ACTUALITÉS
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— Vous vous étonnez, capitaine, d'avoir été oublié dans les dernières promotions. Que voulez-vous !
La préparation de son discours académique a tant absorbé M. le ministre de la guerre !...
THEATRES
VAUDEVILLE : Hedda Gabier.
Le Vaudeville poursuit avec un très artistique
S(?uci la série de ce qu’on pourrait appeler ses mati-
ns expérimentales. Il y apporte ; un éclectisme
sans parti-pris, paraît vouloir passer en revue
Je§ genres les plus contradictoires.
Hier, la comédie bourgeoise, avec les Jobards,
importait une victoire qui aura des suites prochai-
ns- Aujourd’hui, c’est l’excentricité norvégienne
jjUe M. Albert Carré, le directeur aussi oseur que
Sympathique, présente au public parisien, dans la
Personne de Hedda Gabier, fille de ce père étrange-
ment fantaisiste qui a nom Ibsen.
I .Hour cette expérience périlleuse d’acclimatation,
len que la consigne donnée par la mode soit, en ce
moment, d'admirer, quelquefois sans les compren-
®Pe» les conceptions énigmatiques du dramaturge
septentrional, on a jugé indispensable de faire une
Présentation préalable au spectateur.
LestM. Jules Lemaître qui a été chargé d’empê-
”.er, par cette précaution élucidante, que l’audi-
0lre ne fût trop violemment déconcerté tout d’abord
v?r art mystico-incohérent. Inutile d’ajouter que.
U- Lemaître s’est acquitté de sa tâche avec une très
subtile finesse, avec un dilettantisme fort curieux,
et qu’il a été justement applaudi.
La pièce d’Henrick Ibsen en est-elle plus claire?
Les singularités de l’héroïne titillante que l’affiche
aurait pu appeler La Dame aux pistolets en sont-
elles moins brumeuses?
Brumeuses ! Je crois avoir dit le mot de toutes ces
énigmes en plusieurs actes qui composent le réper-
toire de l’écrivain norvégien. Tout cela semble avoir
été vu à travers les brumes environnantes des longs
frimas. Çà et là des silhouettes se détachent, mais
l'ensemble reste comme estompé. Des épisodes ex-
quis surgissent, mais le fond est embrouiïlardé
quand même. Les songes de je ne sais combien de
nuits d’hiver!
Cette Hedda Gabier est certainement une des créa-
tions les plus déroutantes dece répertoire devivants
rébus.
On est aujourd’hui au culte de l’incompréhensible.
Toute la littérature novatrice semble avoir pris pour
devise générale: J'étonne, donc je suis. Mais il y a
une différence à signaler pour faire bonne justice.
Chez nous, les symbolico-mystico-cascadistes ac-
cumulent intentionnellement les obscurités, les
étrangetés. Ibsen, le rêveur des pays glacés, y va
sincèrement, quoique non sans recherche.
Si l’on regarde l’ensemble de son œuvre, on ne
réussit à comprendre ni le but poursuivi, ni la for-
mule imaginée parce réformateur tâtonnant. Ce qui
apparaît seulement, c’est le désir de faire autre
chose et autrement que les devanciers. Ambition
louable, à condition que les personnages ne marchent
pas tête en bas, sous prétexte de nouveauté. Et c’est
ce qui arrive trop souvent avec Ibsen.
Pourtant, à côté de ces défauts et de ces incohé-
rences, éclatent, dans plusieurs de ses pièces, des
beautés réelles.
Est-ce le cas d'Hedda Gabier ?
L’histoire, cette fois, est sombre dans tous les
sens. Si M. Jules Lemaître n’avait pas jalonné la
voie de points lumineux que l’auteur a oublié dé-
mettre, on eût écouté dans les ténèbres.
Cette Hedda, c’est une sorte de mégère non appri-
voisable.
Elle fait le malheur de tout ce qui l'entoure — et le
sien propre, puisqu’elle finit par se tirer un coup
des pistolets qui sont le continuel accessoire de sa
vie névrosée.
A côté d’elle, un alcoolique qui, bien qu’on nous le
donne pour l’auteur d’un livre sublime, n’en est
guère plus intéressant Si, au moins, il nous lisait
un fragment du génial manuscritl Lui aussi, du
reste, se rend justice en se suicidant.
Pas folâtre, comme vous le voyez, cette série de
détonations.
Seuls des personnages très épisodiques mettent,
par une simplicité sincère, un peu d’émotion vraie
dans ces tueries.
Il m’a semblé que Mlle Brandès jouait le rôle
d’Hedda avec une véhémence qui frappait un peu à
tâtons des coups uniformes.
Très remarquable et très remarqué, M. Mayer. Le
succès a été pour lui.
Mme Samary, la bonne tante attendrissante, dit
juste.
Au résumé, une expérience curieuse mais qu’il
n’y a pas, je crois, à renouveler.
M. Albert Carré, légitimement chercheur, a donné,
à son public des matinées, un spécimen qui lui
suffit.
Cette excursion au pays norvégien ne lui fera que
mieux apprécier la clarté et la gaieté de l’esprit
français.
Pierre Véron,
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— Vous vous étonnez, capitaine, d'avoir été oublié dans les dernières promotions. Que voulez-vous !
La préparation de son discours académique a tant absorbé M. le ministre de la guerre !...
THEATRES
VAUDEVILLE : Hedda Gabier.
Le Vaudeville poursuit avec un très artistique
S(?uci la série de ce qu’on pourrait appeler ses mati-
ns expérimentales. Il y apporte ; un éclectisme
sans parti-pris, paraît vouloir passer en revue
Je§ genres les plus contradictoires.
Hier, la comédie bourgeoise, avec les Jobards,
importait une victoire qui aura des suites prochai-
ns- Aujourd’hui, c’est l’excentricité norvégienne
jjUe M. Albert Carré, le directeur aussi oseur que
Sympathique, présente au public parisien, dans la
Personne de Hedda Gabier, fille de ce père étrange-
ment fantaisiste qui a nom Ibsen.
I .Hour cette expérience périlleuse d’acclimatation,
len que la consigne donnée par la mode soit, en ce
moment, d'admirer, quelquefois sans les compren-
®Pe» les conceptions énigmatiques du dramaturge
septentrional, on a jugé indispensable de faire une
Présentation préalable au spectateur.
LestM. Jules Lemaître qui a été chargé d’empê-
”.er, par cette précaution élucidante, que l’audi-
0lre ne fût trop violemment déconcerté tout d’abord
v?r art mystico-incohérent. Inutile d’ajouter que.
U- Lemaître s’est acquitté de sa tâche avec une très
subtile finesse, avec un dilettantisme fort curieux,
et qu’il a été justement applaudi.
La pièce d’Henrick Ibsen en est-elle plus claire?
Les singularités de l’héroïne titillante que l’affiche
aurait pu appeler La Dame aux pistolets en sont-
elles moins brumeuses?
Brumeuses ! Je crois avoir dit le mot de toutes ces
énigmes en plusieurs actes qui composent le réper-
toire de l’écrivain norvégien. Tout cela semble avoir
été vu à travers les brumes environnantes des longs
frimas. Çà et là des silhouettes se détachent, mais
l'ensemble reste comme estompé. Des épisodes ex-
quis surgissent, mais le fond est embrouiïlardé
quand même. Les songes de je ne sais combien de
nuits d’hiver!
Cette Hedda Gabier est certainement une des créa-
tions les plus déroutantes dece répertoire devivants
rébus.
On est aujourd’hui au culte de l’incompréhensible.
Toute la littérature novatrice semble avoir pris pour
devise générale: J'étonne, donc je suis. Mais il y a
une différence à signaler pour faire bonne justice.
Chez nous, les symbolico-mystico-cascadistes ac-
cumulent intentionnellement les obscurités, les
étrangetés. Ibsen, le rêveur des pays glacés, y va
sincèrement, quoique non sans recherche.
Si l’on regarde l’ensemble de son œuvre, on ne
réussit à comprendre ni le but poursuivi, ni la for-
mule imaginée parce réformateur tâtonnant. Ce qui
apparaît seulement, c’est le désir de faire autre
chose et autrement que les devanciers. Ambition
louable, à condition que les personnages ne marchent
pas tête en bas, sous prétexte de nouveauté. Et c’est
ce qui arrive trop souvent avec Ibsen.
Pourtant, à côté de ces défauts et de ces incohé-
rences, éclatent, dans plusieurs de ses pièces, des
beautés réelles.
Est-ce le cas d'Hedda Gabier ?
L’histoire, cette fois, est sombre dans tous les
sens. Si M. Jules Lemaître n’avait pas jalonné la
voie de points lumineux que l’auteur a oublié dé-
mettre, on eût écouté dans les ténèbres.
Cette Hedda, c’est une sorte de mégère non appri-
voisable.
Elle fait le malheur de tout ce qui l'entoure — et le
sien propre, puisqu’elle finit par se tirer un coup
des pistolets qui sont le continuel accessoire de sa
vie névrosée.
A côté d’elle, un alcoolique qui, bien qu’on nous le
donne pour l’auteur d’un livre sublime, n’en est
guère plus intéressant Si, au moins, il nous lisait
un fragment du génial manuscritl Lui aussi, du
reste, se rend justice en se suicidant.
Pas folâtre, comme vous le voyez, cette série de
détonations.
Seuls des personnages très épisodiques mettent,
par une simplicité sincère, un peu d’émotion vraie
dans ces tueries.
Il m’a semblé que Mlle Brandès jouait le rôle
d’Hedda avec une véhémence qui frappait un peu à
tâtons des coups uniformes.
Très remarquable et très remarqué, M. Mayer. Le
succès a été pour lui.
Mme Samary, la bonne tante attendrissante, dit
juste.
Au résumé, une expérience curieuse mais qu’il
n’y a pas, je crois, à renouveler.
M. Albert Carré, légitimement chercheur, a donné,
à son public des matinées, un spécimen qui lui
suffit.
Cette excursion au pays norvégien ne lui fera que
mieux apprécier la clarté et la gaieté de l’esprit
français.
Pierre Véron,