Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Le dessin à l'école et dans la famille: revue d'éducation esthétique — 1.1922/​1923

DOI Heft:
[janvier 1923]
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.43073#0134
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
J’aurais voulu bondir auprès de ma mère re-
trouvée. L’émotion me paralysait. J’aurais
voulu crier: je suis libre, me voici!... Ma
gorge serrée ne me permit pas le moindre cri,
et force me fut de rester là devant ce spectacle
familier, sans pouvoir deviner le sujet de cette
intéressante causerie. Au fait, elle me touchait
peu, et bientôt je la troublai par une irruption
brusque au milieu du groupe émerveillé de ma
soudaine apparition.
Après les effusions de notre tendresse renou-
velée, ma petite sœur et ma mère voulurent
apprendre les péripéties de mon évasion, puis
nous regagnâmes le terrier où j’avais hâte de
retrouver la paix familiale, le bonheur sur le-
quel, à certaines heures, je ne comptais plus.
Par le menu détail je dus conter l’histoire de
ma captivité ; j ’appris aussi les divers incidents
qui marquèrent ces longs jours tristes pour ma
famille inquiète sur mon sort.
Dans la nuit, par un clair de lune qui nous
parut une aimable invitation à la promenade,
nous sortîmes. La fraîcheur du soir contribua
fort heureusement à nous reposer, et nous
prîmes grand plaisir à folâtrer sur la pelouse.
Parfois le vol ouaté d’un oiseau nocturne trou-
blait nos ébats, la fuite rapide de quelque petit
rongeur parmi les herbes sèches nous causait
un frisson ; parfois aussi le vent, qui s’était
levé, bruissait dans le bois. Les branches dé-
pouillées s’agitaient comme de grands bras im-
puissants qui eussent voulu faire des signes vers
le ciel mais qu’une force invisible enchaînait.
Tout à coup, une clameur confuse, s’élevant
vers l’horizon, s’approcha d’instant en instant
et se fit plus distincte. Je reconnus les oies émi-
grantes. Elles s’avançaient en triangle, le cou
tendu, les ailes éployées, d’un vol rapide qu’une
longue étape avait pourtant alourdi. « Le guide
qui conduisait ces pèlerins de l’air » jeta un
cri plus perçant. C’était un signal, La pointe
du triangle s’abaissa vers nous, et la tribu s’a-
battit sur l’étang avec des cris heureux qui se
répercutaient dans le bois et ne laissaient pas
de nous inquiéter. Il nous semblait que des
étrangers tentaient d’envahir notre domaine.
Ces oies, accourues je ne sais de quelle lointaine
contrée, mêlaient une note sauvage aux paisi-
bles bosquets où nous vivions, à cet étang ha-
bitué au seul gloussement des poules d’eau.
Que venaient faire ces étrangères, annoncia-
trices des neiges prochaines, et des rigueurs de
l’hiver ? Nous regardions curieusement ces
infatigables voyageuses lorsque notre attention
fut attirée par un crissement des feuilles mortes

sous des pas mesurés et prudents.Derrière nous,
à vingt pas, entre les branches, un homme se
faufilait. Je reconnus Jean-Pierre. Il portait
avec précaution son fusil toujours armé. Le
cri des oies l’avait prévenu qu’une bonne au-
baine l’attendait sur l’étang. Il s’avançait avec
précaution, évitant le sentier, ruban clair que
la lune déroulait au milieu de tons fauves.Notre
premier mouvement fut de nous glisser dans
l’ombre d’un chêne en attendant la possibilité
de fuir sans être remarqués. Puis, le danger
était-il imminent ? Un assez large fossé nous
séparait de Jean-Pierre; de plus, le houblon
avait jeté, sur ce coin de taillis, le réseau
inextricable de ses tiges, et ses vrilles enroulées
aux arbustes rendaient le passage difficile à
l’homme. Le braconnier s’arrêta. D’un coup
d’œil de connaisseur il inspecta le fossé; puis,
appuyant sur le sol la crosse de son fusil, il se
servit de son arme comme d’un appui pour
s’élancer vers l’autre rive.
Le mouvement fut rapide, et d’un bond
léger le braconnier franchit l’obstacle, mais à
peine retombait-il sur la rive opposée qu’une
détonation retentit. L’arme venait d’éclater
aux mains de Jean-Pierre ! Une tige de houblon
avait accroché la gâchette et l’homme gisait sur
le sol, la poitrine sanglante.
Un criaillement effrayé retentit sur l’étang.
Toutes les oies battirent en même temps les
eaux de leurs longues ailes, et la tribu errante
repi'it son vol à travers le ciel. Pour nous,
pauvres lapins, que pouvions-nous faire que
d’obéir à notre instinct et de fuir sous la peur
qui nous accablait ! Que craindre pourtant !
Notre ennemi était là, gisant, brisé. La déto-
nation avait-elle prévenu le garde-chasse, et
quelque secours viendrait-il au malheureux !
Bientôt des pas retentirent dans l’allée et un
homme parut, un fusil sous le bras. C’était le
garde.
Il s’avança vers l’étang ; son regard fouilla
le taillis ; il découvrit le braconnier. L’ayant
soulevé il vit la blessure, et hochant la tête, il
s’éloigna, pour reparaître peu après avec des
secours.
Le malheureux Jean-Pierre n’était que
blessé ; il guérit. Son accident ne devait pas
le rendre plus sage, et vingt fois, par la suite,
j’échappai à son plomb meurtrier. Quelle Pro-
vidence veille donc sur les jeunes lapins, d’une
manière toujours manifeste, avec une sollicitude
qui m’a préservé des atteintes du braconnier et
de son Pataud !
(A suivre). Jeannot.

— 128 —
 
Annotationen