On me nomme Jeannot. — C’est dans le
parc d’un antique château situé sur les rives
de l’Escaut, en Tournaisis, que je suis né. Ma
mère avait préparé pour nous loger, mes deux
petits frères et deux petites soeurs, un nid
douillet garni chaudement de sa propre four-
rure au fond d’un terrier creusé sous les ra-
cines d’un vieux sapin. J’ai dormi là bien
longtemps, il me semble, sans distinguer le
jour de la nuit. Lorsque, pour la première fois,
j’ouvris les yeux, une clarté diffuse régnait
dans notre galerie souterraine. Souvent, en
cette solitude de mes premiers jours, notre
mère nous parlait des splendeurs du parc où
elle avait élu notre gîte, du vieux château
Louis XIV, bâti sur les ruines d’un castel
féodal. Mon impatience d’admirer les merveil-
les de la lumière, la richesse des fleurs, des her-
bes, des eaux et des bois, grandissait chaque
jour. Un matin, notre mère nous annonça
notre première sortie.
Le parc est sûr, nous dit-elle ; le bracon-
nier Jean-Pierre, dont elle ne parlait qu’avec
effroi, vient de quitter le tailÜ3 ; le busard
mangeur de lapereaux n’a point paru depuis
deux jours ; le garde-chasse ne fera sa tour-
née que plus tard ; le fils du propriétaire,
qu’on voit souvent rôder par les allées, est à
la ville. Nous ne courons aucun danger. Ve-
nez, mes enfants, le soleil va paraître bientôt,
vous jouirez du spectacle d’une belle aurore.
Ce discours parut bien long à mon impatience
de liberté, et le premier, je marchai sur les pas
de notre prudente mère. Lorsque, vers l’entrée
du terrier, je sentis la caresse de l’air frais,
mon cœur battit plus vite ; soudain, au tour-
nant de la galerie je vis la lumière ! Quel émer-
veillement ! C’était pourtant le mystère du
sous-bois et son reste de nuit, avec, de-ci,
de-là, des traînées de lumière plus vive.
Devant nous, les pins se dressaient sombres
et graves ; un tapis de mousse d’un vert sombre
aux reflets d’ambre tout constellé de petites
étoiles blanches, les anémones, s’étendait jus-
que là-bas où la pelouse arrondit ses corbeilles
de rosiers, de rhododendrons et de lauriers.
Mes frères, curieux, folâtraient autour de notre
mère; je ne songeais pas à jouer. Mes yeux
s’emplissaient avidement du spectacle qui me
captivait.
Une lumière grandissante envahissait le
parc ; elle s’épandait sur la cime des arbres
et, discrète encore, dessinait sur le fond sombre
des taillis la silhouette blanche du château. Les
toits moussus se confondaient avec la pâle fron-
daison des tilleuls argentés dont les troncs sé-
culaires, tordus et ravagés, abritaient des fa-
milles d’écureuils depuis de lointaines géné-
rations. Plus loin l’étang se dissimulait parmi
les aulnes et les noisetiers ; à sa surface plaquée
d’îlots de roseaux et de nénuphars, une brume
légère flottait, estompant l’arrière-plan du
paysage, la campagne avec ses fermes aux toits
rouges semées le long des rives de l’Escaut.
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