Charité.
Je les laissai s’éloigner et repris le chemin
du bois en passant devant le logis de Mère
Séraphine. La vieille infirme se chauffait aux
rayons d’un avare soleil ; à l’intérieur de sa
maison, des voix que je reconnus se mêlaient
joyeusement. Andrée et sa petite sœur étaient
là ; elles avaient apporté quelque cadeau à leur
vieille voisine. Mais ce qui me surprit, ce fut
de voir une petite mendiante en cette cabane,
une petite mendiante qui implorait la charité
d’aussi pauvres gens. Et je fus témoin de cette
chose inoubliable. La bonne Louise, la fille de
Mère Séraphine, tailla dans le pain frais une
épaisse et large tartine pour la pauvre enfant ;
au moment de la lui donner elle se ravisa.
— Assieds-toi-là, petite !
Joignant le geste à cette invitation, elle fit
asseoir à la table dressée pour le maigre repas,
la petite mendiante et lui servit une soupe bien
chaude d’où montait une odeur appétissante
de légumes frais. L’enfant, confuse et heu-
reuse de trouver une telle bonté chez des gens
pauvres comme elle^ déjeuna d’un grand appé-
tit qui n’était point souvent satisfait. J’étais
heureux de cette générosité si simple et si natu-
relle ; ma. petite protectrice se réjouissait, elle
aussi, de cette charité du pauvre que l’Évangile
a louée. J’entendis conter, quelque jour, la
parabole du denier de la veuve à des enfants
du catéchisme dans le jardin du presbytère et
et le souvenir m’en revint à cette heure.
Je revis la pauvre veuve donnant une partie
de son nécessaire, tandis que les pharisiens
orgueilleux jetaient ostensiblement l’aumône
prélevée avec parcimonie sur un abondant su-
perflu. Le monde n’aurait-il point changé de-
puis dix-neuf siècles ? Je sais pourtant des
cœurs généreux qui inspirent de vraies charités
au nom de Jésus-Christ.
J’aurais attendu volontiers la sortie de Re-
née ; je dus m’éloigner discrètement et sans
retard. Jean-Pierre, le braconnier arrivait avec
son chien Pataud ; et je n’aime ni le maître ni
le chien. Je jugeai prudent de me retirer sans
attirer leur attention ; en peu de temps j’eus
regagné le terrier. Les traces de la dévas-
tation causée par les enfants me rappelèrent
à la1 triste nécessité de chercher un autre
abri.
Ma mère et ma sœur m’attendaient pour
arrêter définitivement le choix d’un asile
favorable à notre nouveau gîte. Après quel-
ques excursions dans le bois du côté de
l’étang, ce voisinage des eaux fut déclaré
désagréable pour une installation commode.
Les pluies peuvent survenir abondantes et
causer des inondations qui nous devien-
draient désastreuses. Les environs de la
vieille tour nous parurent plus avantageux ;
quelques tilleuls séculaires ont poussé d’é-
normes racines tortueuses dont quelques-
unes, à demi découvertes, offrent des facili-
tés particulières pour dissimuler l’entrée
de notre galerie. De plus des sureaux
dissimulent encore le pied de ces gros arbres
et des ronces en défendent l’approche. Le
terrain sec et friable, composé en grande
partie d’humus accumulé depuis des années,
devait permettre un rapide travail à nos
ongles tout prêts à l’action.
Le travail ne fut pas de longue durée; le
soleil n’avait point disparu tout à fait derrière
le sommet du Mont-Trinité que déjà notre ter-
rier, dûment achevé et muni d’une sortie de
sûreté, nous abritait ; mais notre tranquillité
fut bientôt troublée encore par des pas préci-
pités et des appels. Je hasardai une prudente
sortie.
(A suivre)
Jeannot.
240
Je les laissai s’éloigner et repris le chemin
du bois en passant devant le logis de Mère
Séraphine. La vieille infirme se chauffait aux
rayons d’un avare soleil ; à l’intérieur de sa
maison, des voix que je reconnus se mêlaient
joyeusement. Andrée et sa petite sœur étaient
là ; elles avaient apporté quelque cadeau à leur
vieille voisine. Mais ce qui me surprit, ce fut
de voir une petite mendiante en cette cabane,
une petite mendiante qui implorait la charité
d’aussi pauvres gens. Et je fus témoin de cette
chose inoubliable. La bonne Louise, la fille de
Mère Séraphine, tailla dans le pain frais une
épaisse et large tartine pour la pauvre enfant ;
au moment de la lui donner elle se ravisa.
— Assieds-toi-là, petite !
Joignant le geste à cette invitation, elle fit
asseoir à la table dressée pour le maigre repas,
la petite mendiante et lui servit une soupe bien
chaude d’où montait une odeur appétissante
de légumes frais. L’enfant, confuse et heu-
reuse de trouver une telle bonté chez des gens
pauvres comme elle^ déjeuna d’un grand appé-
tit qui n’était point souvent satisfait. J’étais
heureux de cette générosité si simple et si natu-
relle ; ma. petite protectrice se réjouissait, elle
aussi, de cette charité du pauvre que l’Évangile
a louée. J’entendis conter, quelque jour, la
parabole du denier de la veuve à des enfants
du catéchisme dans le jardin du presbytère et
et le souvenir m’en revint à cette heure.
Je revis la pauvre veuve donnant une partie
de son nécessaire, tandis que les pharisiens
orgueilleux jetaient ostensiblement l’aumône
prélevée avec parcimonie sur un abondant su-
perflu. Le monde n’aurait-il point changé de-
puis dix-neuf siècles ? Je sais pourtant des
cœurs généreux qui inspirent de vraies charités
au nom de Jésus-Christ.
J’aurais attendu volontiers la sortie de Re-
née ; je dus m’éloigner discrètement et sans
retard. Jean-Pierre, le braconnier arrivait avec
son chien Pataud ; et je n’aime ni le maître ni
le chien. Je jugeai prudent de me retirer sans
attirer leur attention ; en peu de temps j’eus
regagné le terrier. Les traces de la dévas-
tation causée par les enfants me rappelèrent
à la1 triste nécessité de chercher un autre
abri.
Ma mère et ma sœur m’attendaient pour
arrêter définitivement le choix d’un asile
favorable à notre nouveau gîte. Après quel-
ques excursions dans le bois du côté de
l’étang, ce voisinage des eaux fut déclaré
désagréable pour une installation commode.
Les pluies peuvent survenir abondantes et
causer des inondations qui nous devien-
draient désastreuses. Les environs de la
vieille tour nous parurent plus avantageux ;
quelques tilleuls séculaires ont poussé d’é-
normes racines tortueuses dont quelques-
unes, à demi découvertes, offrent des facili-
tés particulières pour dissimuler l’entrée
de notre galerie. De plus des sureaux
dissimulent encore le pied de ces gros arbres
et des ronces en défendent l’approche. Le
terrain sec et friable, composé en grande
partie d’humus accumulé depuis des années,
devait permettre un rapide travail à nos
ongles tout prêts à l’action.
Le travail ne fut pas de longue durée; le
soleil n’avait point disparu tout à fait derrière
le sommet du Mont-Trinité que déjà notre ter-
rier, dûment achevé et muni d’une sortie de
sûreté, nous abritait ; mais notre tranquillité
fut bientôt troublée encore par des pas préci-
pités et des appels. Je hasardai une prudente
sortie.
(A suivre)
Jeannot.
240