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Le charivari — 60.1891

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https://doi.org/10.11588/diglit.23885#0075
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ACTUALITÉS

14

— Six mois de prévention pour un crime dont je ne suis pas coupable ! J’en ai assez !
Je demande au moins à commettre le viol dont on m’accuse à tort !

L’homme le plus étonné du xxe siècle fut certai-
nement Eusèbe Balochard, pharmacien de lre classe,
ex-interne des hôpitaux et lauréat de nombreux
concours pour l’augmentation de la mortalité en
France, lorsqu’au mois de juillet 1940 il vit entrer
dans son officine un préposé de l’administration des
postes lui apportant une lettre de la Préfecture de
police.

Mais l’étonnement d’Eusèbe se changea en stupé-
faction lorsqu’il prit connaissance de la lettre.

Préfecture de police, disait un monumental cachet or-
nant le sommet de la page. Et au-dessous :

« Monsieur,

» Nous avons l’honneur de vous informer que,
après enquête terminée, nous vous accordons l’au-
torisation demandée de donner dans votre établisse-
ment des auditions symphoniques.

» Agréez, etc... »

— Quelle est cette mystification? susurra Eusèbe.

Dix minutes après, bousculant le planton, il s’en-
gouffrait dans la Préfecture de police.

Après deux ou trois heures passées à rebondir de
couloirs en bureaux, d’auxiliaires en sous-chefs et
de chefs en employés, il finissait par découvrir le
gratte-papier au courant de son affaire.

C était un rond-de-cuir affable et .poli, qui lui ra-
conta la palpitante histoire que voici :

Vers 1890, le grand-père d’Eusèbe, M. Balochard,

tenait à Paris, rue de Quimper, le café de la Man-
che, où se réunissait l’élite du quartier.

Un jour, il avait vu arriver chez lui une bande de
messieurs correctement vêtus de noir, dont l’un
portait une immense boîte de bois également noire.

Les ayant pris pour des crociue-morts, il allait
décliner leurs offres de service, lorsque le plus im-
posant de la bande lui tint ce langage :

— Monsieur, vous voyez devant vous un lot de
symphonistes sans ouvrage, provenant de la faillite
d’un grand théâtre lyrique, et que vous pourriez
avoir à bon compte si le désir vous prenait de faire
boire vos clients en musique.

Balochard grand-père, autant pour être agréable à
sa clientèle que pour avoir un prétexte d’augmenter
le prix des consommations, sauta sur l’idée.

Et le lendemain, il gravissait la première étape
de ce douloureux calvaire qui s’appelle une demande
administrative.

Ah! le pauvre homme! s’il avait su! Mais il igno-
rait, voilà son excuse!

Demandes sur papier libre et timbré, apostilles
du commissariat de la mairie, de la Préfecture, du
ministère ; enquêtes auprès du concierge dont les
ronflements de la contrebasse pouvaient troubler
les potins; auprès des locataires, dont les sons aigus
du violon pouvaient cauchemarder les nuits; auprès
des passants, que les plaintes de la clarinette pou-
vaient attrouper au dehors, leur faisant croire à quel-
que crime commis au dedans. Inspection des lieux
par un architecte départemental et diocésain, qui vint
enfin cuber la salle et en juger l'air respirable bon
pour 150 personnes, pas une de plus.

Enfin, au bout de deux années, l’autorisation pro-
visoire fut donnée, et c’est devant une salle comble
que le lot de symphonistes put se produire.

150 personnes, avait dit l’architecte départemental

et diocésain, et comme selon lui on pouvait redouter
les plus grands malheurs si une seule personne de
plus venait prendre sa part de cet air cubé adminis-
trativement, on établit un tourniquet.

Le sergent de ville indispensable fut chargé de
surveiller cette beuverie musicale. Un sous-briga-
dier de la même corporation vint s’assurer que son
subordonné était là, et un brigadier vint inspecter le
sous-brigadier qui inspectait l’agent.

Le brigadier contrôlant les entrées, à la fin de la
soirée fit remarquer que le tourniquet accusait
153 entrées.

Balochard lui démontra que, comme il n’y avait
que 150 sièges et que personne n’était debout...

— Tout ça, c’est de la fraude ! s’écria le brigadier.
Encore heureux qu'il n’y ait pas mort d’homme à dé-
plorer, votre affaire serait claire.

La crainte de la justice fit taire Balochard grand-
père, et, le lendemain, le concert fut fermé jusqu’à ce
qu’une enquête supplémentaire établît d’où venaient
les trois mélomanes en plus.

Et c’est en 1940, c’est-à-dire cinquante-huit ans
après, que les petits-fils de ceux qui avaient com-
mencé l’enquête avaient découvert que les trois en-
trées supplémentaires étaient celles de l’agent, du
sous-brigadier et du brigadier chargés de voir si
Padlewsky n’était pas dans la salle.

Eusèbe Balochard réfléchit un instant.

— C’est toujours le même immeuble, se dit-il, c’est
le même nom. Ma foi, je garde l’autorisation, et si
cet hiver l’influenza ne'donne pas suffisamment, je
ferai de la pharmacie symphonique. Il y a tant de
musique, à l’heure qu’il est, qu’il faut avaler comme
un remède !

P.-S. — Tous les détails ci-dessus sont authenti-
ques,— sauf notre anticipation sur le siècle prochain.

M. Marais.
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