.
Fin de la nouvelle histoire d'une rose et d'un croque-
mort.
Il faut bien, en somme, que quelqu’un se charge de
cette noire besogne.
Si l’on voulait conserver à la tombe toute sa ma-
jesté, cette besogne-là devrait être accomplie par le
dévouement d’enrôlés volontaires et désintéressés.
Mais notre époque n’est plus faite pour ces abnéga-
tions-là. Force est donc de recourir aux croque-
morts salariés.
S’ils ne s’acquittent pas de leur tâche en vertu d’un
héroïque sacrifice, du moins ils vivent honnêtement,
tranquillement, et c’est à titre tout à fait exceptionnel
qu’un des leurs comparait parfois devant la justice.
Encore, comme mon exemple le démontre, ne
s’agit-il pas d’un vol vulgaire, mais d’un assassinat
poétisé en quelque sorte par l’amour.
Eux aussi peuvent être, au besoin, des passion-
nels H
FRANCILLON.