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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2. Pér. 36.1887

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Nr. 1
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Michel, André: J.-F. Millet et l'exposition de ses œuvres à l'École des Beaux-Arts
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https://doi.org/10.11588/diglit.24190#0022

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46

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

On eût plutôt rendu justice à l’œuvre de Millet, on l’eût mieux
comprise et aimée, si on l’eût abordée d’un esprit plus libre et sans
les préoccupations d’esthétique militante qui n’ont pas moins égaré
souvent ses admirateurs que ses adversaires. — Essayons de définir,
comme il l’eût voulu lui-même, le but qu’il s’est proposé.

« Quand Poussin envoie son tableau de la Manne à M. de Chan-
telou, écrivait-il dans une note rédigée pour son ami Sensier, il ne
lui dit point : Voyez la belle pâte, voyez comme c’est crâne, voyez
comme c’est troussé! ni aucune des choses de ce genre auxquelles
tant de peintres paraissent attacher du prix et je ne sais pourquoi.
Il dit : Si vous vous souvenez de la lettre que je vous écrivis touchant
le mouvement des figures que je vous promettais d’y faire et que tout
ensemble vous considériez le tableau, je crois que facilement vous
reconnaîtrez quelles sont celles qui languissent, celles qui ont pitié,
celles qui font action de charité... » Il nous avertit par là que la
beauté propre de la pratique, l’éloquence persuasive d’un pinceau
bien manié n’avaient de prix à ses yeux que dans la mesure où elles
servaient à une fin qui leur fût supérieure. Il ajoutait ailleurs :
« Rien ne compte que ce qui est fondamental. Quand un tailleur
essaye un paletot, il se recule jusqu’à la distance qui lui permet de
bien juger la tournure... Celui qui se contenterait de faire de belles
boutonnières sur un paletot mal tourné, n’en aurait pas moins fait
une besogne pitoyable. » Ailleurs encore : « Je tâche de faire que
les choses n’aient pas l’air d’être amalgamées au hasard et pour
l’occasion, mais qu’elles aient entre elles une liaison indispensable
et forcée... Une œuvre doit être tout d’une pièce. Gens et choses
doivent toujours être là pour une fin. Je désire de mettre pleinement
ce qui est nécessaire, mais je professe la plus grande horreur pour
les inutilités si brillantes qu’elles soient... »

Ces pensées, sur lesquelles le maître revenait avec un infatigable
insistance, sont bonnes à recueillir. Elles n’avaient rien d’un commen-
taire fait après coup et pour les besoins de la cause ; rapprochées de
son œuvre, elles apparaissent comme l’expression réfléchie de ce
qu’il a voulu faire et, l’on peut ajouter, de ce qu’il a fait. Comme
Poussin, dont il ne faut pas craindre ici de ramener souvent le nom,
Millet compose fortement ses tableaux, c’est-à-dire qu’il en coor-
donne toutes les parties sous la discipline d’une idée maîtresse ; il
veut que chaque détail concourre à un ensemble prémédité, il sacrifie
résolument tout ce qui pourrait détourner l’attention, nuire à la mise
en valeur du caractère. Par là, il reste dans la pure tradition clas-
 
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