Prix du Numéro : 95 centime»
DIMANCHE 2î> JANVIER 1891
SOIXANTIÈME ANNÉE
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 fr.
Six mois. 30 —
Un an. "2
les abonnements partent des 1er et 16 de chaque mois
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉR0X
Rédacteur en Chef
BUREAUX
DB LA RÉDACTION ET DE L’ADMINISTRATION
Ru© de la Victoire, 20
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois,
Six mois..
Un an.
20 fr.
40 —
80 —
L'abonnement d'un an donne droit à la prime‘Qratuite
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE YÉR0X
Rédacteur cil Chef
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, fermier de la publicité
92, Rue Richelieu
LE CHARIVARI
Les souscripteurs dont l’abonnement ex-
pire le 31 Janvier sont priés de le renou-
veler immédiatement s'ils ne veulent pas
éprouver d’interruption dans l'envoi du
journal.
BULLETIN POLITIQUE
Il me semble que le puritanisme est en train de
devenir bien farouche tout de même.
Oh ! je ne nie pas l’abus, il est flagrant. Mais je
crois qu’on a brandi, l’autre jour, à la Chambre,
une massue bien lourde pour écraser une puce.
Un député, scandalisé, a déblatéré contre le
scandale auquel donne lieu la distribution des
cartes de faveur pour les grandes séances de la
cour d’assises.
Ces cartes de faveur, si nous avions le sens mo-
ral un peu moins émoussé, ne seraient que des
cartes de dégoût; car on ne voit, en général, défi-
ler dans ces causes célèbres que des choses nau-
séabondes.
Mais notre fin de siècle aime le faisandé à la
folie, et j’ai bien peur que toutes les imprécations
de M. Mège, tout le zèle de M. Fallières n’y chan-
gent rien.
.l’ajouterai que je ne vois pas très bien ce que
la morale publique gagnerait à la prohibition.
La loi exige que les séances de la Cour soient
publiques. Vous serez donc forcés de laisser les
bancs se remplir. Il y a de fortes chances,
dans ces conditions, pour que les occupants et
les occupantes soient un peu plus tumultueux,
voire même un peu plus grossiers qu’une assis-
tance triée sur le volet. On risque de n’avoir,
comme bénéfice, qu’un supplément de tapage.
Je crois, d’ailleurs, qu’insister serait naïf. Ces
beaux élans de réforme ne tirent jamais â consé-
quence. Voilà bien la dixième fois que j’entends
solennellement déclarer qu’il faut en finir, et l’on
n’en finit pas du tout.
Et l’on n’en finira pas plus aujourd’hui qu’hier
et que demain.
On en finira d’autant moins qu’à la prochaine
occasion, les premières demandes de billet adres-
sées au président des assises émaneront peut-être
du ministre de Injustice lui-même, voire du dé-
puté qui fulminait jeudi.
Il suffit, pour faire fléchir ces belles résolu-
tions, d’une douce voix formulant une instante
requête appuyée par deux jolis yeux.
Qui veut trop corriger ne corrige rien. Restez
donc plutôt dans les limites des réclamations
pratiques. Demandez tout simplement que la po-
lice de la salle soit mieux faite, — ce qui ne sera
pas difficile, car elle ne l’est pas du tout.
Avec une surveillance un peu efficace, rien de
plus aisé que d’obtenir une tenue décente et un
silence congru.
Pierre Véron.
UN REMÈDE DE CHIEN
On a encore trouvé un nouveau remède à la
tuberculose. — Quand nous serons à cent...
C’est bien simple, du reste. Vous prenez une
chèvre, vous la saignez, puis: vous transfusez son
sang au malade que vous voulez guérir.
L’inventeur de ce procédé donne l’explication
du phénomène qui se produira alors : la chèvre
étant insensible à la tuberculose, aussitôt que le
sang de Fliommea fait place à celui de la chèvre,
les bacilles fichent le camp comme si le diable
les emportait.
Un autre docteur a immédiatement réclamé la
priorité de l’idée de transfusion; seulement, lui,
c’était avec du sang de chien qu’il voulait opérer,
le chien étant également bon bacillifuge.
On finira par mettre tous les animaux de la
terre à contribution.
Les pharmaciens remplaceraient leurs bocaux
par des étables; les pharmacies ne seraient plus
des officines, mais des ménageries.
Maintenant, le public n’est pas sans quelque
appréhension, et il se demande si, tout en suppri-
mant la maladie, ce traitement héroïque n’inocu-
lera pas au malade les tics et habitudes du géné-
reux animal qui lui aura donné son sang.
A force de retaper l’homme, de le vider, de ro-
gner pour remettre, de le changer de peau et de
lui enter des membres, quel drôle de bipède on
finira pas obtenir !
On voit d’ici les scènes futures :
Le marquis est introduit chez la comtesse, une
veuve ravissante, dont il espère obtenir la main.
Le marquis, s'inclinant. — Bonjour, chère
comtesse; votre santé est bonne?
La comtesse, à laquelle on a récemment ino-
culé du sang de chèvre. — Bêêê... Oui, merci; et
vous?
Le marquis, auquel on a transfusé du sang
de chien. — Ouââà... Merci.
La comtesse. — Mais asseyez-vous donc, voici
des sièges.
D’un bond elle grimpe sur le piano, pendant
que le marquis s’assied tranquillement par terre,
au coin du feu, dans la pose favorite d’Azor.
La comtesse. — Là, maintenant nous pouvons
causer... [Mélancoliquement,) Ohl si vous saviez
comme l’existence que je mène ici me semble
terre-à-terre I... Je rêve d’horizons infinis et de
rocs escarpés... Bêêê...
Le marquis, poétiquement. — Ouââà... Les
gravir avec vous, comtesse, ce serait pour moi le
bonheur suprême!
On entend un long mugissement dans le vesti-
bule :
— Meûeûeû !...
Le marquis. — Qu’est-ce là, comtesse?... Un
bœuf dans votre antichambre !
La comtesse. — Rassurez-vous !... G’est le
vieux vidame... Très coureur, vous savez, le vi-
dame... Et comme il baissait, il s’est fait inoculer
du sang de taureau.
Le marquis. — Pour devenir fort comme un
bœuf. (D'Une voix émue.J Ouâââ... Eh bien,
comtesse, n’est-ce pas aujourd’hui que vous devez
me donner définitivement réponse au sujet de
notre mariage?
La comtesse. — Oui... Bêêê... (Sautant ci bas
de son piano.J Oh ! c’est insupportable, à la fin...
Marquis, je vous accorde ma main; mais, comme
nous devenons impossibles tous deux, nous irons
nous faire inoculer un peu de sang humain avant
la cérémonie.
Le marquis. — Tout ce que vous voudrez... Ah!
comtesse, que je suis heureux !
Il se met à hurler de joie.
Jules Demolliens.
Ô JUSTICE!
Vous ne me croiriez pas si je vous disais que
la justice — même celle qui est immanente — est
impeccable. Un petit fait donnera à votre édifi-
cation en cette matière une base nouvelle, solide,
et précieuse.
Dernièrement, le tribunal correctionnel de la
Seine — soyez tranquille, je n’indiquerai pas le
numéro de la chambre' — condamnait pour vol
un nommé Lapeyrière. Ce J^apeyrière protestait
de toutes ses forces. Il arriva presque à démontrer
son innocence; et démontrer son innocence à des
juges correctionnels, vous savez tous que c’est là
un tour de force dont peu de gens seraient capa-
bles.
Aussi l’ênvoya-t-on en prison pour quelques
mois.
Il avait purgé cette inique condamnation lors-
que, il y a quelques jours, celui qui aurait dû être
condamné à sa place, c’est-à-dire le véritable
voleur, se présentait à un poste de police et de-
mandait à être arrêté sur-le-champ.
— Ni sur-le-champ, ni jamais! répondit le chien
du commissaire. Je vois bien que vous êtes toqué,
mais cela m’est égal; j’ai bien autre chose â faire
que de vous écouter. Fichez-moi le camp!...
Mais cela ne faisait point l’affaire de l’autre
qui, crevant presque de misère, voulait être
nourri et logé aux frais de l’Etat. Alors il insista,
fournit tant et tant de preuves qu’il fallut bien
se rendre à l’évidence et convenir que l’on se
trouvait réellement en présence du voleur.
Naturellement, on lui a aussi colloqué plusieurs
mois de prison ; mais n’empêche que Lapeyrière
en avait fait quelques-uns à sa place, qu’il est
déshonoré, et qu’il passera toute sa vie pour un
monsieur qui pratique le vol à la tire, le bonne-
teau, l’effraction et un tas de jolies choses de ce
genre !
Quant aux réparations qui lui sont dues, va-
t’en voir si elles viennent !
DIMANCHE 2î> JANVIER 1891
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BUREAUX
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Les souscripteurs dont l’abonnement ex-
pire le 31 Janvier sont priés de le renou-
veler immédiatement s'ils ne veulent pas
éprouver d’interruption dans l'envoi du
journal.
BULLETIN POLITIQUE
Il me semble que le puritanisme est en train de
devenir bien farouche tout de même.
Oh ! je ne nie pas l’abus, il est flagrant. Mais je
crois qu’on a brandi, l’autre jour, à la Chambre,
une massue bien lourde pour écraser une puce.
Un député, scandalisé, a déblatéré contre le
scandale auquel donne lieu la distribution des
cartes de faveur pour les grandes séances de la
cour d’assises.
Ces cartes de faveur, si nous avions le sens mo-
ral un peu moins émoussé, ne seraient que des
cartes de dégoût; car on ne voit, en général, défi-
ler dans ces causes célèbres que des choses nau-
séabondes.
Mais notre fin de siècle aime le faisandé à la
folie, et j’ai bien peur que toutes les imprécations
de M. Mège, tout le zèle de M. Fallières n’y chan-
gent rien.
.l’ajouterai que je ne vois pas très bien ce que
la morale publique gagnerait à la prohibition.
La loi exige que les séances de la Cour soient
publiques. Vous serez donc forcés de laisser les
bancs se remplir. Il y a de fortes chances,
dans ces conditions, pour que les occupants et
les occupantes soient un peu plus tumultueux,
voire même un peu plus grossiers qu’une assis-
tance triée sur le volet. On risque de n’avoir,
comme bénéfice, qu’un supplément de tapage.
Je crois, d’ailleurs, qu’insister serait naïf. Ces
beaux élans de réforme ne tirent jamais â consé-
quence. Voilà bien la dixième fois que j’entends
solennellement déclarer qu’il faut en finir, et l’on
n’en finit pas du tout.
Et l’on n’en finira pas plus aujourd’hui qu’hier
et que demain.
On en finira d’autant moins qu’à la prochaine
occasion, les premières demandes de billet adres-
sées au président des assises émaneront peut-être
du ministre de Injustice lui-même, voire du dé-
puté qui fulminait jeudi.
Il suffit, pour faire fléchir ces belles résolu-
tions, d’une douce voix formulant une instante
requête appuyée par deux jolis yeux.
Qui veut trop corriger ne corrige rien. Restez
donc plutôt dans les limites des réclamations
pratiques. Demandez tout simplement que la po-
lice de la salle soit mieux faite, — ce qui ne sera
pas difficile, car elle ne l’est pas du tout.
Avec une surveillance un peu efficace, rien de
plus aisé que d’obtenir une tenue décente et un
silence congru.
Pierre Véron.
UN REMÈDE DE CHIEN
On a encore trouvé un nouveau remède à la
tuberculose. — Quand nous serons à cent...
C’est bien simple, du reste. Vous prenez une
chèvre, vous la saignez, puis: vous transfusez son
sang au malade que vous voulez guérir.
L’inventeur de ce procédé donne l’explication
du phénomène qui se produira alors : la chèvre
étant insensible à la tuberculose, aussitôt que le
sang de Fliommea fait place à celui de la chèvre,
les bacilles fichent le camp comme si le diable
les emportait.
Un autre docteur a immédiatement réclamé la
priorité de l’idée de transfusion; seulement, lui,
c’était avec du sang de chien qu’il voulait opérer,
le chien étant également bon bacillifuge.
On finira par mettre tous les animaux de la
terre à contribution.
Les pharmaciens remplaceraient leurs bocaux
par des étables; les pharmacies ne seraient plus
des officines, mais des ménageries.
Maintenant, le public n’est pas sans quelque
appréhension, et il se demande si, tout en suppri-
mant la maladie, ce traitement héroïque n’inocu-
lera pas au malade les tics et habitudes du géné-
reux animal qui lui aura donné son sang.
A force de retaper l’homme, de le vider, de ro-
gner pour remettre, de le changer de peau et de
lui enter des membres, quel drôle de bipède on
finira pas obtenir !
On voit d’ici les scènes futures :
Le marquis est introduit chez la comtesse, une
veuve ravissante, dont il espère obtenir la main.
Le marquis, s'inclinant. — Bonjour, chère
comtesse; votre santé est bonne?
La comtesse, à laquelle on a récemment ino-
culé du sang de chèvre. — Bêêê... Oui, merci; et
vous?
Le marquis, auquel on a transfusé du sang
de chien. — Ouââà... Merci.
La comtesse. — Mais asseyez-vous donc, voici
des sièges.
D’un bond elle grimpe sur le piano, pendant
que le marquis s’assied tranquillement par terre,
au coin du feu, dans la pose favorite d’Azor.
La comtesse. — Là, maintenant nous pouvons
causer... [Mélancoliquement,) Ohl si vous saviez
comme l’existence que je mène ici me semble
terre-à-terre I... Je rêve d’horizons infinis et de
rocs escarpés... Bêêê...
Le marquis, poétiquement. — Ouââà... Les
gravir avec vous, comtesse, ce serait pour moi le
bonheur suprême!
On entend un long mugissement dans le vesti-
bule :
— Meûeûeû !...
Le marquis. — Qu’est-ce là, comtesse?... Un
bœuf dans votre antichambre !
La comtesse. — Rassurez-vous !... G’est le
vieux vidame... Très coureur, vous savez, le vi-
dame... Et comme il baissait, il s’est fait inoculer
du sang de taureau.
Le marquis. — Pour devenir fort comme un
bœuf. (D'Une voix émue.J Ouâââ... Eh bien,
comtesse, n’est-ce pas aujourd’hui que vous devez
me donner définitivement réponse au sujet de
notre mariage?
La comtesse. — Oui... Bêêê... (Sautant ci bas
de son piano.J Oh ! c’est insupportable, à la fin...
Marquis, je vous accorde ma main; mais, comme
nous devenons impossibles tous deux, nous irons
nous faire inoculer un peu de sang humain avant
la cérémonie.
Le marquis. — Tout ce que vous voudrez... Ah!
comtesse, que je suis heureux !
Il se met à hurler de joie.
Jules Demolliens.
Ô JUSTICE!
Vous ne me croiriez pas si je vous disais que
la justice — même celle qui est immanente — est
impeccable. Un petit fait donnera à votre édifi-
cation en cette matière une base nouvelle, solide,
et précieuse.
Dernièrement, le tribunal correctionnel de la
Seine — soyez tranquille, je n’indiquerai pas le
numéro de la chambre' — condamnait pour vol
un nommé Lapeyrière. Ce J^apeyrière protestait
de toutes ses forces. Il arriva presque à démontrer
son innocence; et démontrer son innocence à des
juges correctionnels, vous savez tous que c’est là
un tour de force dont peu de gens seraient capa-
bles.
Aussi l’ênvoya-t-on en prison pour quelques
mois.
Il avait purgé cette inique condamnation lors-
que, il y a quelques jours, celui qui aurait dû être
condamné à sa place, c’est-à-dire le véritable
voleur, se présentait à un poste de police et de-
mandait à être arrêté sur-le-champ.
— Ni sur-le-champ, ni jamais! répondit le chien
du commissaire. Je vois bien que vous êtes toqué,
mais cela m’est égal; j’ai bien autre chose â faire
que de vous écouter. Fichez-moi le camp!...
Mais cela ne faisait point l’affaire de l’autre
qui, crevant presque de misère, voulait être
nourri et logé aux frais de l’Etat. Alors il insista,
fournit tant et tant de preuves qu’il fallut bien
se rendre à l’évidence et convenir que l’on se
trouvait réellement en présence du voleur.
Naturellement, on lui a aussi colloqué plusieurs
mois de prison ; mais n’empêche que Lapeyrière
en avait fait quelques-uns à sa place, qu’il est
déshonoré, et qu’il passera toute sa vie pour un
monsieur qui pratique le vol à la tire, le bonne-
teau, l’effraction et un tas de jolies choses de ce
genre !
Quant aux réparations qui lui sont dues, va-
t’en voir si elles viennent !