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Le dessin à l'école et dans la famille: revue d'éducation esthétique — 1.1922/​1923

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[octobre 1922]
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https://doi.org/10.11588/diglit.43073#0038
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au pied le plus beau chêne de la futaie. Les
bras nerveux se levaient, brandissant la co-
gnée qui sifflait en s’abattant sur les racines de
l’arbre. Au han ! énergique du bûcheron se
mêlait le bruit prolongé d’une profonde en-
taille.
Chaque fois que l’arme terrible
s’abattait un frémissement courait
le long de l’arbre jusqu’à l’extré-
mité de ses dernières branches et les
feuilles basses, secouées, tombaient
en tournoyant dans la légère brume
traversée de rayons. Les oiseaux,
tout un peuple, voletaient inquiets
dans l’épaisse, ramure en poussant
des cris aigus. Etait-ce l’effroi du
crime qui allait jeter à terre leur
asile et détruire leurs nids ? Etait-ce
la colère devant cet attentat à la ma-
jesté du roi de la forêt ? Longtemps, de mon
gîte, j’assistai à ce spectacle de l’homme lut-
tant seul contre un géant stoïque. Parfois,
épuisé, le bûcheron s’arrêtait pour essuyer, du
revers de sa main, son front ruisselant. D’un
regard tranquille, il mesurait la stature du
chêne séculaire puis reprenait son labeur. En-
fin la dernière racine de l’arbre fut tranchée;
il oscilla sur sa base, chancela, puis un cra-
quement sinistre retentit comme un long cri
de mort; le chêne s’abattit. Il tomba comme
un bloc, écrasant de son poids quelques arbus-
tes, et le long gémissement de sa chute, mêlé
au fracas des branches brisées, se répercuta dans
la forêt, douloureusement.
A l’instant même où l’arbre tomba, j’avais
fermé les yeux ; mon cœur battait à se rompre,
angoissé de cette chute d’un fort qui n’avait
pour adieu à la vie qu’un long cri de détresse.
Ce fut tout. Le bois rentra dans le silence
comme frappé de stupeur. Le bûcheron mesura,
de son pas, la taille du chêne et son regard en
évalua le prix. La beauté était estimée à prix
d’argent. C’en était donc fait de la majesté
de cet arbre dont le tronc avait abrité, durant
un siècle, combien de générations d’écureuils,
dont les branches touffues avaient servi d’asile
à quel nombre incalculable de chantres des bois !
Est-ce donc ainsi, qu’en une heure, peut s’ef-
fondrer l’effort séculaire de la nature et périr
une gloire dont rien ne pouvait encore faire
présager la ruine ! Un élément de beauté man-
quera désormais à ce coin de bois et il faudra
le patient travail d’un nouveau siècle pour ré-
parer l’œuvre d’une heure d’un obscur bûche-
ron.

Livré à ces pensées je m’éloignai. Ma mère
et mes frères avaient cherché ailleurs les plai-
sirs du matin. Dans l’espoir de les retrouver je
me dirigeai vers le chemin creux où je savais
un large espace couvert d’un menu gazon pro-
pre à nos ébats. Une roulotte s’y était instal-

lée ; un maigre mulet et un âne pelé broutaient
en liberté le long du fossé. Quelques enfants
en haillons jouaient bruyamment à se poursui-
vre ou se roulaient dans l’herbe avec des cris
que je ne connaissais pas. Ils semblaient heu-
reux dans leur misère, et leur jeunesse leur
épargnait tout souci. Un homme d’un âge mûr,
assis au bas du talus, à l’ombre d’une épine,
fumait une longue pipe de bois en rêvant, in-
différent aux cris et aux luttes de ces petits
qui semblaient ses enfants.
Une jeune fîde épluchait des légumes et les
jetait dans une marmite suspendue au-dessus
d’un feu qui brûlait entre deux pierres, fover
de fortune. Auprès d’elle une femme, encore
jeune, dépeçait dans un plat de faïence, de la
chair rose. Je reconnus les formes de notre
espèce. Horreur ! jetée sur un arbuste, à deux
pas du foyer, je vis la dépouille de l’un des
nôtres, une belle fourrure de lapin de garenne !
Un piège avait surpris le pauvre lapereau.
Adieu les bois paisibles et l’herbe fleurie!
Adieu la mousse ensoleillée et la garenne om-
breuse, sûr asile du lapin prudent, ami de la
solitude et des modestes devoirs !
J’allais m’éloigner, écœuré de ce cruel spec-
tacle, mais je m’attardai pourtant à considérer
un moment ces inconnus. Si l’homme me parut
indifférent, la mère semblait bonne et la jeune
fille délicate et distinguée. Une mélancolie con-
tenue donnait à sa physionomie une certaine
noblesse que des traits réguliers, de longs sour-
cils, une lourde chevelure noire, un teint un
peu halé par le soleil et le grand air accen-
tuaient encore. Jeannot.
(A suivre.)


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