Rencontre.
Longtemps je rôdai autour de la maison de
la Mère Séraphine ; la bonne vieille me semblait
bien triste, ce matin, et le soleil qui réjouissait
cette orée du bois ne la pouvait tirer de sa
rêverie fatiguée. Sa chèvre la caressait de son
museau sans s’attirer un regard.
La maison s’animait pourtant du va-et-vient
de la jeune fille qui rangeait le ménage en sur-
veillant les maigres préparatifs du déjeuner.
Un instant je la vis paraître sur le seuil de la
cabane; d’un regard inquiet elle scrutait le
sentier qui vient du bois. Plusieurs fois elle
reparut dans la même attitude et avec la même
visible préoccupation.
Que se passait-il dans cette pauvre famille ?
Quel ennui menaçait ces braves gens ? Evidem-
ment le fils avait renouvelé quelque escapade
et le braconnage de la dernière nuit avait mal
tourné. J’en étais là de mes suppositions, lors-
que je vis arriver Jean-Pierre. Il hésita devant
la mère Séraphine, s’arrêta un court moment
avec l’intention de lui parler, mais se ravisant
il secoua la tête et vint droit au logis. La jeune
fille l’attendait sur le seuil, les mains aux po-
ches de son tablier, le regard interrogateur,
déjà raidie contre l’annonce d’une mauvaise
nouvelle.
J’approchai discrètement.
— Eh bien, Jean-Pierre, que fait donc mon
frère qu’il ne rentre pas ? Il était avec vous,
cette nuit, dans le bois. Que lui est-il arrivé ?
— Ma pauvre demoiselle, rassurez-vous !
Chariot va bien, il ne lui est arrivé aucun
fâcheux accident. Mais voilà, le métier veut ça.
Les gendarmes nous ont surpris, cette nuit, à
tendre nos lacets. Pour moi, je me suis tiré
d’affaire en disparaissant à point; mais je
n’échapperai pas, on m’a reconnu. Chariot,
qui dégageait du piège un lapin, n’a pas com-
pris mon signal ; il s’est fait pincer. Encore
une amende ! de la prison peut-être. Chariot a
regimbé ; il s’est révolté contre les gendarmes
et leur a dit des mots plutôt désobligeants.
De ce fait on l’a emmené. Ce ne sera pas grave,
allez, ma bonne fille, et votre frère vous re-
viendra bientôt. Ne comptez tout de même pas
sur lui aujourd’hui. Je vous apporterai de ses
nouvelles après-midi. Ne dites rien à mère Sé-
raphine ; ça lui tournerait le cœur une fois de
plus, et à son âge, vous comprenez, il faut la
ménager.
La jeune fille ne répondit rien.
— Patience, mademoiselle, et bon courage !
reprit le braconnier ; et il s’éloigna comme il
était venu.
La jeune fille rentra en essuyant une larme
et je n’entendis plus ses pas dans la maison,
mais ses sanglots. Le front sur un meuble, elle
pleurait de tout son cœur la mauvaise conduite
de ce Chariot, paresseux et aventurier, qui fai-
sait la désolation et le déshonneur de sa famille.
Que peut un lapin devant le chagrin d’une
vieille femme et d’une jeune fille ! Le cœur
serré je m’éloignai en maudissant les bracon-
niers.
La pensée toute remplie de cette malheu-
reuse enfant d’une mère infirme, je regagnais
paisiblement notre terrier lorsque des voix
connues frappèrent mon oreille et me tirèrent
de mes tristes réflexions. D’un bond je fus
aux pieds des promeneuses : les enfants de la
fermière, Andrée et sa petite sœur.
Les bras chargés de paniers elles se diri-
geaient vers la pauvre cabane et portaient à
la mère Séraphine les cadeaux de la semaine :
des œufs et du pain frais. Mes amies me recon-
nurent et s’arrêtèrent. Je m’assis devant elles
et mon regard, qui traduisait mon bonheur
de les revoir, leur exprima bien vite les senti-
ments les plus divers,
— Bonjour Jeannot ! me dit Andrée de sa
voix la meilleure.
Je répondis par un petit cri joyeux. J’aurais
voulu parler, conter la scène de la cabane, le
malheur de ces pauvres gens que je venais de
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