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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
hanche sont déplaisantes : on dirait une affectation de simplicité
archaïque, qui s’accorde mal avec le raffinement de l’expression.
Un autre genre de prétention induit M. Lombard au maniérisme
de l’élégance effilée. Passe encore si la Diane qu’il a montée sur
deux piquets était aussi distinguée que maigre, mais le geste qui
l’encanaille fait de cette hautaine et raide personne une petite
comtesse Gavroche.
Faut-il parler de toutes les œuvres dites jolies, en réalité rondes
et molles, où le marbre oubliant sa fierté prend la fade polissure du
biscuit ou le scintillement micacé du sucre, des Bacchantes et des
Bayadères ridiculement cambrées, des Psychés douceâtres et veules?
Faut-il citer comme échantillons de sculpture bêlante la Graziosa de
M. Daillon et sa Jeune Florentine qui ne se souvient pas de Florence?
Pour la beauté du sentiment et la vivante souplesse du modelé
on louerait sans restriction la Douleur d'Orphée de M. Verlet, si
l’amant d’Eurydice ne gardait dans son désespoir quelque souci de
la rhétorique. La tête expressive, les mains levées dans un grand
geste de désolation, l’élégance de la silhouette ont un charme réel
où la convention réclame encore un peu sa part.
Mais pour endormir et charmer Cerbère Y Orphée de M. Peinte
devait-il se contourner si étrangement et jouer de la lyre par-dessus
son épaule? Quel manque de simplicité et comme la justesse du senti-
ment est sacrifiée à l’arabesque! Même défaut dans Y Age d'or de
M. Lefeuvre. Les contemporains de cette époque chimérique étaient, je
pense, plus naïfs, et ne déployaient pas des grâces si laborieuses pour
cueillir un bouquet de cerises! Tous ces personnages se guindent au
stylé, ils ne vivent pas en eux-mêmes ; on dirait qu’ils se sentent regar-
dés et composent leurs attitudes en vue d’un effet théâtral. Le geste de
théâtre qui s’arrondit, se gracieuse ou se demène va presque toujours
au delà du vrai. Le geste propre à la sculpture se maîtrise au con-
traire et se renferme. Dire beaucoup avec peu de dépenses apparentes,
exprimer la vie intime qui rayonne au dedans au dehors, fixer un
mouvement que l’imagination prolonge, non celui qui se perd comme
un coup de poing lancé dans le vide, en un mot faire pressentir la
détente d’une force sans épuiser son élan, c’est ce qui donne aux
œuvres des belles époques leur sécheresse énergique et leur puissance
concentrée. Ce régime sévère a déjà rendu de grands services à notre
école et nous lui devons les œuvres les plus solides et les plus distin-
guées de ce temps. Très vivante en effet, toujours, la sculpture fran-
çaise a de fâcheuses tendances à déclamer dès qu’elle exprime des
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
hanche sont déplaisantes : on dirait une affectation de simplicité
archaïque, qui s’accorde mal avec le raffinement de l’expression.
Un autre genre de prétention induit M. Lombard au maniérisme
de l’élégance effilée. Passe encore si la Diane qu’il a montée sur
deux piquets était aussi distinguée que maigre, mais le geste qui
l’encanaille fait de cette hautaine et raide personne une petite
comtesse Gavroche.
Faut-il parler de toutes les œuvres dites jolies, en réalité rondes
et molles, où le marbre oubliant sa fierté prend la fade polissure du
biscuit ou le scintillement micacé du sucre, des Bacchantes et des
Bayadères ridiculement cambrées, des Psychés douceâtres et veules?
Faut-il citer comme échantillons de sculpture bêlante la Graziosa de
M. Daillon et sa Jeune Florentine qui ne se souvient pas de Florence?
Pour la beauté du sentiment et la vivante souplesse du modelé
on louerait sans restriction la Douleur d'Orphée de M. Verlet, si
l’amant d’Eurydice ne gardait dans son désespoir quelque souci de
la rhétorique. La tête expressive, les mains levées dans un grand
geste de désolation, l’élégance de la silhouette ont un charme réel
où la convention réclame encore un peu sa part.
Mais pour endormir et charmer Cerbère Y Orphée de M. Peinte
devait-il se contourner si étrangement et jouer de la lyre par-dessus
son épaule? Quel manque de simplicité et comme la justesse du senti-
ment est sacrifiée à l’arabesque! Même défaut dans Y Age d'or de
M. Lefeuvre. Les contemporains de cette époque chimérique étaient, je
pense, plus naïfs, et ne déployaient pas des grâces si laborieuses pour
cueillir un bouquet de cerises! Tous ces personnages se guindent au
stylé, ils ne vivent pas en eux-mêmes ; on dirait qu’ils se sentent regar-
dés et composent leurs attitudes en vue d’un effet théâtral. Le geste de
théâtre qui s’arrondit, se gracieuse ou se demène va presque toujours
au delà du vrai. Le geste propre à la sculpture se maîtrise au con-
traire et se renferme. Dire beaucoup avec peu de dépenses apparentes,
exprimer la vie intime qui rayonne au dedans au dehors, fixer un
mouvement que l’imagination prolonge, non celui qui se perd comme
un coup de poing lancé dans le vide, en un mot faire pressentir la
détente d’une force sans épuiser son élan, c’est ce qui donne aux
œuvres des belles époques leur sécheresse énergique et leur puissance
concentrée. Ce régime sévère a déjà rendu de grands services à notre
école et nous lui devons les œuvres les plus solides et les plus distin-
guées de ce temps. Très vivante en effet, toujours, la sculpture fran-
çaise a de fâcheuses tendances à déclamer dès qu’elle exprime des