Le charivari (60.1891)

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Monsieur le juge d’instruction. Ce sont tous les Padlewski arrêtés dans la semaine.

LE BŒUF-GRAS

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PARISIENS ET AUX PARISIENNES

Bons Parisiens, et vous, aimables Parisiennes, je
vais donc avoir l’honneur de vous être présenté et
de faire au milieu de vous cette promenade triom-
phale, de la Bastille à la place de la Concorde, qui
est pour un bœuf le dernier mot de la gloire.

Vous serez cent mille pour me voir passer. Voilà
juste vingt ans que cet imposant spectacle ne vous
a pas été donné. Les jeunes générations ne savent
pas ce qu’il y a de pure joie à voir un bœuf défiler
majestueusement sur un char orné de verdure et de
fleurs, avec un étincelant cortège de Pierrots et de
Pierrettes, d’Arlequins et de Polichinelles, de sei-
gneurs Henri II et de mousquetaires du roi, sans
préjudice des dames de la cour, des bergères Wat-
teau et des soubrettes de brasserie.

Moi-même je ne connais que par ouï-dire l’orgueil
qui gonfle les flancs d’un honnête bœuf à voir un
océan de bourgeois onduler sur son passage, avec

leurs femmes et leurs enfants, bravant pour cela le
froid, le vent, la pluie et les sergents de ville.

Mon arrière-grand-père, qui fut le dernier bœuf-
gras du second Empire, nous ruminait cette gloire.

Etre bœuf-gras, voyez-vous, mes amis, tout est là
dans la vie, et si vous êtes cent mille à vous bous-
culer sur mon passage, avouez-le, c’est un senti-
ment d’envie qui vous pousse.

Chacun de vous voudrait être à ma place. Ne dites
pas non, vous mentiriez.

Etre bœuf-gras, c’est être l’homme et le héros du
jour, c’est avoir son nom répété de bouche en bou-
che, c’est voir la foule accourir sur son passage,
c’est être le point de mire de tous les yeux, c’est
connaître l’ivresse de la popularité.

11 aspire à être bœuf-gras, l’ambitieux qui joue des
pieds et des coudes pour être ministre ou empereur.
Demandez à l’ex-général Boulanger : son unique
consolation est d’avoir été bœuf-gras à certaine re-
vue fameuse. Partout, dans les arts, dans les lettres,
dans la finance, dans la cocotterie, parfois même
dans le crime, partout vous ne rencontrez que des
gens dont le rêve est d’être le bœuf-gras du jour.

Voilà pourquoi, Parisiens et Parisiennes de mon
cœur, vous allez me regarder passer avec un senti-
ment d’envie; voilà pourquoi aussi de nobles sei-
gneurs et des dames pimpantes se feront un plaisir
de m’escorter sous les déguisements les plus extra-
vagants. On les regardera, on se les montrera du
doigt; ils auront un peu de ma gloire.

Ils auront presque été bœuf-gras !

Après des journées comme celle-là, on peut mou-
rir sans regret. On entre tout vivant dans l’immor-
talité, et l’abattoir de la Villette prend les propor-
tions d’un temple de la gloire.

Car enfin, vous figurez-vous un bœuf-gras, sacré
par l’adoration d’une foule idolâtre, condamné à re-
prendre la vie banale de tous les jours? Vous le figu-
rez-vous attelé à la charrue, creusant péniblement
le sillon, lui, le triomphateur de la veille, les yeux
encore troublés par le spectacle des boulevards, les
oreilles encore pleines du bourdonnementadmiratif
des Athéniens de Paris?

Non, non; après des journées pareilles, il ne reste
plus qu’à mourir. C’est la chance qui échut à
Alexandre le Grand, un des plus illustres bœufs-
gras de l’histoire. Je veux finir comme lui.

Je sais bien maintenant qu’après m’avoir admiré,
pomponné, enrubanné, vous me mangerez, sans
J’ombre d’un regret, sous forme de bifteck, et aux
pommes encore, ô Parisiens et Parisiennes! Mais je
suis philosophe, et je sais ce que vaut la popu-
larité. Combien de vos grands hommes ont reçu des
pommes cuites, après avoir été couronnés de roses?

Bœuf-gras aujourd’hui, demain chateaubriand aux
pommes soufflées ! C’est la règle.

Un dernier mot. Si vous voulez me faire plaisir,
puisqu’il me faut un nom qui marque le principal
événement de l’année, appelez-moi l'Emprunt.

Jack.

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