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Le dessin à l'école et dans la famille: revue d'éducation esthétique — 1.1922/​1923

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[octobre 1922]
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https://doi.org/10.11588/diglit.43073#0021
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Là-bas, derrière la clôture de haies vives,
plus loin que la grille en fer forgé dont la
silhouette se découpait en traits noirs sur un
coin de lumière j’entrevoyais la route grise ; au-
delà un massif d’arbres d’où émergeait, bordé
de clarté matinale, le clocher de la vieille église
romane que je devais mieux connaître quelque
jour.
Plus loin c’était la plaine fermée par une
colline ondulée dont le sommet le plus élevé
dressait, dans un ciel d’opale, la silhouette
d’une petite chapelle.
Bientôt une clarté plus vive monta de l’ho-
rizon ; les arbres du Mont de la Trinité, la cha-
pelle, aux toits aigus, s’ourlèrent d’une frange
d’or ; les nuages de ouate blanche et mauve
prirent les reflets d’une neige éclatante. Le
bosquet parut s’incendier ; les troncs des ar-
bres se dessinaient en noir sur un ciel rouge.
Bientôt un disque d’un rouge de sang et de
vermillon, émergea immense de la colline. Mes
frères et sœurs, les oreilles droites et immo-
biles, ne bougeaient plus. Comme eux, je de-
meurais extasié devant ce spectacle. Notre
mère nous dit : « C’est le soleil, mes enfants,
c’est le soleil qui vient rendre à la terre sa vie
et sa beauté 1 » Je regardai le parc ; le décor
avait changé. Les plantes redressaient leur tête
penchée dans la nuit ; les fleurs souriaient à la
lumière et les brins d’herbe s’étaient parés de
perles et de rubis ; les feuilles frissonnaient et
les bosquets s’animaient de bruits d’ailes. Au-
dessus de nous, sur la branche d’un mélèze,
un merle se mit à siffler, je reconnus sa chan-
son que j’écoutais souvent de notre terrier.


L’étang brillait comme une large nappe d’ar-
gent et le brouillard, déchiré par la brise,
s’élevait en longs écheveaux emmêlés. Dans le
ciel d’un bleu frais, les alouettes montaient,
emplissant le matin de leurs chansons. Près
de nous un faisan picorait les aiguilles de sa-
pin ; un rayon de soleil l’habilla de pourpre

et d’émeraude, et j’aurais voulu le voir de plus
près. Un cri de notre mère : « Pataud ! voici
Pataud ! » nous rappela soudain à la réalité.
Un chien, un vilain chien venait de surgir au
détour d’un massif de noisetiers. Nous ne fîmes


qu’un bond vers notre terrier. C’était le salut
après le premier danger. N’avions-nous pas été
découverts ? Notre asile était-il sûr ?
Blottis auprès de notre mère nous entendions
les battements précipités de nos cœurs ; l’oreille
tendue aux bruits du dehors nous épiions, avec
inquiétude, les démarches de Pataud.Bientôt un
bruit sec de brindilles froissées nous révéla son
approche. Son flair l’avait guidé sûrement ver9
notre gîte et déjà le chien humait l’air bruyam-
ment à l’entrée de notre terrier.
Sous ses griffes énergiques le terreau volait
derrière lui ; il avait entrepris d’élargir l’entrée
de notre galerie et de nous dévorer. Dans sa
rage il mordait à pleines dents les racines du
sapin qui obstruaient le passage à son corps
lourdaud. Ses grognements nous effrayaient et
nous ne savions que devenir. Avec le courage
que lui inspiraient son affection et sa volonté
de nous sauver, notre mère se mit à creuser une
galerie détournée ; la terre rejetée s’amassait
vers l’entrée du terrier et le danger nous pa-
raissait déjà moins pressant. Soudain une déto-
nation, toute proche, nous secoua tous ; un cri
de douleur lui répondit. Pataud était blessé.
Un coup de feu venait d’être tiré à vingt pas.
Le garde-chasse, au courant des habitudes du
chien braconnier, l’avait deviné dans notre voi-
sinage. Je sus plus tard que le garde avait
chargé son fusil d’une cartouche de « cendrée »,
du plomb très fin, qui fit de la peau de Pataud
une écumoire et lui brisa une patte. Clopxn,
dopant, notre ennemi s’éloignait ; ses hurle-
ments de plus en plus affaiblis se perdaient dans
le bois.
Le garde, s’approchant de notre gîte, cons-
tata en maugréant les dégâts, et j’entendis :
a II a du flair le gaillard ! Ils sont certainement

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