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POURQUOI LA POLICE DES MŒURS, RENONÇANT AU SYSTÈME DES RAFLES EN MASSE, N'ESSAIERAIT-ELLE PAS
LE PITTORESQUE LASSO SUR LES DÉLINQUANTES ISOLÉES?
LE MONSIEUR
QUI VA AUX RÉCEPTIONS
Le martyr du jour.
Je le connais. Vous le connaissez. Ses fonctions
l’obligent d’accepter toutes les invitations officielles,
eL depuis huit jours, il n’a pas quitté l’habit noir.
Courant de l’Elysée à l’hôtel de chaque ministre,
tour à tour il s’élance d’un banquet d’anciens élè-
ves à un five o'clock, pour rebondir autour d’une
table d’académicien ou échouer devant un menu
diplomatique.
Jusqu’au 15 janvier, au plus tôt, c’est, en moyenne,
trois repas par jour et six bals par semaine qu’il
lui faudra agréer.
Cet homme-là m’intéresse, mais il m’effraie.
Il faut être bâti par les Romains pour résister à
des assauts semblables. Cette lutte de toutes les
heures que doit livrer l’estomac contre le saumon
sauce verte a quelque chose d’épique. Et j’imagine
que des jambes humaines ne peuvent supporter
trois sauteries de suite sans fléchir.
Mais ceci n’est rien encore. Les fatigues physiques
sont secondaires en somme, et le monsieur qui va
à toutes les réceptions peut constituer un phéno-
mène sous ce rapport, tout comme le veau à deux
têtes.
Où je frissonne, où j’admire, où je me prosterne,
c’est quand j’essaie de calculer les conséquences
morales d’une existence semblable.
Le monsieur qui va à toutes les réceptions y ren-
contre naturellement les gens qui, comme lui, n’en
ratent pas une.
***
A part quelques physionomies rares, quelques
bonshommes « d’élite », qu’on y trouve par hasard et
exceptionnellement, le personnel des tables officiel-
les, officieuses ou administratives, est à peu près
toujours le même. Le cadre seul change. En revan-
che, le menu ne change jamais.
Il faut toujours se heurter aux mêmes vieux ga-
lonnés ou crachatés dont les décorations carillon-
nent comme les grelots des vaches de l’Oberland.
Il faut écouter les mêmes conversations sur la
température, faire les mêmes compliments, ouïr les
mêmes toasts.
Aux bals, ce sont toujours les mêmes grosses
femmes nourrissantes, les mêmes maigrelettes ané-
miques, les mêmes fadeurs, les mêmes lourdeurs,
les mêmes insignifiances.
Dans ces foules, où tout le monde se connaît, se
méprise, se craint ou se dédaigne, rien qui ne soit
voulu, préparé, combiné, appris d’avance.
Le monsieur qui va à toutes les réceptions sait
donc parfaitement à quoi s’en tenir sur la sincérité
de ses vis-à-vis, et n’a pas la moindre illusion à se
faire.
Il ne s’en fait pas, du reste, j’aime à le croire, dans
son intérêt, — son intérêt pouvant seul l’excuser.
Plaignons, dès lors, le monsieur qui va aux ré-
ceptions, puisqu’il y va sans plaisir.
Les fêtes du Nouvel An sont pour lui une sorte de
purgatoire, duquel il sortira fourbu et dyspeptique,
mais peut-être décoré ou pourvu de quelque avance-
ment souhaité... Le Paradis !
Va donc, va, pauvre invité forcé, Juif-Errant des
réceptions d’hiver 1 Marche toujours,danse toujours,
mange toujours !
Et que tes indigestions te soient légères.
Tiens, j’en pleure !
Maurice Dancourt.
POURQUOI LA POLICE DES MŒURS, RENONÇANT AU SYSTÈME DES RAFLES EN MASSE, N'ESSAIERAIT-ELLE PAS
LE PITTORESQUE LASSO SUR LES DÉLINQUANTES ISOLÉES?
LE MONSIEUR
QUI VA AUX RÉCEPTIONS
Le martyr du jour.
Je le connais. Vous le connaissez. Ses fonctions
l’obligent d’accepter toutes les invitations officielles,
eL depuis huit jours, il n’a pas quitté l’habit noir.
Courant de l’Elysée à l’hôtel de chaque ministre,
tour à tour il s’élance d’un banquet d’anciens élè-
ves à un five o'clock, pour rebondir autour d’une
table d’académicien ou échouer devant un menu
diplomatique.
Jusqu’au 15 janvier, au plus tôt, c’est, en moyenne,
trois repas par jour et six bals par semaine qu’il
lui faudra agréer.
Cet homme-là m’intéresse, mais il m’effraie.
Il faut être bâti par les Romains pour résister à
des assauts semblables. Cette lutte de toutes les
heures que doit livrer l’estomac contre le saumon
sauce verte a quelque chose d’épique. Et j’imagine
que des jambes humaines ne peuvent supporter
trois sauteries de suite sans fléchir.
Mais ceci n’est rien encore. Les fatigues physiques
sont secondaires en somme, et le monsieur qui va
à toutes les réceptions peut constituer un phéno-
mène sous ce rapport, tout comme le veau à deux
têtes.
Où je frissonne, où j’admire, où je me prosterne,
c’est quand j’essaie de calculer les conséquences
morales d’une existence semblable.
Le monsieur qui va à toutes les réceptions y ren-
contre naturellement les gens qui, comme lui, n’en
ratent pas une.
***
A part quelques physionomies rares, quelques
bonshommes « d’élite », qu’on y trouve par hasard et
exceptionnellement, le personnel des tables officiel-
les, officieuses ou administratives, est à peu près
toujours le même. Le cadre seul change. En revan-
che, le menu ne change jamais.
Il faut toujours se heurter aux mêmes vieux ga-
lonnés ou crachatés dont les décorations carillon-
nent comme les grelots des vaches de l’Oberland.
Il faut écouter les mêmes conversations sur la
température, faire les mêmes compliments, ouïr les
mêmes toasts.
Aux bals, ce sont toujours les mêmes grosses
femmes nourrissantes, les mêmes maigrelettes ané-
miques, les mêmes fadeurs, les mêmes lourdeurs,
les mêmes insignifiances.
Dans ces foules, où tout le monde se connaît, se
méprise, se craint ou se dédaigne, rien qui ne soit
voulu, préparé, combiné, appris d’avance.
Le monsieur qui va à toutes les réceptions sait
donc parfaitement à quoi s’en tenir sur la sincérité
de ses vis-à-vis, et n’a pas la moindre illusion à se
faire.
Il ne s’en fait pas, du reste, j’aime à le croire, dans
son intérêt, — son intérêt pouvant seul l’excuser.
Plaignons, dès lors, le monsieur qui va aux ré-
ceptions, puisqu’il y va sans plaisir.
Les fêtes du Nouvel An sont pour lui une sorte de
purgatoire, duquel il sortira fourbu et dyspeptique,
mais peut-être décoré ou pourvu de quelque avance-
ment souhaité... Le Paradis !
Va donc, va, pauvre invité forcé, Juif-Errant des
réceptions d’hiver 1 Marche toujours,danse toujours,
mange toujours !
Et que tes indigestions te soient légères.
Tiens, j’en pleure !
Maurice Dancourt.