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Le dessin à l'école et dans la famille: revue d'éducation esthétique — 1.1922/​1923

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[juin 1923]
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https://doi.org/10.11588/diglit.43073#0277
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Ma mère et ma sœur se rapprochèrent de la
fenêtre ; pour moi, immobile et charmé, je
suivais le mouvement des lèvres qui chantaient.
J’observais le regard maternel qui allait du ber-
ceau à l’ouvrage et je devinais le bonheur de
cette mère au milieu de ses enfants, dans son
logis propret, si bien ordonné-
La voix reprit :
« Vos légers rideaux blancs s’enflent comme des voiles,
Berceaux, et sous les vents amis
Vous nous portez, du bord des heureuses étoiles,
Vos passagers tout endormis.
La mère se tut un instant et regarda longue-
ment son enfant endormi. Les aiguilles à trico-
ter se reprirent bientôt à croiser leurs pointes
avec une nouvelle activité, et le chant continua,
comme en sourdine :
« Ils dorment, ces mignons, les poings fermés, la tête
Sur le duvet mol et profond,
Ignorant les périls, l’écueil ou la tempête
Et le grand voyage qu’ils font! 1 »
Ma mère et ma sœur ne bougeaient plus ;
assises devant la fenêtre, elles passaient, à
présent, leur patte sur leurs yeux. Ce n’était
point pour essuyer la rosée, assurément. -le
devinai des larmes et respectai leur émotion.
Il fallait dîner pourtant et rentrer au logis.
Un drame rapide.
Malgré les charmes de ce tableau d’un in-
térieur familial heureux et paisible, il fallut
songer au retour. Notre mère nous pressa de
partir; j’obtins que l’on passerait par la mai-
son de mère Séraphine. J’espérais trouver, là
aussi, le retour d’un peu de bonheur pour la
vieille infirme et sa benne fille. Mon attente
ne fut pas déçue.
Par la porte entr’ouverte je vis Mère Séra-
phine assise au coin du feu. En face d’elle son
1. J. Aicard.

Chariot, tête nue, les mains sur les genoux,
écoutait la bonne vieille qui disait sa joie du
retour de son fils et les espérances qu’elle fon-
dait sur ses généreuses résolutions. Chariot,
vraiment ému (il est bon garçon au fond),
promettait un travail régulier. Des bûcherons
allaient entreprendre une coupe dans les bois
du côté du chemin rouge ; il les avait rencon-
trés tout à l’heure et déjà s’était engagé pour
le lendemain. Ce serait donc le travail assuré
pour l’hiver qui venait, l’aisance dans la fa-
mille et la vie tranquille, à trois, sans les in-
quiétudes et les soucis que traînent, après eux,
le vagabondage et la paresse.
La bonne Louise préparait le dîner, sou-
riante et rassérénée elle aussi, par les bonnes
dispositions de son grand frère. Je vis bien
qu elle se promettait de l’aider dans ses bonnes
dispositions.
Nous regagnâmes bien vite le terrier ; la
nuit commençait et, de-ci, de-là, le bruit as-
sourdi du vol d’oiseaux nocturnes, terreur des
jeunes lapins, me faisait frissonner.
Auprès du vieux pont de pierre avec sa pe-
tite vanne qui retient les eaux de l’étang, je
fus pris d’une véritable frayeur. Les ronces
frémissaient sous le glissement d’une bête silen-
cieuse. Un renard ? une fouine ? quelqu’un de
nos ennemis jurés !
Ma mère nous arrêta d’un regard. Debout
sur ses pattes de derrière, elle explora le massif
des broussailles. D’un signe discret elle nous
éloigna. Au même instant un renard bondis-
sait ! Il saisit à la gorge un faisan qui dormait
sur les branches basses d’un if ombreux. Un
cri étouffé de l’oiseau nous glaça. Traînant sa
proie, le carnassier passa devant nous, rapide,
pour disparaître dans le taillis.
Nous regagnâmes vivement notre terrier.
Qu’il nous fut bon de nous blottir l’un contre
l’autre après le danger couru, et que notre

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