58
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
d’Aristote, léguée à Théophraste, puis à leur disciple Nélée, et plus
tard transférée à Rome par l’ordre deSylla; celle de Persée, dernier
roi de Macédoine, enlevée également par les Romains; celle des rois
de Pergame, qui, sous le triumvirat d’Antoine, vint grossir la plus
remarquable et la plus importante des collections antiques, la fameuse
bibliothèque d’Alexandrie. Celle-ci, créée avec le Musée et dans son
enceinte, probablement par Ptolémée Soter, fut détruite une première
fois, en partie du moins, par un incendie allumé durant le combat
livré à César. A cette époque, elle réunissait dix-sept cent mille
volumes d’après Aulu-Gelle, quatre cent mille d’après Tite-Live, deux
cent mille seulement suivant Plutarque; mais il faut songer que ces
volumina étaient de simples rouleaux, dont chacun ne renfermait qu’un
fragment d’ouvrage et tenait fort peu de place, de sorte que l’en-
semble était loin d’égaler en richesse et en étendue nos grands dépôts
modernes. Cette perte fut réparée à l’aide des livres conservés par
les rois égyptiens dans le Serapeum et de ceux que l’on apporta de
Pergame. On sait que la destruction définitive de la bibliothèque
d’Alexandrie a fait l’objet d’une controverse plusieurs fois renouvelée,
et portée jusqu’à notre tribune politique. Les uns veulent que ce
désastre soit l’ouvrage des chrétiens, qui, sous Théodose, et un peu
par son ordre, mirent au pillage un palais devenu le dernier centre
de la résistance païenne. Les autres l’attribuent à la barbarie des
soldats d’Omar, lorsqu’ils s’emparèrent de la ville, au vne siècle. Il
est certain que la célèbre bibliothèque, soit que les chrétiens en aient
laissé subsister une portion, soit qu’elle ait été reconstituée ensuite,
survécut beaucoup plus tard; elle dut périr de délaissement, sinon
de la main des Musulmans ou des Turcs 1.
Les Romains se montrèrent d’abord moins curieux de livres que
les Grecs. Vers la fin de la république, quelques opulents personnages
commencèrent à les rechercher; Lucullus mit à la disposition de tout
le monde ceux qu’il avait trouvés dans la dépouille des rois de Pont.
Mais Auguste fut le premier à organiser, sous les portiques d’Octavie
et du Palatin, de véritables collections publiques. Tibère, Vespasien
et d’autres empereurs imitèrent son exemple. Rome comptait, au
iv6 siècle, vingt-huit établissements de ce genre, dont la surinten-
dance constituait une des principales charges de l’empire. Les cités,
les villas particulières, les thermes en avaient aussi. On se souvient
des trois mille papyrus grecs et latins découverts à Herculanum dans
1. Voy. Daremberg el Saglio, üict. des Antiq., au mot Bibliotheca; Revue histo-
rique, an. 1870, p. 484.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
d’Aristote, léguée à Théophraste, puis à leur disciple Nélée, et plus
tard transférée à Rome par l’ordre deSylla; celle de Persée, dernier
roi de Macédoine, enlevée également par les Romains; celle des rois
de Pergame, qui, sous le triumvirat d’Antoine, vint grossir la plus
remarquable et la plus importante des collections antiques, la fameuse
bibliothèque d’Alexandrie. Celle-ci, créée avec le Musée et dans son
enceinte, probablement par Ptolémée Soter, fut détruite une première
fois, en partie du moins, par un incendie allumé durant le combat
livré à César. A cette époque, elle réunissait dix-sept cent mille
volumes d’après Aulu-Gelle, quatre cent mille d’après Tite-Live, deux
cent mille seulement suivant Plutarque; mais il faut songer que ces
volumina étaient de simples rouleaux, dont chacun ne renfermait qu’un
fragment d’ouvrage et tenait fort peu de place, de sorte que l’en-
semble était loin d’égaler en richesse et en étendue nos grands dépôts
modernes. Cette perte fut réparée à l’aide des livres conservés par
les rois égyptiens dans le Serapeum et de ceux que l’on apporta de
Pergame. On sait que la destruction définitive de la bibliothèque
d’Alexandrie a fait l’objet d’une controverse plusieurs fois renouvelée,
et portée jusqu’à notre tribune politique. Les uns veulent que ce
désastre soit l’ouvrage des chrétiens, qui, sous Théodose, et un peu
par son ordre, mirent au pillage un palais devenu le dernier centre
de la résistance païenne. Les autres l’attribuent à la barbarie des
soldats d’Omar, lorsqu’ils s’emparèrent de la ville, au vne siècle. Il
est certain que la célèbre bibliothèque, soit que les chrétiens en aient
laissé subsister une portion, soit qu’elle ait été reconstituée ensuite,
survécut beaucoup plus tard; elle dut périr de délaissement, sinon
de la main des Musulmans ou des Turcs 1.
Les Romains se montrèrent d’abord moins curieux de livres que
les Grecs. Vers la fin de la république, quelques opulents personnages
commencèrent à les rechercher; Lucullus mit à la disposition de tout
le monde ceux qu’il avait trouvés dans la dépouille des rois de Pont.
Mais Auguste fut le premier à organiser, sous les portiques d’Octavie
et du Palatin, de véritables collections publiques. Tibère, Vespasien
et d’autres empereurs imitèrent son exemple. Rome comptait, au
iv6 siècle, vingt-huit établissements de ce genre, dont la surinten-
dance constituait une des principales charges de l’empire. Les cités,
les villas particulières, les thermes en avaient aussi. On se souvient
des trois mille papyrus grecs et latins découverts à Herculanum dans
1. Voy. Daremberg el Saglio, üict. des Antiq., au mot Bibliotheca; Revue histo-
rique, an. 1870, p. 484.