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Le dessin à l'école et dans la famille: revue d'éducation esthétique — 1.1922/​1923

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[janvier 1923]
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https://doi.org/10.11588/diglit.43073#0118
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i ours il grimpa lestement sur l’un des arbres
de la place. Vaine pécaution- D’un bond l’ours
fut aux trousses du vaurien.
L’assistance effrayée se réfugia dans la cour
de la ferme ; les femmes poussaient des cris ;
les enfants pleuraient, les jeunes gens se deman-
daient par quel moyen sauver la vie de l’impru-
dent lorsque le maître de l’ours ne parvenait
plus, lui-même, à calmer la colère de son com-
pagnon.
L’enfant grimpait toujours, pâle d’effroi. Il
atteignit une branche maîtresse qui s’étendait
horizontalement sur la place ; d’un effort il l’en-
fourcha. L’ours montait, montait lui aussi,
silencieux cette fois, implacable dans son désir
de vengeance. Les yeux égarés, l’enfant cher-
chait un moyen de salut que personne ne pou-
vait lui procurer. A califourchon sur la branche
il était là, blême, presque face à face avec son
ennemi qui tentait de le poursuivre sur ce
dernier refuge.


L’enfant comprit-il que reculer toujours,
gagner l’extrémité flexible de la branche, ce se-
rait se mettre hors de l’atteinte du plantigrade?
Instinctivement sans doute, il opéra ce mouve-
ment de retraite. Personne ne parlait plus ;
les spectateurs angoissés assistaient à cette
lutte où l’adresse devrait triompher.
Prudent malgré sa fureur, l’ours s’aventura
avec précaution sur la grosse branche ; le moin-
dre défaut d’équilibre pouvait le perdre. L’en-
fant le devina ; lentement, lui aussi, il reculait
devant l’animal. Déjà la branche fléchissait
sous son poids et, s’inclinant vers la terre,
n’offrait plus qu’un plan incliné, étroit et dan-

gereux, à l'ours qui s'arrêta. Un grognement
furieux déchira sa gorge ; il reconnaissait son
impuissance.
Le gamin, décidé d’en finir avec une situa-
tion aussi critique, mesura d’un regard la dis-
tance qui le séparait du sol, puis glissant rapi-
dement jusqu’à l’extrémité de la branche de
plus en plus inclinée, il se suspendit aux der-
niers rameaux et se laissa choir dans le vide.
Ce fut un seul cri parmi les curieux !
La branche, délivrée de son poids, se releva
brusquement. L’ours, déconcerté, ne put s’y
cramponner. A son tour il tomba sur le sol,
mais lourdement. Etourdi par sa chute il de-
meurait là, immobile, tandis que l’enfant se
précipitait dans la cour de la ferme auprès des
témoins de ce drame. En un instant la grille
fut fermée et l’on ne vit plus, sur la place,
que le maître de l’ours essayant de ranimer le
compagnon de sa pauvreté.
Quelques bons paysans gourmandaient sé-
rieusement le gamin pour son imprudence et
sa méchanceté, mais ses compagnons de ma-
raude riaient du bon tour qu’il avait joué.
Il me parut qu’ils étaient bien mauvais, et
sûrement que ma petite amie eût grondé le
vaurien si, dès la première alerte, sa mère ne
l’avait fait rentrer à la maison avec son frère
et sa sœur.
L’ours se remit bientôt de son étourdisse-
ment. Il se leva, balançant la tête de droite
et de gauche, trébuchant à ses premiers pas.
Son maître le musela prudemment, car déjà
l’animal cherchait son agresseur. Un brave
paysans glissa quelques pièces de monnaie au
bohémien qui s’éloigna.
Quelques instants plus tard la place avait
repris sa tranquillité et je vis venir, vers moi,
Andrée avec son frère et sa petite sœur, por-
teurs d’une sorte de cage à claire-voie dans
laquelle on enferme les poules au temps de
leur convée. Il s’agissait de me procurer l’agré-
ment d’un dîner au jardin dans la partie réser-
vée où la ménagère expose son linge au soleil
après la lessive.
Andrée me prit dans ses bras et m’emporta.
Je m’étonnai de cette confiance qui me toucha ;
d’un mouvement brusque j’aurais pu me libé-
rer et fuir par la campagne. Cette pensée, à
pareille minute, me parut méchante et cet acte
une lâcheté. Je m’abandonnai donc aux atten-
tions de ma petite amie et bientôt, sur l’herbe
encore tendre et mêlée de trèfle et de menthe,
la cage fut posée dans un rayon de soleil. An-
drée m’y enferma. (A suivre).

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